Les bons Tours de Trou-Trou et de Garrigou
Une dizaine de coureurs aveyronnais ont participé au Tour de France. Deux d’entre eux ont réussi l’exploit d’inscrire leurs noms aux cimaises de la Grande Boucle.
Le nom de Trousselier demeure dans la mémoire populaire comme l’un des plus attachants champions cyclistes de l’avant-guerre. Au point que la France sportive lui accorda le dénominatif affectueux de Trou-Trou. Comme on dira, soixante ans plus tard, Pou-Pou à propos d’un autre enfant du Massif Central.
Louis Trousselier est le fils de parents aveyronnais, natifs de Vimenet, contraints de s’exiler dans la capitale pour gagner leur vie. En bons rouergats qu’ils sont, à force de travail, ils ont monté un commerce de fleurs assez florissant, installé boulevard Haussmann.
Vainqueur de Paris-Roubaix
Dès qu’il est en âge de pédaler, le petit Louis sillonne Paris à vélo, livrant bouquets de roses et chrysanthèmes. De quoi vous former un futur champion, muscles d’acier et talent d’équilibriste. D’aucuns profiteraient du dimanche pour souffler. Louis préfère aller se frotter avec ses quatre frères aux cyclistes amateurs qui se tirent la bourre dans les courses de quartier ou de village. Il y gagne… quelques bouquets de fleurs et, surtout, une solide réputation.
Vient l’heure d’accomplir son devoir militaire. Trousselier est versé au 101e régiment de ligne, à Saint-Cloud, à quelques kilomètres de la maison. Profitant des permissions, il continue de participer à des courses cyclistes. En 1905, il remporte même le redoutable Paris-Roubaix, ce qui lui vaut d’être reconnu dans l’Auto, sous la plume d’Henri Desgranges, comme « le héros de l’enfer du Nord ». Et comme le Tour de France, qui en est à sa troisième épreuve, a besoin de vedette de cette trempe, Desgranges invite Trousselier à prendre le départ de la Grande Boucle, le 9 juillet.
Le problème, mais il est de taille, vient que Trousselier est sous les drapeaux et qu’il n’y a guère d’espoir pour que l’autorité militaire lui accorde une permission de 21 jours. Qu’a cela ne tienne ! Trousselier pose une « perme » de 48 heures… On avisera bien après. En réalité, Trousselier, qui manque de compétition, imagine mal terminer une épreuve aussi redoutable.
Le coureur-déserteur
La première étape conduit les soixante athlètes, de Noisy-le-Sec à Nancy. Une étape semée d’embûches : des saboteurs jaloux ont répandu, dès le 50e km, des clous sur la chaussée. Aucun coureur n’est épargné. Tandis qu’une bonne partie du peloton, écœurée, renonce, notre rude Rouergat s’entête contre l’adversité, répare à tour de bras, remonte un à un ses adversaires… et triomphe largement au terme de l’étape.
Le lendemain, la presse entière n’hésite pas à vanter l’avènement d’un grand champion devenu, à son corps défendant, le favori de l’épreuve. Désormais, Trousselier ne peut plus reculer. Le voilà condamné à remonter en selle, tremblant de voir surgir à chaque carrefour un couple de pandores chargé d’embarquer le déserteur.
Mais non, Louis Trousselier parviendra bien en vainqueur à Paris, à l’épatante moyenne horaire de 27 km 284, après avoir gagné cinq étapes. Sans compter un pactole de 25 000 F (à peu près 90 000 F actuels) qu’il s’empresse, le soir même de l’arrivée, d’aller jouer aux dés avec ses amis. Trousselier n’en ressortira qu’au petit matin, « rectifié à la passe anglaise » de son prix. Vingt-deux jours de labeur et de sueur pour une nuit de malchance : tel était Trou-Trou, joueur dans la vie et sur un vélo.
Quant à l’armée, confirmant sa réputation de Grande Muette, elle ne pipera mot de ce qui était passible du Conseil de Guerre. Sans doute, Henri Desgranges avait suffisamment usé de son influence pour protéger le lauréat de son épreuve. Non mais, des fois ! !
Poursuivant sa carrière, le fils de fleuristes remportera, jusqu’à la guerre, de nombreuses courses, couvrant neuf Tour de France. Sans jamais toutefois rééditer son exploit.
Garrigou : un dandy à vélo !
Le Tour de France 1911, qui a désormais pris son rythme de croisière, propose aux coureurs un parcours de 5344 km. Fin connaisseur de la petite reine, Henri Desgranges a, d’entrée, annoncé la couleur : « Faber devra se méfier de Garrigou, à qui il manque peu de choses pour gagner le Tour de France ». Gustave vient, en effet, de terminer les quatre derniers Tour entre la deuxième et la quatrième place. Le coureur de Vabre-Tizac, qui traîne, dans le peloton, une réputation de dandy, s’il n’est pas un coureur spectaculaire, spécialiste de grands exploits solitaires, sait, cependant, patiemment doser ses efforts, ce qui lui permet à chaque fois de collectionner les places d’honneur, sans connaître de graves défaillances mais sans jamais non plus décrocher la timbale. A cette époque, le classement du Tour se joue aux points. Le vainqueur doit donc être un coureur complet et avisé. Garrigou sait tout cela ! L’expérience plaide en sa faveur. 1911 sera la bonne année.
De nombreuses places d’honneur
Mais dans ces tours d’avant-guerre, les coureurs doivent aussi compter avec de nombreux aléas, tricheries et règlements de compte. Garrigou n’est pas épargné. L’empoisonnement d’un de ses principaux rivaux à la victoire finale (un bidon préparé par un soigneur adverse) jette sur lui la suspicion alors que l’Aveyronnais est, d’évidence, au-dessus de tout soupçon. Jeté cependant à la vindicte populaire, il doit traverser la ville de Rouen en catimini, escorté de trois voitures, sur une machine peinte en noir.
Comme Desgranges l’a annoncé, Gustave Garrigou arrive pour la première fois en vainqueur à Paris. Les trois années suivantes, il se classera encore respectivement 3e, 2e et 5e de cette épreuve. Des places d’honneur qui lui feront dire que « s’il n’avait pas été aussi combinard, il aurait eu un palmarès plus brillant qu’il ne l’est » ! Mais on sait bien que les palmarès sportifs ne retiennent que les vainqueurs ! Voilà pourquoi les noms de Garrigou et de Trousselier sont, aujourd’hui, plus ou moins oubliés.
A chacun son Tour !
Trousselier et Garrigou relégués au rang de soldats par les canons de la guerre ; le Millavois Di Maria oublié après ses deux Tours de 1908 et 1909, il faudra attendre 1929 pour voir le populaire Julou Merviel, de Saint-Beauzély, s’élancer sur les traces de ses deux glorieux prédécesseurs. Il remportera même une victoire d’étape l’année suivante (Bordeaux-Hendaye) avant une éclipse de quatre années. La poisse collera ensuite à sa roue comme une tique. Jusqu’à l’emporter sur son vélo, fauché par une voiture, à l’âge de soixante-douze ans. Signe du destin ? Alors qu’il vient de se fracasser la tête contre un camion dans la 12e étape du Tour 1935, le pauvre Julou est remplacé à la tête de la course par un autre routier aveyronnais, Honoré Granier, né à Saint-Izaire, qui échouera d’un souffle à Marseille, battu par ce grand escogriffe de Pélissier. Ce sera son seul Tour de France !
Après la guerre, quatre coureurs aveyronnais participeront à l’épreuve d’Henri Desgranges. Le Millavois d’adoption Daniel Orts, sélectionné en 1948 ; l’élégant Claude Colette, qui terminera sa vie à Villefranche-de-Rouergue après avoir participé à cinq Tours de France entre 1953 et 1960. Trois fois, il abandonnera, obtenant sa meilleure place (24e) en 1955 ; le populaire Manuel Basto, idole du Bassin Houiller et fils de réfugié espagnol qui s’illustrera dans six Tours entre 1957 et 1962, finissant second d’une étape en 1961. Plus près de nous, Philippe Louviot, installé à Capdenac, perpétuera la présence aveyronnaise dans le peloton du Tour de France de 1989 à 1994. Spécialiste du contre-la-montre, il récoltera plusieurs places d’honneur. Son heure de gloire viendra en 1990 quand, 56 ans après son grand-père, il triomphe dans le championnat de France sur route.
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