Le  Métropolitain en feu ! Paris. 10 août 1903

« Mes trois sous ! Remboursez-moi mes trois sous ! » s’énerve un voyageur du train 48 à qui on vient encore de demander de descendre de la voiture à la station Couronnes. Trop c’est trop !  Déjà, on lui a fait le coup à Barbès sous prétexte d’un court-circuit. À cette allure-là, il ne sera jamais chez lui avant 20 heures. De quoi lui faire regretter d’avoir pris le métropolitain au lieu du fiacre habituel. D’autres se joignent à lui et demandent à leur tour le remboursement du billet. Une vingtaine a déjà obtenu satisfaction quand un cri affolé retentit : « Sauve qui peut ! »

 Pris au piège

Depuis le matin de ce 10 août rien ne va ! Il y a des jours comme ça où Jean, le wattman[1] de la rame 43, accumule les contrariétés. Ce jour-là, ce sont les plombs qui fondent les uns après les autres. Rien de très dangereux mais ensuite ce sont les compresseurs des deux motrices qui ne fonctionnent plus normalement jusqu’à ces courts-circuits qui provoquent des débuts d’incendie sous les voitures et qu’il faut éteindre régulièrement. Arrivés à la station Combat,  il est 19 h 08. La situation devient plus sérieuse. On jette des seaux d’eau sur les câbles et les voyageurs sont priés de descendre des trains 44 et 52. À Ménilmontant, l’incendie reprend de plus belle. À peine ces deux rames, heureusement vides de voyageurs, sont engagées dans la station que deux détonations terrifiantes éclatent en même temps que les motrices s’enflamment, embrasant du même coup les boîtes de coupure de l’éclairage. L’obscurité soudaine étonne les quelques voyageurs qui, sur le quai, n’ont pas encore réalisé la gravité de la situation. Une fumée noire se propage dans le tunnel pour émerger plus dense encore à l’autre bout, à Couronnes, où justement un train bondé arrive. Les déflagrations et le nuage âcre ne suffisent pas encore à alarmer certains  usagers qui s’inquiètent du remboursement de leur ticket… Soudain, l’atmosphère devient irrespirable. On entend un « sauve-qui-peut » qui réveille les consciences. Il est environ 19 h 38. Dans une bousculade indescriptible, des centaines de passagers cherchent désespérément la sortie. Des dizaines s’engouffrent à tâtons du mauvais côté du quai, dans un cul-de-sac. Certains trouvent une bouche de sortie et, faisant preuve d’un grand courage, repartent dans le gouffre noir pour sauver des femmes qui gisent à terre, évanouies. Les hurlements s’intensifient pendant quelques minutes encore  mais bientôt l’opacité de la fumée rend impossible toute tentative de nouvelle descente dans l’enfer du tunnel. Déjà les cris s’estompent. Dehors, des curieux entourent les rescapés hagards, pétrifiés devant la bouche de métro qui continue de cracher une fumée épaisse.

La longue attente

La foule envahit le boulevard de Belleville. Plusieurs casernes de pompiers sont rassemblées devant les gares d’où s’échappe toujours un compact nuage noir que ne dissipent pas les trombes d’eau déversées par les lances. Une descente dans l’abîme n’est pas envisageable tant la chaleur qui s’en dégage est élevée. Les ingénieurs s’entretiennent avec le préfet Lépine des immenses dégâts matériels. Les wagons tout en bois se sont embrasés comme fétu de paille, mais tous veulent rester optimistes quant au nombre de victimes, peut-être deux ou trois…

Vers 23 heures, le colonel des pompiers en accord avec le préfet Lépine organise une descente par l’escalier des Couronnes. La mission s’avère vite impossible.

À 3 heures, la nouvelle de la découverte de quatre cadavres à Belleville jette la consternation sur l’immense foule qui s’agglutine près des bouches des métros et que la garde républicaine à cheval a bien du mal à contenir. Inquiet, le préfet envoie un homme muni d’un casque de scaphandrier explorer le tunnel Couronnes. En vain ! Ce n’est que vers 5 heures du matin que les pompiers tenteront l’exploration de la station malgré l’excessive chaleur qui les agresse dès la descente des escaliers.

Un lourd bilan

Quelques marches plus bas, à la lueur incertaine des torches, la première équipe découvre des corps enchevêtrés à peu de mètres de la sortie, il aurait suffi d’une poignée de secondes…

Les pompiers suivent alors la direction Ménilmontant où un tableau insoutenable les surprend au fond du quai. Ces hommes aguerris ont un mouvement de recul devant un indescriptible amas de cadavres emmêlés. Ils sont une soixantaine, entassés sur quelques mètres carrés et malgré l’opacité du tunnel on devine au premier plan un père serrant son enfant dans ses bras.

Une heure plus tard, soixante-dix- sept corps sont remontés ce qui porte le nombre de victimes à quatre-vingt-quatre, pour la plupart asphyxiées par l’oxyde de carbone.

« Des wagons, il ne reste que les châssis et un fouillis de ferrures tordues ; le revêtement de la voûte est détruit, les rails de la voie sont déformés, les traverses  brûlées »,  peut-on lire dans L’Illustration. Pourtant, moins de dix jours plus tard, la ligne 2 est complètement déblayée et redevient opérante. Les Parisiens traumatisés rechignent quelques temps à voyager sous-terre, paniquant au moindre ennui technique. Un conseiller municipal ose même dire : « Si les Parisiens doivent faire leur testament chaque fois qu’ils iront prendre le métro, il serait intéressant de le savoir ! »

La mémoire collective est quelquefois inconstante. « Des catastrophes  arrivent, puis  elles sont arrivées, et on passe à autre chose. »[2]  Aujourd’hui, ce sont plus de quatre millions et demi d’usagers qui transitent tous les jours sur les deux cents kilomètres du métro parisien qui est devenu le plus dense du monde.

« Il n’y a plus d’aube sans métro », chantera Aragon…

[1]             Conducteur de rame exerçant en plus la fonction de mécanicien.

[2]             Hubert Reeves

0 réponses

Laisser un commentaire

Rejoindre la discussion?
N’hésitez pas à contribuer !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.