« Les eaux du déluge ». Grenoble 14-15 septembre 1219
Les témoignages contemporains d’une catastrophe sont les fruits mûrs dont les historiens tirent la pulpe pour en retracer les faits. D’autant plus quand cet événement se déroule plus de 800 ans en amont comme le fut la terrible inondation ayant ravagé Grenoble et ses alentours, le 14 septembre 1219. La catastrophe marqua à ce point les esprits que quatre témoins ne manquèrent pas d’en révéler la teneur et l’ampleur. La plus haute personnalité de la ville, l’évêque Jean II de Sassenage, en fait une description précise, démontrant que l’inondation de la ville se déroule en deux phases : « Le jour de l’Exaltation de la sainte Croix, dans le premier silence de la nuit, (…) le barrage qui retenait le lac de l’Oisans s’étant rompu violemment, conduisit un déluge d’une telle fureur, d’une telle violence, dans un tel rugissement et un tel bruit que tous, à son écoute, désespérant de la vie, abandonnèrent tout, ne pensant qu’à sauver leur propre personne. Certains montèrent sur l’église la plus importante et sur son clocher ; certains occupèrent nos maisons et celles de nos vénérables frères les chanoines ; certains montèrent sur les tours et les maisons les plus hautes et les plus solides de la ville, et restèrent non sans peine sur les toits des maisons, durant cette nuit de malheur ; et ce, jusqu’à l’aube, dans l’angoisse… La force des eaux de ce déluge fut telle que fut refusé à l’Isère son cours habituel : celle-ci quitta son lit, reflua sur près de deux lieux et envahit toute la plaine. Cependant, la rage du déluge s’étant quelque peu calmée du fait de l’écoulement des eaux, ladite rivière rentra violemment dans son lit et revint avec une telle force que ce que le déluge avait épargné, elle l’emporta et – c’est là le principal dégât –, renversa et détruisit complètement notre noble pont… »
Le chanoine Robert d’Auxerre s’en fait à son tour l’écho, expliquant les causes en amont de la catastrophe : « Il arriva à la même époque [1219] dans la province de Vienne une chose affligeante. Douze ans ou plus auparavant, dans la région de Grenoble, deux montagnes, alors qu’un torrent au flot impétueux se frayait entre elles un étroit chemin, finirent par se rejoindre, creusées à leur pied par le ravinement de l’eau. Une énorme quantité d’eau fut ainsi enfermée. Cette retenue des eaux était appelée le lac de Saint-Laurent, car elle avait submergé le monastère de Saint-Laurent ainsi que le village voisin. Cette année-là [1219], le 6 septembre, le verrou que formaient les montagnes céda et l’eau, retrouvant son lit habituel, se mit à dévaler dans un si grand vacarme et avec une telle impétuosité que tous ceux qui voyaient ou entendaient ce spectacle étaient frappés d’horreur et de terreur. C’est ainsi que de nombreux marchands qui s’y étaient rassemblés périrent, saisis en pleine activité par la violence de l’eau. Cette cité ne fut pas la seule gravement frappée : bien d’autres, villages ou places fortes, le furent également. C’est ainsi que l’eau susdite, après s’être jetée dans l’Isère, fleuve des plus violents, tenta de se précipiter dans le Rhône, et renversa les ponts, arracha les arbres, détruisit châteaux et villages, charriant dans ses flots tumultueux hommes, bêtes et tout de qui se présentait devant elle. »
Des descriptions corroborées à la même époque par deux Dominicains, Vincent de Beauvais et Etienne de Bourbon.
Remontons toutefois vingt-huit ans en arrière quand de violents orages et des pluies diluviennes provoquent des éboulements qui barrent le lit de La Romanche au niveau des gorges de l’Infernet et créent un lac (lac Saint-Laurent), 30 kilomètres en amont de Grenoble. Une bombe à retardement qui explose dans la nuit du 14 au 15 septembre 1219, surprenant les Grenoblois dans leurs lits. Un déferlement d’eau conjugué avec un mouvement de ressac de la rivière Isère. Désemparée, la population tente de fuir mais les portes de la ville, entourée de remparts, sont fermées à cette heure de la nuit. Ceux qui peuvent fuir grimpent sur les hauteurs, notamment sur la colline de Parménie où se dresse une chapelle. Au petit matin, c’est une ville jonchée de cadavres que découvrent les survivants. 5000 personnes auraient perdu la vie dont nombre de marchands et de visiteurs venus assister à la grande foire et encore présents en ville cette nuit-là. Une catastrophe qui obligera les autorités, les siècles suivants, à effectuer de nombreux travaux sur le Drac et l’Isère. Et pour conjurer le sort et faire appel à Dieu, un pèlerinage s’organisa dès 1220 jusqu’à la chapelle de Parménie, donnant plus tard naissance à la foire de Beaucroissant.
Plus tard, bien plus tard, géologues, géomorphologues et historiens se pencheront sur les causes de cette catastrophe, révélant à partir d’observations sur le terrain et de documents d’archives qu’il existait bien antérieurement à l’éboulement de 1191, un lac naturel dans la plaine d’Oisans, créé à partir de divers éboulements, sans engendrer toutefois une catastrophe aussi exceptionnelle que celle de 1219 dont le blason de la ville, serpent et dragon, rappelle l’existence.
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