L’ingénieur défenestré. 1886
Ils sont dix, ce 15 juin 1886, à être renvoyés devant la cour d’assises de l’Aveyron. Dix ouvriers et ouvrières, jeunes pour la plupart, qui comparaissent sous l’accusation d’homicide avec préméditation sur la personne de l’ingénieur des mines de Decazeville, Watrin.
Trois jours auparavant, la Compagnie a dû reculer devant la détermination des mineurs, en grève depuis janvier. Durant six mois ont défilé à Decazeville tous les grands leaders socialistes, Basly, Camelinat et Duc-Quercy. Le compositeur de l’Internationale, le poète Eugène Pottier, y est même allé de son couplet :
« Nous nous comptions quarante mille
Socialistes à Paris
La grève de Decazeville
A remué bien des esprits…
Notre grande armée est en marche
Mets en travers tes assassins
Nous sommes
Cent mille hommes ! »
Qu’il était loin le temps où quelques prophètes utopistes se glorifiaient des rapports patronat-ouvriers. On parlait alors du progrès industriel comme d’un vecteur d’émancipation sociale.
En visite en 1874 dans le bassin houiller decazevillois, un membre du congrès scientifique s’en fera d’ailleurs, à titre personnel, l’ardent propagandiste :
« Nous nous étions rapprochés d’une foule de travailleurs manuels, nous avions admiré leurs efforts ; ils nous avaient donné avec empressement toutes les explications techniques désirables ; nous avions pressé leurs mains ; n’était-ce point encore de la vraie et sérieuse fraternité que nous avions réalisée ? Et quel autre sentiment peut mieux remplir et satisfaire le coeur des hommes. »
Dans cette région qui s’est vouée au Dieu-Charbon, la réalité apparaît pourtant bien différente. Les ouvriers, issus pour la plupart du monde rural, travaillent dur, dans des conditions très pénibles, pour des salaires de misère servant à peine à nourrir leurs familles.
Tout commence le 26 janvier 1886. A la réception de leurs bordereaux de salaire, les ouvriers constatent que leur paye a été ponctionnée. Sans attendre, sous la conduite de Jules Puech et de Louis Bedel, une colonne d’ouvriers se met en marche. Cette fois, il faudra bien que la Compagnie cède à leurs revendications.
A 8 heures, une centaine de mineurs en colère investit les puits de Lavaysse et de Combes. Les meneurs n’ont aucun mal pour convaincre les ouvriers à rejoindre leur mouvement. La petite troupe se dirige ensuite vers le puits de Bourran, le plus important de tous. Les premiers incidents éclatent entre grévistes et non-grévistes quand ces derniers veulent forcer le barrage qui les empêche de se rendre à leur travail.
« On ne passe pas ! s’exclame le mineur Bedel au sous-ingénieur Verzat qui tente de pénétrer dans l’enceinte. Nous laissons passer les gardes-barrages mais pas les ouvriers. »
Une brève mais violente échauffourée éclate. Plus déterminés que jamais, les grévistes prennent le dessus.
« Coupons le câble qui descend au fond, crie le mineur Souquières. Personne ne pourra ainsi descendre. »
Un coup de hache brise net le câble.
En quelques heures, l’arrêt du travail s’étend à l’ensemble des puits. Il est temps désormais de porter les revendications auprès de la direction. C’est dans un climat d’exaltation incontrôlable, où la colère ordonne la marche des grévistes qu’un groupe d’une cinquantaine d’ouvriers croise l’ingénieur Watrin qui sort de la forge pour rejoindre son bureau.
Quand Bedel aperçoit le sous-directeur de la Compagnie, il l’interpelle d’une voix excitée :
« Nos salaires ont encore baissé. La Compagnie doit payer ce qui nous est dû. »
Watrin écoute le mineur, qu’il a par ailleurs renvoyé quelques mois auparavant pour mauvaise conduite. Mais l’ingénieur n’est pas homme à traiter sous la pression de la foule. Il se garde bien pourtant de renvoyer le groupe. Toisant Bedel de sa haute stature, il lui répond :
« Si vous avez quelque chose à me dire, venez me voir dans mon bureau. »
Depuis son arrivée à Decazeville, en 1880, Watrin a réussi à liguer contre lui la majeure partie de la population. On lui reproche ses origines lorraines, alors sous occupation prussienne. Cet homme de grande taille, aux yeux bleus et sévères, est aussi connu pour ne pas avoir d’état d’âme. Seule compte pour lui la bonne marche de la Compagnie. Les bénéfices de la Société s’amenuisant, il a été engagé pour mettre un peu d’ordre dans les finances et organiser une gestion plus rentable de l’entreprise.
Watrin s’y est attelé sans tarder. Les ingénieurs, notamment, sont appelés à faire preuve d’une plus grande sévérité à l’égard de la discipline.
« Les vols, les retards, les excès de boisson, leur déclare-t-il, doivent être sévèrement sanctionnés, s’il le faut jusqu’à l’exclusion. »
Pour sortir la Compagnie de la crise, ce technocrate d’avant l’heure comprend aussi l’impérieuse nécessité d’économiser sur tout. Les salaires sont ainsi revus à la baisse, ce qui provoque des tensions parmi les ouvriers dont la misère, déjà élevée, ne peut supporter de nouvelles ponctions. Un sou étant devenu un sou, Watrin se montre aussi de plus en plus exigeant et attentif aux fournitures achetées par la Compagnie, notamment vis-à-vis des entreprises de boisage qui préfèrent augmenter leurs bénéfices aux dépens de la sécurité.
Personnage désintéressé, indépendant de tout système politique, ses manières paternalistes ont fini par exaspérer tout le monde. Les commerçants decazevillois en sont les dernières victimes. En effet, Watrin a créé une coopérative de consommation proposant aux ouvriers le pain et la viande, qu’il envisage d’étendre bientôt à l’épicerie, aux vêtements et aux chaussures. C’est tout bénéfice pour la Compagnie, qui récupère par ce biais la majeure partie des salaires qu’elle verse. Pour les commerçants, c’est tout simplement une concurrence déloyale et un manque à gagner conséquent.
Toutes les parties qui ont subi ces restructurations n’ont alors de cesse de monter les ouvriers contre l’ingénieur, rendu responsable de tous les maux. Les rancunes envers Watrin ne feront que s’accroître. En 1885, des mains mystérieuses tracent à la craie sur les murs de la ville : « Watrin est condamné. » En passant devant, bien des visages exprimeront un sourire de satisfaction.
Des voix discordantes se sont aussi élevées lors des élections législatives d’octobre 1885. Les monarchistes, conduits par Cibiel, membre du Conseil d’administration de la Compagnie, ont subi une cuisante et surprenante défaite face aux républicains. Dans la continuité, des licenciements sont intervenus frappant des ouvriers connus pour leurs opinions républicaines.
Bref, toutes les conditions sont réunies pour qu’une crise éclate à Decazeville.
Sans attendre la réponse de Bedel, Watrin a continué à marcher vers son bureau. Impressionnés par son assurance et son autorité, les ouvriers hésitent à le suivre. Bedel, qui n’a rien à perdre dans cette affaire, se tourne vers eux et les houspille :
« Lâches, leur crie-t-il, vous l’avez maintenant devant vous et vous n’osez rien lui dire. »
Les mots de Bedel sont ressentis comme une offense. Ces hommes, dont l’instruction n’est pas le fort, mais qui possèdent du courage et de l’honneur à revendre, s’élancent alors derrière l’ingénieur et envahissent son bureau.
L’épreuve de force commence. Watrin dévisage les mineurs les uns après les autres, s’étonne de leur intrusion violente et tente de raisonner ceux qu’il pense être les plus faibles. Bedel sent le danger qu’il y a à s’aventurer plus avant dans une discussion dont le sous-directeur sortira forcément vainqueur.
« Assez discuté, crie-t-il en se plaçant derrière lui. Vous viendrez avec nous de gré ou de force. »
Puis, s’adressant aux mineurs, il s’écrie :
« Enlevez-le, ou étranglez-le ! »
Un flottement s’installe parmi la vingtaine de mineurs qui ont investi le bureau. S’en prendre ainsi au représentant de l’autorité patronale peut leur coûter leur place. Plus habitués à courber la tête qu’à l’affrontement direct, ils hésitent sur la conduite à tenir. Sentant leur appréhension, Bedel empoigne la chaise du sous-directeur et, faisant mine de la soulever, il hurle :
« Enlevez-le. Si vous n’osez lui parler, emparez-vous de lui. »
Devant cette nouvelle détermination, Watrin accepte d’accompagner les mineurs à la mairie de Decazeville où les revendications sont exposées en présence du maire, le docteur Cayrade, envers qui les grévistes ont toute confiance. A l’employé Girard, qui se propose de l’accompagner, Watrin répond :
« Non, c’est inutile. Je vais à la mairie. Une fois là, je n’aurai rien à redouter. »
Pour rejoindre la maison communale, la troupe doit emprunter un chemin escarpé qui débouche sur la place du duc Decazes, le fondateur de la cité minière. Avertis de la manifestation, bon nombre de femmes et d’enfants sont accourus sur le parcours, si bien que le cortège atteint maintenant les deux cents personnes, vociférant plus que jamais contre cet ingénieur maudit, responsable de toutes leurs misères.
« A mort Watrin !
-Tuez le Prussien, crie une femme tenant dans la main une embarre, ce morceau de bois dont les mineurs se servent comme freins pour stopper les wagonnets.
-A l’eau, à l’eau ! »
Joignant alors le geste à la parole, des pierres sont lancées contre Watrin. Une femme se précipite sur lui et barbouille son visage de boue. Sous la protection de deux autres ingénieurs qui, alertés par le tumulte, se sont précipités à sa rescousse, Watrin atteint enfin les marches de la Mairie, cernée par une foule de plus en plus hostile que mène avec fierté Bedel, tout auréolé par son rôle de meneur.
Ayant trouvé refuge dans la salle de la justice de paix, les trois hommes ne se trouvent pas pour autant à l’abri. Entraînée par Bedel, la foule s’est engouffrée sur leurs pas, refusant de céder ce qu’elle considère comme son butin le plus précieux.
Averti de la révolte et sentant poindre sur sa personne toute l’importance de sa fonction, le docteur Cayrade fait bientôt son entrée dans la salle, ceint de son écharpe tricolore, suivi de quelques conseillers municipaux et de trois membres des forces de l’ordre. Bien peu à vrai dire pour une manifestation qui menace de dégénérer. Dans la salle, le tumulte est général. Les gens crient et vitupèrent, s’excitant mutuellement. La marmite est en ébullition et le couvercle menace de sauter au moindre mouvement suspect ou à la moindre parole malheureuse.
Exhortant la foule à faire silence, le docteur Cayrade réussit à ramener le calme. Cet homme, à l’envergure imposante, au visage barré d’une épaisse moustache, avait su peu à peu s’imposer aux ouvriers, malgré toutes les embûches tendues par la Compagnie pour lui barrer le passage de la mairie. Après s’être inquiété de leurs revendications, il conseille aux mineurs de sortir pour aller désigner des délégués qui seront chargés d’exprimer clairement leurs doléances.
Les plus extrémistes ne voient dans cette proposition qu’une manoeuvre pour les éloigner de Watrin. Plusieurs s’écrient :
« A mort Watrin !
-C’est sa peau qu’il nous faut !
-Si nous sortons, il s’échappera ! Nous le voulons pour lui faire faire une promenade. Nous vous le rendrons.
-A l’eau, le Prussien ! »
La majorité, cependant, écoutant les conseils du Maire, décide de se réunir sans attendre au café des Mines pour mettre en forme leurs revendications. Au retour, les délégués formulent sept exigences :
-1°) Fixation à 5 francs du minimum de la journée de l’ouvrier mineur, piqueur ou boiseur.
-2°) A 3 f. 75 (au lieu de 3 f 50) celle de l’ouvrier remblayeur ou rouleur de fond.
-3°) Réduction des heures de travail.
-4°) Réembauchage des ouvriers renvoyés à l’occasion de la grève de 1878.
-5°) Promesse de ne pas inquiéter les délégués actuels.
-6°) Paiement par quinzaine.
-7°) Démission immédiate de M. Watrin.
L’ingénieur entend ces sept revendications mais il n’est pas dans son pouvoir de prendre la responsabilité d’en accepter l’ensemble. Il veut bien obtempérer sur le paiement par quinzaine mais pour le reste, il demande que l’on veuille bien attendre le lendemain après-midi et le retour du directeur, M. Petitjean.
Quant à sa démission, Watrin en fait une question d’honneur personnelle. Il est impensable pour lui de se démettre sous la pression de la foule. S’adressant aux délégués et au maire, d’une voix d’où l’on ne relève pas le moindre soupçon de frayeur, il affirme :
« Il s’agit des intérêts essentiels de la Compagnie. M. Petitjean, l’administrateur délégué, doit revenir demain et c’est avec lui que les délégués pourront négocier utilement. Quant à ma démission, il ne m’est pas permis d’en traiter avec les délégués. Je tiens mon mandat de sous-directeur de la confiance de la Compagnie. Je ne puis m’en démettre qu’entre ses mains si elle veut m’en décharger. »
Un mineur l’interrompt.
« Comment, s’écrie-t-il, rouge de colère, vous dites que vous n’avez pas le pouvoir de traiter seul, mais vous avez bien eu le pouvoir de me faire licencier.
-Attendez à demain l’arrivée de M. Petitjean, répète Watrin. Lui seul peut régler vos problèmes. »
A l’annonce du refus d’accepter les revendications formulées, la foule redouble de fureur.
« Vous signerez votre démission irrévocable, lui crie-t-on de l’extérieur.
-Gare à vous. Notre patience est à bout. »
Depuis le début de la grève, les autorités préfectorales sont tenues au courant du déroulement des événements. Le préfet a convoqué l’ingénieur des mines du gouvernement, lui donnant mission de gagner Decazeville pour régler le conflit. M. Laur arrive au moment même où la foule, massée devant la mairie, exige que Watrin leur soit remis.
Devant mille cinq cents personnes, prenant son courage à deux mains, l’ingénieur tente de calmer les esprits.
« Je suis ici, au nom du gouvernement qui veut votre bien. Soyez calmes. Justice sera faite. »
Ecoutant le programme des revendications, il propose habilement de détourner le flot de colère des ouvriers en les invitant à venir vérifier en sa compagnie les problèmes de sécurité dont se plaignent depuis belle lurette les mineurs.
« Il est de mon devoir, ajoute-t-il, en cet état de grève, de prendre des précautions pour la conservation des sites houillers. »
Malgré les recommandations, l’ingénieur Watrin exige de les suivre. Son fichu devoir et l’exigence de sa tâche vont le mener à sa perte.
S’approchant de l’ingénieur en chef, le docteur Cayrade lui chuchote à l’oreille :
« Au moins, ne le quittez pas ! »
Quand la foule aperçoit Watrin au milieu du petit groupe qui sort de la mairie, elle hurle à nouveau :
« A mort le Prussien !
-A l’eau, au bassin. »
Une pluie de cailloux s’abat sur les membres encadrant le sous-directeur. Devant cette situation imprévue, l’ingénieur en chef Laur décide prudemment de se réfugier dans les vieux bâtiments qui servaient autrefois de bureaux à la Compagnie. L’ingénieur Watrin, ses collègues Chabaud et Verzat s’élancent vers le premier étage. Réfugiés dans une grande salle, ils la ferment prestement à clef.
Dehors, la tension monte d’un cran. Des femmes, de plus en plus nombreuses et les plus acharnées, ont rejoint le gros des troupes. Le docteur Cayrade, l’ingénieur Laur, le commissaire de police Peyrot, le sergent de ville Cantaloube auxquels se joignent le sous-préfet Simon et le procureur de la République Vacquier n’arrivent plus à contenir la folie meurtrière d’une foule que plus rien ne peut arrêter pour assouvir sa vengeance provoquée par tant d’années de misère.
« J’ai dix-huit ans, s’exclame un jeune mineur du nom de Caussanel au sous-préfet qui tente de le raisonner. Croyez-vous que je veuille perdre la fleur de mon âge à travailler pour ne rien gagner ? Il faut qu’il crève, il a fait trop de misère dans le pays. »
Mais déjà, une échelle est dressée contre la façade. Si les ouvriers ne peuvent gagner l’étage par les escaliers, ils l’atteindront par les fenêtres. La première pièce est vide. Après plusieurs tentatives infructueuses, les assaillants tentent d’ouvrir la porte d’une chambre, fermée de l’intérieur. Malgré les coups de sabots, la porte résiste. Avant qu’elle ne soit enfoncée, Watrin donne l’ordre d’ouvrir.
Lescure, le premier, pénètre dans la pièce. Dans ses mains, il tient une embarre qu’il brandit devant Watrin. L’ingénieur peut à peine esquisser un cri. Un coup violent au front le projette au sol. L’ingénieur Chabaud subit à son tour un sort similaire. Sur ces entrefaites surgissent les hommes qui ont tenté de défendre l’escalier d’accès. Lescure et son groupe battent prudemment en retraite, inquiets sans doute des conséquences judiciaires de leurs actes.
Le docteur Cayrade, affolé par les événements qu’il ne contrôle plus, demande à Watrin de démissionner. L’ingénieur, qui perd abondamment son sang, refuse d’un geste. Chabaud fixe de ses yeux hagards le maire, avant de lui répondre avec un air de reproches :
« Monsieur, on ne demande pas la démission à un homme qu’on vient d’assassiner. »
La nuit est maintenant tombée. Les bâtiments de la forge et des hauts-fourneaux, éclairés par le reflet des flammes, revêtent des formes bizarres. On dirait l’immense bivouac d’une grande armée. La situation devant les bâtiments devient explosive. Plusieurs manifestants décident qu’il faut en finir au plus vite. La Troupe risque d’arriver d’une minute à l’autre et nul ne sait comment cela peut se terminer. Les mineurs gardent en mémoire la fusillade de 1878 qui a coûté à Aubin la vie à dix-sept ouvriers.
Appuyant plusieurs échelles sur la façade, les mineurs menacent à nouveau de pénétrer dans la pièce quand le docteur Cayrade réussit à se faire entendre pour la dernière fois.
« Mes enfants, clame-t-il à la foule, je puis vous donner ma parole d’honneur que la démission de M. Watrin est obtenue. Vous pouvez vous retirer maintenant. »
Après avoir convaincu Watrin, le maire pense bien avoir gagné la bataille et calmé les ardeurs. Mais rien n’est plus versatile qu’une foule excitée. Le silence se fait un instant puis, de la foule, part un cri :
« C’est sa peau que nous voulons et pas sa démission ! »
D’autres cris se conjuguent au premier.
« Nous le voulons pour promener.
-Nous voulons le tuer, qu’on nous tue après. »
A cet instant précis, la foule vient de franchir le seuil d’humanité qui préside généralement à son comportement naturel. Rien, désormais, ne peut plus l’arrêter. Pour exorciser leur misère, les mineurs veulent du sang. Aucune mesure ne pourrait les convaincre de rebrousser chemin.
Une nouvelle ruée se déroule vers le bâtiment. Pendant ce temps, l’ingénieur Watrin, dont l’état inspire de vives inquiétudes, est transporté dans une pièce voisine, chauffée par une cheminée. Il y est bientôt rejoint par le procureur de la République, le sous-préfet, le juge d’instruction et le maire de Decazeville.
Sourdes à la raison, rendues furieuses comme des bêtes, quarante personnes pénètrent dans la pièce sur leurs talons. Le docteur Cayrade se dresse devant eux. De sa canne, il tente désespérément d’éloigner les assaillants de l’ingénieur, qui s’est réfugié entre lui et le mur. Mais le combat est inégal. Les ouvriers ne portent pas la main sur le docteur mais ils réussissent à se glisser dans son dos. A plusieurs, ils attrapent l’ingénieur par les cheveux et le frappent de coups de poing. L’ingénieur n’est plus qu’un pantin chancelant quand un mineur abat sur lui la barre servant d’espagnolette à la fenêtre. Le docteur Cayrade et les défenseurs présumés regardent avec effroi la scène terrible qui se déroule sous leurs yeux, impuissants devant cette folie meurtrière qui a gagné tous les esprits.
Tandis que les ingénieurs Chabaud et Verzat réussissent de justesse à s’enfuir par les toits, des femmes pénètrent à leur tour dans la pièce. Sous leurs fichus, leurs visages n’expriment que de la fureur. Ces femmes de mineurs désirent leur part de vengeance. Elles qui n’arrivent pas à nourrir leurs moutards, elles qui voient leurs enfants descendre de plus en plus jeunes à la mine, elles qui se voient vieillies avant l’âge par les travaux, ne veulent rien abandonner aux hommes.
Si ce n’est déjà plus des femmes qui ont pénétré dans la pièce, ce sont bien des furies qui s’emparent de Watrin, le traînant vers la porte pour le montrer à la foule. Toujours conscient, l’ingénieur tente de s’accrocher, griffe les murs de ses ongles pour s’y accrocher. Un coup de poing le projette contre le mur à gauche de la cheminée. Sa tête éclate contre la cloison, laissant traîner une tache de sang et l’empreinte d’une main sanguinolente.
L’horreur n’a pas encore atteint son paroxysme. Dehors, la foule réclame aussi de participer au spectacle.
« Par la fenêtre, envoyez-le ! » crie-t-elle en coeur.
Souquières, Chapsal et Granier décident de la contenter. Saisissant le corps de l’ingénieur, ils le portent vers la fenêtre et le présentent à la foule, tendant les poings et brandissant des bâtons ou des embarres.
D’un mouvement, les trois hommes précipitent Watrin par la fenêtre. Un bruit mat termine la chute du corps qui se disloque sur une meule à aiguiser. De ce corps qui se trouve maintenant à leurs pieds, s’ouvrent de terribles meurtrissures. Pour autant, personne ne désire en rester là. Comme ces pèlerins souhaitant toucher des reliques, la foule des mineurs et des femmes veulent à tour de rôle participer à la curée. L’ingénieur est griffé, lacéré par des ongles meurtriers ; ses vêtements sont déchirés. Les femmes les plus acharnées, se moquant de son anatomie, n’hésitent pas à le souiller, sous les quolibets des mineurs.
Encore plus acharnée, atteignant le comble de l’hystérie, telle une panthère, une femme se précipite avec un couteau pour lui arracher son sexe. Des mains réussissent à la saisir avant d’accomplir son geste sauvage. Satisfaite, repus de colère, la foule se retire enfin, croyant laisser sur le sol un cadavre. Or, il n’en est rien. Un souffle de vie anime encore le corps de l’ingénieur. Après une longue attente où lui sont administrés les derniers sacrements, Watrin est transporté à l’hospice où il expire vers minuit.
Le lendemain, Decazeville se réveille avec la gueule de bois, dans une situation de quasi occupation militaire. Les couche-tard, ceux qui se sont attardés dans les cafés pour finir d’épancher leur colère dans le vin et l’absinthe, peuvent apercevoir, arpentant les rues et gardant les locaux, trois compagnies du 81e de ligne dépêchées par le préfet depuis Rodez, qu’accompagnent une brigade de gendarmerie.
A potron-minet, quand les mineurs regagnent leurs lieux de travail pour s’enquérir de la suite à donner au mouvement, tous sont impressionnés par le déploiement de force. Place Decazes, un détachement du 15e de ligne stationne en tenue de campagne, sac au dos et baïonnette pointant au canon. Sur la route, ils croisent des cavaliers, casques à crinières et sabres pendant le long de la croupe des chevaux.
Pour faire retomber la tension que ne manquera pas de provoquer le stationnement des troupes dans la ville, le préfet de l’Aveyron prend aussi la sage décision de réunir toutes les parties concernées par le conflit. Le représentant de l’état reconnaît légitime la majeure partie des revendications mais il demande aux délégués des mineurs un délai de six semaines pour qu’elles puissent entrer en vigueur.
« Nous ferons crédit à la Compagnie de six semaines de patience, acquiescent les délégués, qui se retirent pour aller annoncer la nouvelle à leurs camarades.
Les revendications réglées, reste en suspens l’assassinat de l’ingénieur Watrin. L’autorité préfectorale a reçu le lendemain de l’émeute l’ordre de tout mettre en oeuvre pour arrêter les coupables. Déjà, la presse nationale tire à boulets rouges sur les responsabilités des uns et des autres au cours de la journée du 26 janvier. L’extrême gauche, si elle ne revendique pas directement l’assassinat, l’estime inéluctable dans le cadre d’une misère ouvrière dont elle rend responsable la classe bourgeoise. Du côté de la presse conservatrice, c’est bien sûr un autre son de cloche. L’Illustration, qui a dépêché sur les lieux un de ses correspondants, publie, sur la foi de témoignages et avec force détails descriptifs, le film des événements, mettant en parallèle le courage de l’ingénieur et la sauvagerie de ces hommes et de ces femmes, « ces gueules noires » qui n’ont manifesté à aucun moment un seul sentiment d’humanité.
Le 28 janvier, Caussanel, Bedel, Blanc, Lescure et Marie Pendariès sont arrêtés, sous l’inculpation de participation au meurtre et d’atteinte à la liberté de travail. D’autres arrestations suivront. Plusieurs prévenus sont traduits devant le tribunal correctionnel de Villefranche-de-Rouergue, qui les condamne à des peines de quinze jours à trois mois fermes.
La justice poursuit ses investigations les semaines suivantes. Souquières, Griffoul, Granier, Chapsal et Marie Phalip sont à leur tour jetés en prison. Avec l’arrestation des principaux meneurs, en présence de forces armées qui laissent peu de chances aux ouvriers de se révolter, la Compagnie estime qu’il est temps de revenir en arrière sur toutes les promesses qui ont été faites.
Aussitôt, la grève reprend. Car les mineurs de Decazeville ne sont plus seuls. La France entière se mobilise en leur faveur. Symbole de l’oppression et de la révolte, Decazeville est devenue une sorte de répétition générale avant « le grand soir » qui provoquera l’effondrement de la société capitaliste et l’émancipation des travailleurs. Tous les leaders socialistes se font un devoir de descendre à Decazeville. Dans les cafés enfiévrés et enfumés, les mineurs écoutent Basly, Camelinat et Duc-Quercy parler de liberté syndicale, de conquêtes ouvrières, de revendications justes et de lutte des classes. Ces hommes et ces femmes ne comprennent certainement pas tout mais ils savent que ces orateurs parlent de leur misère et ils les soutiennent.
Partout, des meetings de soutien s’organisent ; les municipalités les plus engagées envoient des secours sous forme d’argent ou de vivres. Un formidable élan de solidarité se forme, permettant aux mineurs de Decazeville de tenir jusqu’au 12 juin, jour où la Compagnie accepte d’augmenter les salaires. La reprise du travail intervient le 14 juin.
La capitulation de la Compagnie n’est sans doute pas innocente. Le 15 juin doit s’ouvrir à Rodez la deuxième session de la Cour d’assises de l’Aveyron qui a à juger les dix inculpés de Decazeville. Les revendications acceptées, le champ est libre pour la justice de faire preuve de la plus grande sévérité à l’égard des meneurs.
Les débats dureront six audiences, du 15 au 20 juin 1886.
Ils sont à la mesure de l’événement. Les publicistes ont parlé de procès du siècle. A voir le déploiement de forces, ils ne se sont guère trompés. Trois jours avant l’ouverture des débats, le palais de justice a été livré aux charpentiers et aux menuisiers, la salle d’audience devant pouvoir accueillir la presse et le public, annoncé fort nombreux. A l’extérieur, le Tribunal est converti en citadelle. Huit guérites avec sentinelles gardent tous les abords. Au jour prévu, dès 8 heures, une garnison de cent hommes boucle le palais de justice. Tous les débouchés donnant sur la rue Sainte-Marthe sont aussi gardés par des pelotons de soldats tandis que des gendarmes à cheval sillonnent les rues adjacentes. Par l’entrée du boulevard Galy se faufilent déjà dames de la bonne société, officiers, gendarmes en uniforme, tous porteurs d’un laisse-passer. Côté boulevard Laromiguière c’est par contre un flot de blouses bleues et d’habits noirs qui déferlent vers la salle d’audience.
A 9 heures 15, la Cour rentre en séance. Derrière le président Mattéi et ses deux assesseurs prennent place le colonel du 81e Régiment, l’officier du service du Palais, le commandant et le capitaine de gendarmerie. Au mur trône un Christ gigantesque, garant de la justice divine et humaine.
Les inculpés prennent place les premiers dans le box. A 8 heures 14, un omnibus de la société Bousquet les a convoyés de la prison jusqu’au Tribunal. Seul, Caussanel, le jeune manoeuvre de dix-neuf ans a dû, par manque de place, effectuer le trajet à pied, menottes aux mains et encadrés par deux gendarmes.
Marie Pendariès, Blanc, Bedel et Lescure s’assoient au premier rang. Entre deux gendarmes, Caussanel, la tête reposant sur ses deux poings, regarde d’un air désabusé la salle qui se remplit. Derrière a pris place Eulalie Phalip, la petite laveuse de charbon puis viennent Puech, Chapsal, Granier et Souquières. A leur gauche, légèrement surélevé, le procureur général se penche déjà penché sur ses notes.
Avant l’ouverture de l’audience, la salle ressemble à une énorme ruche. Pas une place n’est libre. Le public fixe avec attention le banc des publicistes dont les quotidiens ont largement couvert l’affaire depuis ses débuts. Trente-trois journaux, représentés par une vingtaine de correspondants, ont fait le déplacement de Rodez. On reconnaît parmi eux Bataille du Figaro, Clair-Guyot de l’Illustration, Fournière du Cri du Peuple. Les journaux aveyronnais n’étaient pas en reste, notamment l’Aveyron Républicain et le Journal de l’Aveyron, qui ont décidé de consacrer plusieurs pages à l’événement, agrémentées de dessins.
A 14 heures débutent les interrogatoires. Ils dureront tout l’après-midi. Les uns après les autres, tous les accusés nient toute participation formelle à l’assassinat de l’ingénieur. Cependant, pressés de questions, la plupart se perdent dans leurs contradictions.
« Le sous-préfet a remarqué votre acharnement, insiste le président en désignant Marie Pendariès. Vous étiez au premier rang, criant : “Au bassin !”
-On criait, et j’ai crié comme les autres.
-Avez-vous dit à M. Laur, ingénieur : « Vous voulez le faire filer, mais vous n’y réussirez pas, nous l’aurons ce soir » ?
-Je n’ai pas dit ça.
-Le sous-préfet vous a vu dans la salle prenant M. Watrin aux cheveux et criant : « Il nous faut Watrin ! Je le veux !”
-C’est faux, le témoin se trompe.
-De votre prison, vous avez écrit à Blanc, et vous lui disiez : « J’ai vu passer Watrin par la fenêtre ».
-Je ne sais pas écrire, je me serais trompée, un jour étant ennuyée, j’ai écrit, mais cela pour me distraire. Je n’étais pas dans la salle où était M. Watrin, je le jure. »
Pour le président, le procès tourne autour d’une question fondamentale. Doit-on, dans le cadre de l’assassinat de l’ingénieur Watrin, incriminer un mouvement de foule qui a dégénéré et, dans ce cas précis, peut-on désigner précisément les coupables ? Ou bien l’assassinat a-t-il été le fait de quelques personnes qui ont profité de la manifestation pour faire un mauvais sort à l’ingénieur ?
L’interrogatoire des inculpés achevé, le Président a marqué des points en faveur de la première option sans pour autant avoir réussi à établir d’une façon certaine le rôle exact de chacun. Il demeure dans tous les cas un sentiment de flou qui jouera par la suite un rôle dans le verdict.
L’audition des témoins occupe six séances pleines, du 16 au 18 juin. Cent quinze sont cités par l’accusation, onze par la défense. Lorsque l’audience du 18 juin est suspendue, personne ne peut décrire avec exactitude la personnalité de l’ingénieur Watrin.
Ancien employé de la Compagnie, Pierre Galtier parle d’un homme froid, d’aspect hautain et travailleur, qui exerce une surveillance assez active sur le personnel.
« Quand il avait une idée en tête, il en poursuivait la réalisation jusqu’au bout », précise-t-il au président.
Gustave Petitjean, administrateur-délégué de la Compagnie, dessine un portrait tout à fait différent de son ingénieur.
« D’après vous, questionne le président, quelles seraient les causes de la mort de M. Watrin et de la haine des ouvriers contre lui ?
-M. Watrin avait un caractère très facile ; il montrait beaucoup d’intérêt aux familles des ouvriers. Lorsqu’il les questionnait sur leurs affaires par intérêt pour eux, ceux-ci n’y voyaient qu’une manière d’espionnage. La société coopérative a été mal comprise aussi. En la fondant, M. Watrin n’avait eu qu’un but : diminuer les charges des ouvriers. »
Le premier avocat de la partie civile, maître Aubin, a bien compris l’intérêt d’effacer de l’esprit des jurés l’image négative de l’ingénieur. Il s’efforce de tracer de lui un portrait flatteur, « dur pour le mauvais ouvrier et le voleur, mais inflexible pour lui-même ».
« On a dit qu’il était arrivé à Decazeville, chassé par la haine des ouvriers ; une enquête a été faite, quarante témoins entendus. Jamais aucune plainte d’ouvriers n’est parvenue aux directeurs des usines où il fut employé ; un ingénieur qui a été sous ses ordres a déclaré qu’il leur répétait souvent : “Soyez bon pour vos subordonnés, ne perdez jamais de vue les difficultés de leur existence”.
Avant de regagner son siège, il s’exclame :
-Rendez-nous ce cadavre exploité, rendez-nous le sans les souillures, sans la boue dont on l’a couvert. »
Il est 20 heures. Dans la salle, les assesseurs allument les bougies, donnant au décor une atmosphère grave et surréaliste. Nerveusement, les publicistes prennent leurs notes et les font passer aux employés pour être télégraphiées.
Maître Léon Renault, toujours pour la partie civile, prend à son tour la parole. A propos de son client, il parle de réhabilitation. Puis retraçant les événements en démontrant le rôle pervers du maire de Decazeville, protecteur de Watrin mais aussi allié des ouvriers, il réclame avec force contre les accusés une condamnation sévère du jury.
« Ce sera le châtiment de ces gens qui, exploiteurs eux-même, parlent d’exploitation, de ces ambitieux coupables qui s’efforcent de hausser de quelques centimètres ce qu’ils appellent piédestal et que j’appelle pilori. »
Le samedi 19 juin, le procureur général Baradat prononce son réquisitoire. D’emblée, il recentre les débats dans un contexte strictement judiciaire.
« Ce procès considérable, qui par ses origines a donné naissance à tant de questions, touche à sa fin.
Lorsque les faits qui amènent aujourd’hui les accusés sur les bancs de la Cour d’assises se sont passés, ils ont produit dans le monde politique une émotion qui dure encore. Les journaux s’en sont emparés au point de vue de la question sociale ; les pouvoirs publics, à leur tour, ont examiné les droits des patrons et les revendications des ouvriers. Les éminents contradicteurs que j’aperçois de l’autre côté de la barre ont pris eux-mêmes dans ces questions, une large et brillante part. Je crois que cette période politique est close ; je crois que ceux qui essaieraient d’immiscer la politique dans ces débats, ont une autre thèse à soutenir… »
Ceci étant dit, le procureur entreprend de délimiter la part de responsabilité qui incombe à chaque accusé et, une fois ce fait établi, ce que sera la sanction pénale dévolue à chacun.
« Gardez-vous bien, conclut-il en s’adressant aux jurés, de considérer cette affaire comme résultat d’incidents particuliers. C’est un drame dans lequel chacun a joué son rôle… Vous vous trouvez en présence d’un crime, je laisse à votre conscience le soin d’infliger un châtiment exemplaire. »
Maître Laguerre intervient le premier en tant qu’avocat de la défense. D’une voix assurée, qui attire immédiatement l’attention d’un public toujours aussi nombreux, il se charge de démonter les arguments de la partie civile.
« On vous a dit que l’esprit investigateur de M. Watrin avait été mal compris, qu’on lui attribuait tous les déboires ou pertes qui survenaient. »
D’un geste théâtral, il désigne les accusés.
« Aux premiers rangs de la foule hurlante, il y avait surtout des femmes et des enfants ; pour en faire les furies et les mégères que vous savez, n’est-il pas vrai qu’il a fallu les faire pâtir de beaucoup d’iniquités et de misères. »
Avant de peindre un tableau éloquent de la vie des ouvriers mineurs, l’avocat parisien pose la question cruciale :
« Et maintenant, quels sont les meurtriers ? Comment le savoir dans cette cohue furieuse de travailleurs noircis par le charbon, au milieu de ce va-et-vient d’hommes, de femmes et d’enfants qui crient et menacent ? L’accusation n’avoue-t-elle pas elle-même que c’est difficile… »
Du talent, il y en a à revendre tout au long des plaidoiries qui succèdent à Maître Laguerre. Maître Millerand, le futur Président de la République, est l’un des plus incisifs. Sa cliente, Eulalie Phalip, est reconnue comme une bonne fille, travailleuse et peu délurée. L’avocat insiste sur cet aspect.
« Vous condamneriez à mort, même aux travaux forcés à perpétuité, une fille de vingt ans parce qu’après son travail, sous l’excitation sans doute des mégères – qui ne sont pas sur ces bancs – elle a touché à la victime ! Ce serait plus que la peine du talion, ce serait de la férocité. Vous ne le feriez pas, Messieurs, même si le fait était indéniable. »
Après avoir demandé un verdict d’acquittement, maître Millerand regagne son siège. Il est 11 heures du matin. Une heure plus tard, le chef du jury donne lecture du verdict.
Souquières, Chapsal, Puech, Granier, Eulalie Phalip et Marie Pendariès sont acquittés. Bedel se voit condamné à huit ans de travaux forcés, Lescure à sept ans de réclusion, Blanc à six ans et Caussanel à cinq ans. Les condamnés ont trois jours pour se pourvoir en cassation.
« Tout de suite, tout de suite je me pourvois », hurle Caussanel avant de s’effondrer en larmes.
Le procès de l’affaire Watrin qui, pour une fois, portait le nom de la victime et non celui des criminels accouchera d’un second procès, quelques semaines plus tard, à l’encontre des têtes politiques qui ont pris la défense des mineurs de Decazeville.
Devant la cour d’assises de la Seine, Jules Guesde, Paul Lafargue, gendre de Karl Marx et le docteur Susini doivent répondre de l’accusation d’excitation au meurtre et au pillage. Ils en sortiront en triomphateurs après avoir dressé un véritable réquisitoire contre la société capitaliste.
En juillet 1886, la disparition subite du docteur Cayrade suscitera un énorme émoi au sein de la population decazevilloise. Cette fois, le peuple ouvrier se découvrira au passage du cortège funèbre. Pour l’ingénieur défenestré, personne n’avait salué le corps. C’est ce que l’on appelle à Decazeville, « la seconde exécution de Watrin ».
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