« L’Oiseau blanc » tombé du ciel. Charles Nungesser et François Coli
L’intermède tragique de la Grande Guerre ne freine pas l’ardeur des pionniers de l’aviation, pour ceux du moins qui ont survécu aux combats. Des espaces restent à conquérir pour ouvrir de nouvelles voies. Franchir les immensités maritimes devient le nouveau challenge des têtes brûlées nourries à l’adrénaline des combats aériens et du danger que la paix ne peut rendre à leurs foyers. De l’autre côté de la Méditerranée, les richesses du continent africain tendent les bras aux pays colonisateurs dont la France est la tête de proue. Le transport aérien ouvre de nouvelles perspectives. Le 26 janvier 1919, soit seulement deux mois après l’armistice, deux anciens pilotes, le lieutenant Henri Roget et le capitaine François Coli domptent la Méditerranée en accomplissant un aller-retour Miramas-Alger-Rosas, battant le record de distance en ligne droite. Dix mois plus tôt, François Coli s’est écrasé sur un hangar au retour d’une mission, perdant son œil droit. Reste l’Atlantique à conquérir. Une affaire entre Européens et Américains. Une question de suprématie entre New-York, Londres et Paris. Les Américains ont une longueur d’avance quand Albert Cushing Read traverse l’océan entre Long Island et Plymouth mais avec deux escales aux Açores et à Lisbonne. Qu’à cela ne tienne ! Le mois suivant, les Britanniques John Alcock et Arthur Witten Brown franchissent à leur tour l’océan depuis Terre Neuve jusqu’en Irlande en un seul vol. Un véritable exploit mais insuffisant aux yeux de Raymond Orteig, un riche homme d’affaires franco-américain qui fait monter les enchères en offrant 25000 dollars à celui qui franchira en vol direct la distance New-York-Paris ou inversement. Et devinez qui s’inscrit en premier dès 1925 : François Coli en duo avec un autre as de l’aviation, Paul Tarascon, surnommé « l’As à la jambe de bois » depuis un terrible accident qui lui a valu l’amputation de son pied droit. L’idée est de passer par l’Atlantique Nord. Fin 1926, les deux aviateurs décident de tenter l’aventure. Mais catastrophe ! Leur avion, le Potez 25, est détruit par la foudre et surtout Paul Tarascon est grièvement brûlé. La loi des séries pour les Français car déjà, en septembre 1926, l’as des as de la guerre, René Fonck, aux soixante-quinze victoires en combat, s’est écrasé au décollage, à New-York, le crash faisant deux victimes parmi ses coéquipiers.
Si huit années se sont écoulées depuis la traversée d’Albert Cushing Read, les Américains sont plus que jamais dans les starting-blocks pour remporter le prix Orteig, notamment deux d’entre eux, Charles Lindbergh et Clarence Chamberlain. De quoi donner des ailes aux aviateurs du Vieux Continent dont la rivalité avec les Américains remonte au début du siècle entre Clément Ader et les frères Wright. En France, malgré ses récents déboires, François Coli ne renonce pas. Et il sait sur qui compter pour entreprendre cette aventure et les mener jusqu’à la victoire. Comme au bon vieux temps où il chassait les avions boches dans le ciel de Flandre et des Ardennes. Car, dans cette France encore Bleu Horizon, on conserve le culte des héros de la Grande Guerre. Et Charles Nungesser fait partie de ces gloires. Excusez du peu ! Troisième as français de la guerre ; quarante-trois victoires homologuées. L’homme est bardé de décorations dont la Croix de guerre. Sans compter les nombreuses blessures qui font de lui un être charismatique tout autant qu’une gueule cassée. Avec de surcroît une belle gueule et du bagout qui plait tant aux femmes des Années Folles. Le retour à la vie civile n’a pas été simple pour ce genre d’homme obsédé par les combats, tentant de toujours repousser les limites, s’habillant dans les honneurs qui lui sont rendus. De quoi faire tourner la tête ! Dans le Paris de l’après-guerre, Charles Nungesser flambe, achète un hôtel particulier près des Champs-Elysées, fonde une école de pilotage et roule en Rolls Royce. En 1923, il rencontre une américaine fortunée, Consuelo Hatmaker, avec laquelle il se marie et la suit aux Etats-Unis où sa réputation a franchi l’Atlantique. Le temps de la grande vie et surtout des meetings aériens à travers le territoire américain. Le cinéma lui fait même les yeux doux pour jouer son propre rôle dans le film Sky Raider. Mais tout a une fin. Son mariage s’étiole. Les exhibitions aériennes ne font plus recette. Retour à Paris. Ses affaires périclitent. C’est alors que François Coli le contacte pour ce qui doit être l’exploit de leur vie.
Pour voler, il faut d’abord un avion. Et pas n’importe lequel ! Un avion suffisamment rapide et donc suffisamment léger pour franchir d’un trait l’immensité océanique et pouvoir se poser sur l’eau. Car nos deux aviateurs veulent ni plus ni moins amerrir devant la statue de la Liberté, dans la baie de Governors Island. Les usines Levasseur se font tirer l’oreille mais finissent par accepter de construire un biplace de quatorze mètres d’envergure, composé d’une coque capable de pouvoir atterrir en eau calme. Les travaux débutent le 15 février 1927. Deux mois plus tard, le 19 avril, L’Oiseau Blanc effectue son premier essai sur la base de Villacoublay. C’est Nungesser qui lui a donné ce nom en souvenir d’un chef indien rencontré aux Etats-Unis lors de l’une de ses exhibitions aériennes. Et, de fait, le biplace ressemble à un grand oiseau déployant ses ailes, au fuselage orné d’un cœur noir entourant une tête de mort aux tibias entrecroisés surmontée par un cercueil entouré de deux chandeliers. Insigne symbolique que Nungesser avait fait peindre sur son avion de combat.
Mais il faut faire vite ! Car des informations proviennent de l’autre côté de l’Atlantique. D’autres concurrents sont en course. Outre les 25000 dollars, c’est la gloire qui attend le vainqueur. Alors tout s’accélère ! Aux dépens de la sécurité et du danger que représente une telle traversée. Comme ce 26 avril où les deux Américains, Stanton Wooster et Noël Davis, trouvent la mort après le crash de leur Keystone Pathfinder au-dessus de l’état de Virginie.
Début mai, tout est en place. L’avion décollera du Bourget, rempli de 4000 litres d’essence. Il est prévu, pour alléger l’avion, que le train d’atterrissage soit largué dès que L’Oiseau Blanc aura pris de la hauteur. Enfin, quatre avions l’encadreront jusqu’aux falaises d’Etretat. Avant le grand saut dans l’inconnu. Reste désormais un élément majeur sur lequel aviateurs et techniciens n’ont aucune prise : la météorologie. Aussi, chaque jour de ce début mai, le ciel est ausculté ; les cartes météo sont étudiées à l’infini. Enfin, le 7 mai, un vent portant de la terre vers la mer est prévu pour le lendemain dans la première partie de la traversée. Bémol : une dépression est aussi annoncée les 8 et 9 mai sur Terre Neuve. On se regarde. On se questionne. Les avis divergent. Et puis il y a ces Amerlochs qui n’attendent qu’une occasion pour décoller. Alors à Dieu va ! Voler n’est pas sans risque. Qui le sait plus que Nungesser et Coli, eux qui ont affronté les pires dangers du ciel ?
Le 8 mai est un dimanche. A 3 heures du matin, l’avion est sorti du hangar. Les deux aviateurs ont dormi – plutôt veillé – à son côté. Il fait encore nuit noire quand le réservoir de L’Oiseau Blanc est finalement rempli de 3800 litres d’essence. Durant tout ce temps, Nungesser et Coli revêtent leurs combinaisons de cuir doublées de soie. Vers 5 heures, ils font une entrée triomphale sur la piste, juchés sur une Torpedo. Car il y a foule sur le parcours. Peut-être 300 à 400 personnes. Et pas n’importe qui ! Le show-bizz parisien a tenu à assister à ce qui est considéré comme un exploit mondial. Il y a là Mistinguett, Joséphine Baker et Maurice Chevalier, les chansonniers vedettes de l’époque et dont tout le monde peut fredonner une chanson. Des sportifs aussi comme le champion du Monde de boxe, Georges Carpentier et des politiques comme le futur président du Conseil Edouard Daladier. Le temps de saluer tout ce monde et à 5 heures 18, L’Oiseau Blanc décolle, s’élève, prend de la vitesse et de la hauteur. A 6 heures 45, les quatre avions suiveurs le lâchent au-dessus des falaises d’Etretat. A 10 heures 50, il est aperçu au sud-ouest de l’Irlande. Désormais entre eux, le ciel et la mer. Des heures durant. Presque hors du temps.
A New-York, l’information comme quoi L’Oiseau Blanc aurait franchi Terre Neuve et volerait désormais vers la côte américaine suscite un véritable enthousiasme. Ah ! ces Frenchies ! Décidemment quel culot ! Et quelle grandeur ! Le télégraphe crépite en même temps dans les quotidiens français. L’important est de sortir la nouvelle avant tous ses concurrents. Surtout pour les journaux du soir. Alors, à la rédaction de La Presse, on ne s’embarrasse pas de formalités et de vérifier l’information. Sur une page, à la Une du journal, l’exploit est raconté et détaillé. On donne même voix aux aviateurs pour avoir leurs premiers sentiments. Bref ! La Presse fait sensation. Les Parisiens s’arrachent son numéro. Des rassemblements s’improvisent à Paris pour fêter Nungesser et Coli. En attendant leur retour. Qui ne viendra jamais. Car l’information est fausse. Les deux aviateurs ont disparu, si on peut dire, des radars et personne ne sait ce qui leur est arrivé. Et on ne badine pas avec la mort surtout quand ce sont des héros. Alors la foule se venge, envahit les locaux de La Presse et saccage tout. L’attente reste vaine. Quelques informations parviennent bien à New-York et à Paris mais elles sont trop succinctes, vagues ou imprécises. L’Oiseau Blanc s’est envolé pour un autre voyage, emportant sous son aile Charles Nungesser et François Coli. Le premier avait 35 ans ; le second allait avoir 46 ans.
Ont-ils été les premiers à franchir l’Atlantique sans escale ? Des hypothèses n’ont cessé de fleurir depuis leur disparition. Sans qu’aucune n’apporte des preuves concrètes. Charles Lindbergh, lui, a résolu la question. En s’élançant depuis New-York, le 20 mai 1927, il atterrit en solitaire à Paris le lendemain. Acclamé par la foule, qui ne lui tient par rigueur de sa victoire, il interroge à sa descente d’avion les journalistes présents : « Avons-nous des nouvelles de Nungesser et Coli ? » Comme pour les associer à son exploit !
Reste le Pacifique à dompter. Une affaire américaine quand, le 9 juin 1928, après huit jours de vol, Charles Kingsford Smith réussit la première traversée d’Oakland à Brisbane et deux escales à Honolulu et à Suva (Fidji) avec l’Australien Charles Ulm et deux américains, Harry Lyon et James Warner.
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