1939-1945. Une presse de combat
Soumise à un contrôle strict des autorités allemandes et vichystes, la presse française bascule dans la Collaboration ou entre en résistance. Avant de connaître, à la Libération, une profonde mutation.
Conservatrice proche du clergé avant-guerre, collaborationniste et antisémite pendant l’Occupation, le quotidien aveyronnais L’Union catholique est interdit à la Libération, ses biens confisqués et son rédacteur en chef, fusillé. Un exemple, parmi d’autres, du bouleversement que connaît la presse française durant ces Années noires.
- Une presse fragilisée
En 1939, la presse nationale sort en grande partie fragilisée de l’entre-deux-guerres. Les grands journaux nationaux appartiennent à des groupes financiers côtés en bourse et réalisant de gros profits. C’est le cas de Paris-Soir, racheté par l’industriel Jean Prouvost qui tire en 1939 à 1,8 millions d’exemplaires. Le même homme détient aussi L’Intransigeant, Match et le magazine féminin Marie-Claire.
Cependant, les tirages de la presse quotidienne, surtout parisienne, stagnent, concurrencés par une presse régionale qui s’organise. Les causes de cette stagnation sont multiples. Depuis plusieurs années, la radio vient concurrencer la presse sur le terrain de l’information. Plus rapide et plus efficace. D’autre part, de grands quotidiens ont été mêlés à plusieurs scandales politico-financiers, notamment lors de l’affaire Stavitsky. Ce que la presse d’extrême droite ne s’est pas fait faute de révéler. Je suis partout, fondé en 1930 par Arthème Fayard ; Gringoire, lancé en 1928, sous les plumes acides d’Henri Béraud, Philippe Henriot et Pierre Gaxotte ; Candide se montrent de plus en plus virulents envers la classe politique, entraînant le ministre de l’Intérieur Roger Salengro jusqu’au suicide après une campagne calomnieuse de leur part.
- L’information muselée
Le contrôle de l’information débute bien avant que le bruit des bottes nazies résonne sur le pavé parisien. Dès l’entrée en guerre, fin août 1939, un décret est promulgué sur l’ensemble des publications soumis à la censure. Les journaux communistes sont les premiers touchés suite au pacte germano-soviétique.
Le 31 mars 1940, un premier ministère de l’Information voit le jour, prélude d’un contrôle de plus en plus strict des médias. Alors que la défaite semble inéluctable, le 10 juin 1940, plusieurs quotidiens nationaux se replient sur Lyon et Bordeaux tandis que d’autres se sabordent.
Dès le début de l’Occupation, les Allemands interdisent toute publication en attendant les premières autorisations. 2/3 des journaux français sont supprimés. A la Propaganda Abteilung sont confiées les autorisations (350 journaux peuvent reparaître), la censure, la distribution du papier et de la pub. L’agence Havas est nationalisée et remplacée par deux agences en zone nord et sud avant de fusionner en 1942.
Dès septembre 1940, l’organisation des entreprises de presse et de rédaction voit le jour au sein de laquelle Jean Luchaire joue un rôle de médiateur entre la presse, Vichy et l’occupant.
En zone Sud, Vichy exerce un contrôle rigoureux à partir du secrétariat à l’information et à la propagande dirigé par Paul Marion, un ancien communiste passé au P.P.F. « Il s’agit, déclare-t-il, d’amener les médias à avoir une juste conception de ses devoirs. » Aux journaux autorisés sont distribuées des subventions pour assurer leur survie.
Lorsque les Allemands envahissent la zone Sud, la plupart des journaux repliés se sabordent sauf La Croix qui continue de paraître. Le 11 novembre 1942, le directeur du Figaro explique sa décision : « Les circonstances imposent au Figaro d’interrompre sa publication. Cette mesure répond à une question de confiance. Les consignes impératives qui viennent de nous parvenir ne nous permettent plus de poursuivre notre tâche sans offenser nos sentiments les plus intimes et sans trahir la confiance du public. Il s’agit en définitive de mentir ou de se démettre. »
L’heure est désormais venue pour la presse clandestine de lutter pied à pied contre la propagande officielle et les journaux collabos.
La presse collaborationniste
Encadrer la population, c’est d’abord contrôler les sources d’information afin d’amener l’opinion publique à collaborer avec l’Allemagne. « Il s’agit, en deux mots, de substituer à la presse de type capitaliste et libéral une presse qui ressemble aux presse allemande et italienne, c’est-à-dire, qui, sans être positivement une presse d’Etat, soit toujours à la disposition de l’Etat. »
Dans ce contexte, les organes d’extrême droite ont beau jeu de dispenser leur propagande, aidés par les autorités. En zone Nord, ces journaux sont subventionnés par l’ambassade d’Allemagne à travers les éditions le Pont. Ainsi retrouve-t-on les anciens titres comme L’œuvre de Marcel Déat, Gringoire mais aussi de nouveaux titres comme Le Pilori, le Cri du Peuple de Jacques Doriot ou Les Nouveaux Temps de Jean Luchaire. La majorité porte la voix et l’idéologie des partis qui les contrôlent. Pourtant, la plupart de leur tirage reste inférieur à 20 000 exemplaires.
Je suis partout reste le plus lu de ces journaux. Sous la plume de René Brasillach, il évolue idéologiquement du fascisme italien au nazisme, avec un antisémitisme virulent : « Le juif, publie-t-il, est mercantile, intrigant, subtil, rusé. » En mai 1944, Je suis partout atteint les 200 000 exemplaires.
L’Action française de Charles Maurras, royaliste et nationaliste, véhicule une position plus nuancée. Hostile à l’Allemagne, elle voit en Vichy et Pétain les remparts à la prise du pouvoir par les communistes.
Cette presse collaborationniste évolue à partir du débarquement de Normandie. Certains préfèrent arrêter toute publication (Le Cri du Peuple, Le Téméraire, La Gerbe) alors que les plus engagés (Je suis partout, Le Matin) continuent de paraître jusqu’à la Libération avant d’être fermés, leurs journalistes arrêtés et le matériel saisi, souvent remis aux journaux issus de la Résistance.
La presse clandestine
Résister, c’est aussi combattre la propagande allemande et maréchaliste. Celle qui parle de terroristes en évoquant les maquisards ou qui fustige les agressions anglo-américaines sur les villes françaises.
Les journaux clandestins jouent donc un rôle majeur au même titre que Radio-Londres. Ils permettent aux esprits de s’ouvrir à d’autres réalités, d’autres espérances, d’autres modes de pensée. « L’arme de la vérité », comme il est écrit dans le numéro un de Combat, sert ainsi de contrepoids à la propagande officielle.
Les débuts de la presse clandestine sont difficiles. Publiée sous la forme de tracts ou de feuilles ronéotypées, l’information émane d’abord d’une volonté individuelle laquelle, au fil des mois, devient collective avant de se structurer et de devenir l’organe d’un mouvement de résistance, la majorité paraissant entre fin 1943 et début 1944. Simple feuille ou tirage de plusieurs centaines de milliers d’exemplaires, toutes ces publications participent au changement de l’opinion.
Nouveaux titres ou anciens partis et syndicats qui relancent leur publication d’artisanale, l’information devient l’affaire de tous : journalistes plus ou moins improvisés, imprimeurs, ouvriers du Livre, femmes et hommes qui assurent leur distribution au prix de multiples dangers.
Ainsi, l’imprimerie Subervie, à Rodez, est contactée pour assurer l’impression de Combat. Les clichés amenés clandestinement sont immédiatement mis sous presse. Dans la rue même où, coïncidence, deux jeunes femmes monnayent leur corps aux Allemands. Plus tard, le transport de clichés étant trop dangereux, un linotypiste est mis dans la combine. Et les numéros de Combat, nuit après nuit, s’impriment dans la préfecture endormie de l’Aveyron, acheminés sur une charrette à bras jusqu’à la gare et pris en charge par tout un réseau de diffuseurs anonymes. Un contact en appelant un autre, l’imprimerie Subervie se retrouve finalement à imprimer Combat mais aussi Libération, Franc-Tireur, Témoignages chrétiens et divers tracts. A l’occasion, l’imprimeur fournit de faux papiers. Tout cela sans jamais être pris en défaut malgré le bruit des machines la nuit, les possibles dénonciations et la surveillance des autorités.
Les difficultés matérielles, financières et humaines n’autorisent guère de nombreuses publications. La distribution du papier est sévèrement contrôlée. Les arrestations nombreuses. L’argent manque pour assurer leur parution. Ce qui explique la régularité aléatoire de plusieurs feuilles ou l’intermittence de leur tirage.
Les principaux titres, ceux qui subsistent jusqu’à la Libération, naissent en 1941. En juillet, Emmanuel d’Astier de la Vigerie crée Libération, avec le concours de Lucie et Raymond Aubrac. En tout, 52 numéros. La même année paraît Combat, né de la volonté d’Henri Frenay, de Georges Bidault, de Claude Bourdet et plus tard d’Albert Camus qui en prend la direction. 58 numéros paraissent pour un tirage de 300 000 exemplaires.
Le 1er avril 1941 sort des presses La Voix du Nord, le dernier titre de la presse clandestine encore existant de nos jours. Témoignages chrétiens, Franc-Tireur (décembre 1941), Défense de la France, Les Lettres françaises (septembre 1942) dans les colonnes desquelles signent Eluard, Aragon et Vildrac ou Résistance, publié par le réseau du Musée de l’Homme, montrent le foisonnement de la presse clandestine sous l’Occupation.
Désormais, une nécessité se fait jour : organiser l’information clandestine pour en faire un instrument de résistance à l’image des différents mouvements qui se structurent et s’unifient. En avril 1942, il revient à Jean Moulin de créer le bureau d’information et de presse avant, l’heure de la libération se précisant, de mettre en place, le 25 août 1944, l’Agence d’information et de documentation, qui préfigure la création de l’Agence France-Presse.
Si, début 1941, la presse clandestine tire à 100 000 exemplaires, elle atteint les deux millions d’exemplaires en 1944, pour une centaine de journaux et 400 à 500 organes régionaux ou locaux. C’est dire l’influence de plus en plus forte qu’exerce la presse clandestine sur l’opinion publique.
« Faire table rase… ? »
Dans les premiers jours suivant la Libération, des mesures sont prises pour épurer la presse. Les journaux parus après l’invasion allemande, soit le 25 juin 1940 pour la zone Nord, soit le 26 novembre 1942 pour la zone Sud sont interdits à l’exception de quelques cas comme La Croix et La Dépêche.
Les entreprises de presse et leurs locaux sont mis à disposition des journaux clandestins ou parus à la Libération. Cette mesure est confiée aux Domaines puis à la Société nationale des entreprises de presse. Ainsi, sur les 209 quotidiens exerçant en 1939, 192 sont interdits en 1946. C’est dire le bouleversement médiatique qui touche aussi l’agence Havas dont la branche information est nationalisée en même temps que les entreprises de radiodiffusion.
Une commission d’épuration délivre de son côté les cartes professionnelles aux journalistes. Pourtant, mis à part les plumes connues convaincues de Collaboration tels Brasillach, Céline, Luchaire…, seulement une dizaine de journalistes est sévèrement sanctionnée.
La volonté du G.P.R.F. (Gouvernement provisoire de la République française) d’assainir la presse se traduit soit par l’autorisation donnée aux nouveaux titres créés en 1944 ; soit à ceux qui, comme Le Figaro, Le Progrès, Les Echos…, se sont sabordés après l’invasion allemande de la zone Sud ; soit enfin à ceux qui ont été interdits dès le début de l’Occupation (L’Humanité) ainsi que pour quelques cas particuliers comme La Montagne ou La Croix.
Après cinq années de contrôle de l’information et de censure, la presse redevenue libre connaît un véritable engouement parmi les lecteurs français. En 1946, 28 quotidiens parisiens publient 6 millions d’exemplaires par jour. En province, 175 journaux régionaux ou locaux tirent à 9,2 millions d’exemplaires par jour. Mais le déclin est aussi rapide que l’embelli. L’idéalisation de la Résistance, dont les journaux se font largement l’écho au début, ne correspond plus à l’attente des lecteurs quelques années plus tard. En 1953, le tirage de la presse parisienne est redescendu à 3,4 millions d’exemplaires par jour et la province, à 6 millions d’exemplaires par jour.
La plupart des titres issus de la Résistance disparaissent dans les années 1950-1960, à l’exception de Défense de la France qui devient France-Soir.
La guerre a provoqué une importante mutation de la presse. Toutefois, l’espoir issu de la Résistance d’une presse largement indépendante fait vite florès, laissant à nouveau la place aux grands groupes de presse.


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