Roger Michelot. Une Marseillaise pour Hitler
La France, patrie des Georges Carpentier, Marcel Cerdan et Alphonse Halimi, n’a que rarement brillé en boxe lors des Jeux Olympiques. Ainsi faut-il attendre l’an 2000, à Sydney, pour voir le jeune Brahim Asloum mettre un terme à soixante-quatre ans de disette en or pour le noble art français.
En 1936, les XIe Jeux Olympiques doivent se dérouler à Berlin. Ainsi en a décidé en 1931 le Comité International Olympique, en dépit de la prise du pouvoir par Hitler et des lois de Nuremberg votées par les Nazis. Pour justifier leur décision, les instances dirigeantes se réfugient derrière l’idéal olympique et le refus de toute ingérence politique dans les Jeux.
En France, la polémique fait rage, par organes de presse interposés tandis que le gouvernement de Front Populaire, fraîchement élu, fait preuve d’un surprenant attentisme, les Jeux Olympiques ne faisant pas partie des priorités absolues.
Les pro-Berlin se retrouvent dans une large partie de la droite et de l’extrême droite. Ils encensent la parfaite organisation des Jeux et les valeurs du sport outre-Rhin. Le journal Candide écrit : « Voici les Allemands devenus les premiers des peuples sportifs, la première race du monde. Eternelle Germanie immuable ! Elle est forte, ce qu’elle fait est grand… Les nations à Etat autoritaire préparent les victoires sportives et les races fortes. Nous, nous préparons la guerre civile. On ne peut pas tout faire. » Des propos qui trouvent un écho chez l’écrivain antisémite Pierre Drieu La Rochelle : « Grâce au mouvement de Hitler, la Force par la joie, l’ensemble des Allemands s’adonnent au sport, tandis que les Français préfèrent aller au bistrot ou au cinéma et rentrer chez eux après avoir vu un film de gangster pour faire un bon dîner. »
La gauche, dans son ensemble et une partie de la droite, fustigent la participation des sportifs français aux Jeux de Berlin, lui préférant les Jeux populaires organisés en même temps à Barcelone. Le régime nazi est accusé de profiter de l’événement pour s’habiller d’une bonne conduite et s’offrir ainsi une vitrine aux yeux du Monde, les Jeux Olympiques étant filmés pour la première fois. Le Figaro parle alors des « Jeux du Reich » et non plus des Jeux de Berlin.
Les Nazis ont de leur côté fait les choses en grand. Ils ont construit l’Olympia Stadion, fort de cent vingt mille places. Ordre en même temps a été donné par les services du ministre de la Propagande Goebbels de ne rien tenter contre les Juifs durant les Jeux qui puisse déclencher une crise diplomatique. Journaux et affiches antisémites disparaissent ainsi comme par enchantement du paysage allemand. Pour les Nazis, la XIe Olympiade constitue à la fois un test grandeur nature de leur supériorité sportive, raciale et politique, annonciatrice de leur volonté hégémonique sur le Monde.
Le 1er août 1936, le boycott ayant été rejeté, c’est une délégation française forte de deux cent deux athlètes (191 hommes et 11 femmes) qui défilent devant le Führer, bras tendus comme l’exige le salut olympique, dont on ne peut que relever l’étrange similitude avec le salut nazi. Partout, des croix gammées flottent sur la ville et dans le stade. Hitler peut se réjouir. Les regards du monde entier sont tournés vers l’Allemagne.
Parmi les sportifs français, le boxeur Roger Michelot qui participe, à vingt-quatre ans, à ses secondes olympiades. Quatre ans plus tôt, à Los Angeles, il a échoué en demi-finale de la catégorie des poids moyens. Depuis cette date, il ne songe qu’à remporter le titre suprême. Il arrive à Berlin gonflé à bloc, fort de cent quatre-vingt-dix victoires en autant de combats dans la catégorie des mi-lourds. L’originaire de Saint-Dizier, qui n’est venu à la boxe qu’après avoir pratiqué le vélo et l’athlétisme, fait donc figure de favori mais il sait que sa tâche sera compliquée dans un Deutschlandhall acquis aux boxeurs allemands et particulièrement hostiles aux Français.
Toutefois, le boxeur possède un caractère bien trempé et des poings d’acier. Ses trois premiers combats ne sont d’ailleurs que pure formalité jusqu’à la finale où se dresse devant lui l’Allemand Richard Vogt.
Si Michelot lui rend huit bons centimètres de taille, il redoute surtout l’environnement hostile de la salle et la pression du public sur les juges. Il sait que pour prétendre au titre, sa victoire devra être large et incontestable.
Les deux premiers rounds lui donnent largement raison. Malgré une foule déchaînée, les coups de Michelot portent régulièrement et les points en sa faveur s’accumulent. Reste le troisième et dernier round. Vogt jette toutes ses forces dans la bataille, sublimé par son public. À plusieurs reprises, il touche le Français qui vacille mais ne rompt pas. Le match, qui est en train de changer d’âme, est interrompu par le gong final. Michelot sait qu’il sort vainqueur aux points malgré une fin de round défavorable et un public qui scande le nom de son champion : « Vogt ! Vogt ! Vogt ! »
Les juges ne se laisseront pas impressionner. Sans état d’âme, l’arbitre tend le bras du Français, au milieu du ring. Des sifflets et des cris fusent de partout. Qu’importe ! Roger Michelot est sacré champion olympique des mi-lourds, seize ans après Paul Fritsch à Anvers. Une médaille d’or qui s’ajoute à celle du poids moyen Jean Despeaux, qui entreprendra plus tard une carrière d’acteur.
Cependant, l’heure de gloire du boxeur français ne s’arrête pas à ce seul titre. Le lendemain 16 août, lors de la cérémonie de clôture, sa médaille lui est officiellement remise, faisant retentir la Marseillaise dans tout l’Olympia Stadion. À la tribune, Hitler, debout, doit écouter l’hymne français sans broncher. Une seconde victoire pour Roger Michelot qui vient s’ajouter à la légende de Jesse Owens et à l’histoire, beaucoup moins connue, du lutteur Emile Poilvé. Le chancelier allemand, en bon chef de gouvernement qu’il veut laisser paraître, a décidé de remettre personnellement au gardien de la paix français sa médaille. Poignées de mains ; médaille autour du cou : la cérémonie peut commencer quand retentit soudain l’hymne… turc alors qu’un drapeau… égyptien monte dans l’enceinte du stade, déclenchant la colère du Führer.
Roger Michelot, qui n’a plus rien à prouver en amateur, fera ensuite une courte carrière en professionnel avant de remiser ses gants. Il meurt à Toulon, en 1993, dans l’anonymat le plus complet.
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