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Fronde contre la loi sur les Congrégations et les Inventaires. 1902-1905

La loi de 1901 sur les associations soumet les établissements privés tenus par des religieux à des demandes d’autorisation d’enseigner, fixant les conditions de leur fonctionnement. La plupart d’entre eux, en dépit de la condamnation du Vatican, en font la demande. Mais l’arrivée au pouvoir du Bloc des Gauches en 1902 radicalise la loi, les députés et les sénateurs favorables au gouvernement d’Emile Combes prononçant de nombreux avis défavorables, autorisant dès lors les préfets à expulser les Congrégations interdites, mettant le feu aux poudres, comme à Rodez, théâtre d’une expulsion mouvementée au pensionnat Camonil qui faillit se terminer en bataille rangée.

En mai 1903, le pensionnat Saint-Louis de Rodez doit se plier, non sans mal, aux lois sur les congrégations. Un avis de fermeture pour le 31 juillet lui est assigné. Parmi les radicaux ruthénois, le bruit court que les clercs de Saint-Viateur ont alors l’intention de déménager le mobilier à la cloche de bois. Dépêché par la municipalité, un liquidateur s’empresse de venir constater les faits. Il est aussitôt pris à partie par des élèves, incidents qui fournissent prétexte au préfet d’accélérer le départ des clercs, désormais fixé au 1er juin.

Alors que les autres congrégations ont détourné la loi en laïcisant leurs établissements, les clercs de Saint-Viateur optent pour la résistance. Le 2 juin, le pensionnat est entouré par les forces de gendarmerie. Depuis 3 heures du matin, les amis des clercs se sont aussi rassemblés devant l’établissement, entonnant des prières. Aux cris de « Vive Dieu ! Vive le Sacré-Cœur ! Vive la liberté ! » répondent bientôt les exclamations des sympathisants radicaux et socialistes : « À bas la calotte ! En prison ! », le tout couronné par L’Internationale et La Marseillaise, dont les six mille voix s’entremêlent en une folle cacophonie. Des incidents émaillent le reste de la journée, depuis le crochetage de la porte du pensionnat par un serrurier jusqu’à l’expulsion de quinze religieux qui passeront la nuit en prison, ainsi que le raconte le publiciste de La Dépêche :

« Clameurs, huées, cris, cantiques, Internationale, tout se confond et se mêle en un chaotique tumulte que dominent les “Hou ! Hou !” de la foule républicaine. “Liberté !” crient sur l’air des lampions les cléricaux. “C’est bien fait !” répondent sur le même air les républicains. Et à la suite du cortège, les deux groupes accompagnent les prisonniers que l’on conduit en prison. Durant tout le trajet, ce sont des cris assourdissants et plus on se rapproche de la ville, plus la manifestation devient franchement hostile aux frères… Sans doute une poignée d’hommes essaya de faire illusion sur leur petit nombre en hurlant comme des forcenés ; sans doute un quarteron de belles madames sympathiques avec les non moins belles petites dames si avantageusement connues à Rodez par le monde qui s’amuse et qui, toutes, les chères enfants ! criaient : “Vive les frères !” Sans doute les frères séculiers étaient descendus dans la rue et leurs vociférations n’étaient point les moins bruyantes. Mais le peuple de Rodez était là, et de sa voix puissante couvrait les clameurs des échappés de sacristie. Allas ! Rodez ne vous appartient pas encore, messieurs de la réaction, et ceux que vous traitez de voyous et d’apaches vous montreront au jour du scrutin qu’ils sont encore les plus forts. »

C’est à cet instant précis que la militante révolutionnaire, la citoyenne Sorgue, passe sur le plateau :

« Aussitôt, notre vaillante compatriote fut vivement interpellée par quelques-unes de nos cléricales furies. De la fenêtre de l’hôtel où prudemment elle s’était placée, Mme Monsservin dirigeait, de la voix et du geste, la manifestation… Et lorsque l’éloquente socialiste provoque par son simple passage la virulente colère de toutes ces dames, dont la valeur intellectuelle se doit estimer en proportion inverse du tapage grotesque qu’elles menaient, c’est Mme Joseph Monsservin qui, vaillamment, conduit la bataille. »

De ce temps où les rivalités politiques se règlent bien souvent dans la rue ou dans les colonnes des journaux, quelques affrontements ne passent pas inaperçus dans le petit monde ruthénois. Celui qui arrivera après l’expulsion des frères mérite d’être relaté :

« Dans la matinée qui suivit cet événement, la citoyenne Sorgue rencontra Mme Joseph Monsservin dans la rue du Touat, non loin de la préfecture… “Ah ! chère Mme Monsservin, il fallait en entendre de dures et la galerie s’esclaffait de rire…” La citoyenne Sorgue rendit à Mme Monsservin la monnaie de sa pièce ; la conférencière socialiste, généreusement, joignit même au capital quelques intérêts que Mme Monsservin ne trouva pas à son goût… On en rit encore rue du Touat. »

Les jours suivants, plusieurs frères ainsi que quelques manifestants arrêtés passent en jugement. Ils écoperont de trois à six mois de prison. Le 3 décembre, l’ancien directeur du pensionnat, l’abbé Fabre, et sept anciens élèves se retrouvent devant les juges. Mise en délibéré, l’affaire s’achèvera par une amende de 16 francs.

Le sabre contre le goupillon

Deux ans plus tard, la loi sur la séparation des Eglises et de l’Etat (9 décembre 1905) ravive les tensions entre opposants et fidèles au clergé qui s’affrontent une nouvelle fois lors des inventaires des biens ecclésiastiques. Aussi, en ce début d’année 1906, se bouscule-t-on aux portes des églises pour empêcher les huissiers et les commissaires de police d’entrer pour dresser la liste des objets et du mobilier appartenant au clergé et revenant désormais à l’État.

En tout, les autorités doivent procéder en Aveyron à mille trois cent cinquante et un inventaires. Sur cette terre de tradition religieuse, où le prêtre conserve encore un grand pouvoir sur ses ouailles, la plupart se déroulent sans incident à l’exception de quelques cas.

Ainsi, à Conques et à Villeneuve, l’inventaire est accompagné par le son du tocsin. A Saint-Geniez, l’affrontement est plus musclé. Une foule qui ne cesse de grossir fait face aux gendarmes lesquels, devant l’hostilité grandissante, procèdent à plusieurs arrestations. « Les menottes aux mains, rapporte Le Journal de l’Aveyron, les prisonniers sont provisoirement internés dans la halle, près de l’Eglise. On les acclame vivement et à travers les barreaux de la porte, on leur fait passer des manteaux, car la température est rigoureuse. » Pour faire reculer les paroissiens les plus vindicatifs, les gendarmes à cheval des brigades d’Espalion et de Saint-Geniez circulent et chargent au besoin, obligeant la foule à reculer et à s’éloigner de l’église. « La foule, continue le même journal, manifeste ses sentiments par des Hou ! Hou ! et des sifflets à l’adresse de ses persécuteurs, et par des cantiques vibrants en l’honneur de la foi. ». Le 7 février, à Rodez, une foule importante se masse devant l’église Saint-Amans. « Enhardis par les désordres déjà causés par les cléricaux d’autres départements, nos gens de robes longues et de robes courtes de céans ne rêvent que protestations, vociférations et vacarme », révèle La Dépêche, accusant L’Aveyron républicain et L’Union catholique de fomenter les troubles. Le Journal de l’Aveyron écrit : « Le sous-inspecteur de l’enregistrement pénètre seul dans une église déjà pleine de fidèles. Il est reçu par le curé de la paroisse qui déclare : […] L’inventaire est un premier acte de spoliation absolument contraire à la volonté des donateurs… Je dois donc protester et avec énergie contre l’inventaire qui va être fait. J’y assisterai, mais je tiens à déclarer que je n’y assisterai que comme simple particulier, ne pouvant pas participer à l’exécution d’une loi qui a été faite sans accord préalable avec l’autorité religieuse, qui prépare la spoliation des églises et des fabriques, qui dépouille le clergé d’une indemnité légitimement due et reconnue jusqu’à ce jour comme dette nationale. » En présence du président de la fabrique, M. Maisonabe, qui affirme la même opposition, l’inventaire se poursuit l’après-midi sans donner lieu à aucun incident.

À la cathédrale, le 23 février, les fidèles font face pacifiquement aux soldats du 81e RI. Trois jours plus tard, dès 6 heures du matin, les personnes qui se rendent à la cathédrale s’étonnent de voir le monument investi et entouré de soldats et de gendarmes. Les autorités ont pris toutes les précautions pour éviter les débordements. « Dans la crainte d’une résistance, écrit La Revue religieuse, le 81e régiment de ligne avait été consigné. Déjà vers les 3 heures du matin, chaque soldat armé sur le pied de guerre avait reçu les ordres. Le café avait été servi, un pain et une boîte de conserves avaient été distribués. Un premier bataillon fut détaché et opéra aussitôt. Le boulevard d’Estourmel, les boulevards Gally et Gambetta, la rue Frayssinous, la rue du Terral, la rue et la place d’Estaing, la rue Saint-Roch furent occupés militairement. Défense de circuler. »

L’archiprêtre refusant alors d’ouvrir les portes, elles sont fracturées, celle de la sacristie résistant une bonne heure au soldat-forgeron.

Face à cette situation, le maire radical Louis Lacombe prend le 5 mai, un arrêté municipal interdisant toute procession religieuse sur le territoire de la commune.

À Villefranche, cinq mille personnes se rassemblent sur le parvis, après l’inventaire, chantant des cantiques et menaçant la maison de la Loge maçonnique dont la porte est brisée à coups de hache.

À Saint-Affrique, la foule, carrément hostile, jette de la boue sur l’agent du fisc et l’instituteur de Montfranc, obligés de quitter les lieux sous les huées de la foule.

Devant la poussée populaire, les inventaires sont interrompus pendant six mois avant de reprendre au mois de novembre. Ce qui n’empêchera pas les « Culs blancs » de continuer à s’opposer aux « Culs rouges », les instituteurs laïques étant désormais la cible dans de nombreuses communes. Ainsi l’attentat de Couffouleux en 1912, défrayant la chronique et relançant la guerre scolaire, l’évêque ayant interdit un livre d’histoire utilisé par les instituteurs.

Le 11 novembre 1912 au soir, vers 22 heures, les instituteurs de Couffouleux, les époux Donat, se disposent à passer de la cuisine à leur chambre à coucher quand ils entendent un grand bruit dans la pièce à côté.

Émile Donat se précipite, muni d’une lampe. Deux carreaux sont brisés sur le sol et l’un des volets est perforé en deux endroits. L’instituteur ouvre aussitôt la fenêtre. Ne voyant personne, il descend devant sa porte mais la nuit est trop obscure et il ne distingue rien. Revenu dans la pièce, il constate avec son épouse qu’une balle a éraillé le plafond tandis qu’une autre s’est carrément logée juste au-dessus du lit. Les balles sont de gros calibre comme les chasseurs en utilisent pour le sanglier.

L’affaire, on s’en doute, fait grand bruit. Le député de l’Aveyron, Cabrol, s’en fait l’écho au ministre de l’Intérieur. Jaurès, à son tour, intervient à la Chambre pour réclamer justice. En quelques semaines, Couffouleux devient le point d’ancrage de l’actualité nationale. De nombreux journalistes débarquent à Couffouleux., décrivant l’image falsifiée d’une France profonde et très caricaturale.

L’enquête fait, en attendant, son chemin. Le 13 mars 1913, le juge d’instruction décide enfin d’inculper Émile Bonnet, de Fabrègues, pour tentative d’assassinat. De forts soupçons pèsent contre lui. Son fils n’a-t-il pas fréquenté l’école ? N’en a-t-il pas été exclu par Émile Donat pour avoir refusé de se servir du manuel Guiot et Mane ? Lui-même n’a-t-il pas manifesté à plusieurs reprises sa fureur dans le village ? Il est d’autre part chasseur de sangliers et les balles qui se sont fichées dans le plafond des Donat sont, d’après l’expertise d’un armurier de Rodez, du même type que celles utilisées par Bonnet.

À Couffouleux, la nouvelle de l’arrestation provoque une intense émotion. Le 24 mars, un groupe de soutien distribue à Saint-Affrique un imprimé tiré à cinq mille exemplaires. La presse catholique prend la défense d’Émile Bonnet qui est remis en liberté sous caution, le 1er avril 1913. Le 2 juin suivant, il est renvoyé devant les Assises de l’Aveyron.

Le procès dure toute la journée. Trente-deux témoins à charge défilent à la barre. Émile Bonnet est défendu par Me de Castelnau ; les époux Donat, par Me Paul Ramadier qui entame là une brillante carrière. Comme on peut s’y attendre, le débat tourne vite non sur le geste de Bonnet mais sur la défense des valeurs laïques ou catholiques selon le camp que l’on défend.

La nuit est déjà tombée quand les jurés se retirent pour délibérer. Une heure plus tard, ils reviennent avec un verdict d’acquittement en faveur d’Émile Bonnet. Mieux encore la Cour, après avoir refusé le franc de dommages et intérêts à la partie civile, condamne cette dernière aux dépens.

Dans la presse radicale, c’est un tollé général. « Les victimes, affirme Clemenceau, sont en fait les seuls condamnés ! » Quant aux partisans d’Émile Bonnet, à l’annonce du verdict, ils improvisent un défilé de joie dans les rues de Rodez.

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