La terre de Provence bouge… Lambesc. 11 juin 1909

Neuf heures viennent de sonner à Lambesc. Les gosses s’enfoncent douillettement dans un sommeil innocent. Les femmes ont sorti les chaises sur le devant de la porte. Un ouvrage entre les mains, elles goûtent la douceur de ce soir de juin tandis que les hommes sont au bistrot. Dans ce coin de Provence, entre Marseille et Salon, c’est à la tombée de la nuit que les langues se délient, que de fontaine en fontaine les nouvelles circulent ; que de comptoir en comptoir, on épilogue sur les grandes grèves qui secouent le port de Marseille, sur ce Jean Jaurès, un bourgeois du Tarn, qui défend farouchement les ouvriers et tient tête à Clemenceau. Entre deux goulées de ce rosé du pays qui est à lui tout seul un concentré de l’art de vivre inimitable de la terre provençale, le ton monte, les esprits s’échauffent quand soudain un coup de tonnerre jaillit du ventre de la terre…

Témoignage d’un Lambescain

« Cette date fatale restera à jamais gravée dans ma mémoire ; son seul souvenir fera toujours revivre en moi les heures atroces que nous avons passées et le spectacle navrant d’une population désolée.

Une vieille habitude veut que je me trouve chaque soir après le souper au café Nicolas, située sur la Grand-Rue ; je passe là quelques heures agréables en compagnie de bons amis.

Le 11 juin au soir, je me trouvais donc dans cet établissement, causant avec mes amis, loin de me douter qu’une terrible catastrophe nous guettait.

Tout à coup, à neuf heures dix-neuf très exactement, nous entendîmes une formidable détonation. Nous nous sentions progressivement secoués. On eût dit qu’on pressait fortement sur nos épaules pour nous affaisser. Après ce mouvement de verticalité, un autre beaucoup plus fort de latéralité suivit. Les chaises, tables, verres, carafes sont renversées, une cloison dégringole dans le café et la lumière s’éteint. Une vive panique s’empare de nous. Nous nous élançons vers la porte ; nous nous bousculons ; nous marchons sur des personnes qui, s’étant heurtées à des chaises, étaient tombées, et nous arrivons enfin sur la terrasse du café. Là, un spectacle bien plus navrant nous attendait.
Toute une population surprise par le tremblement de terre que nous venions de subir, courait affolée dans les rues ; ici, c’est une femme serrant dans ses bras son enfant nu et appelant à grands cris son mari ; là, c’est un homme, demandant du secours pour retirer son père, sa mère, son frère et ses deux sœurs qui sont sous les décombres dans le quartier du Castellas ;… on dut prendre courage et aller sortir des décombres meurtriers les malheureuses victimes… Hommes, femmes, enfants, vieillards, infirmes, quittaient leur demeure, craignant qu’une nouvelle secousse ne vienne augmenter le nombre des victimes. La température ayant sensiblement baissé, de grands feux s’allumèrent et les flammes qui s’en dégageaient éclairaient des visages empreints de tristesse et de désespoir. Ah ! La terrible nuit ! Les six heures qu’elle dura nous semblèrent des siècles ; nous craignions l’obscurité et il nous semblait que, le jour arrivant, un gai soleil et un temps chasseraient de notre esprit le cauchemar qui le hantait. Hélas, il n’en fut rien ! Le lendemain, à l’aube, un nouveau spectacle navrant s’offrit à nos yeux, notre pauvre Lambesc nous apparut en ruines ; en rentrant dans nos maisons, nous nous heurtâmes à des tas de plâtras, à des meubles renversés, à des objets que la terrible secousse avait réduits en miettes. Notre pauvre clocher nous apparut fortement ébranlé, notre église toute lézardée, les rues étaient encombrées de matériaux provenant de la chute des murs ; à l’usine Barbier, où je me rendis, une cheminée en maçonnerie de 25 mètres s’était abattue sur le laboratoire qu’elle avait saccagé. Dans le quartier du Castellas, aucune maison n’avait échappé à la terrible catastrophe ; c’était navrant et je renonce à décrire la douleur que provoqua en moi ce terrible spectacle.
À six heures du matin, je me trouvais sur la place Lazare-Carnot ; un camion descendait au pas sur la Grand-Rue ; un linceul blanc recouvrait les corps des quatre enfants Philip que les décombres avaient engloutis à la ferme de Croigne ; derrière, venait une voiture sur laquelle un homme et une femme sanglotaient ; c’étaient les malheureux parents qui accompagnaient les corps de leurs chérubins qu’on allait déposer à l’hospice, près de leurs frères d’infortune. Le passage de ce camion de la mort, de cette voiture de douleur, nous étreignit et, silencieux, en pleurant, nous nous découvrîmes… »

Le bilan de la catastrophe

Le village de Lambesc, dont le riche passé historique lui a valu l’appellation flatteuse de « Versailles Aixois », est totalement détruit. D’autres communes ont été durement éprouvées : Saint-Cannat, Rognes, Puy-Sainte-Réparade, Venelles, Salon, Aix (partie Nord), la Barben-Pélissanne. Le bilan est très lourd. En dix secondes, dans un terrible grondement apocalyptique, les murs se sont effondrés, provoquant la mort de quarante-six personnes – plus de la moitié des victimes sont des enfants –  et près de trois cents blessés. Plusieurs milliers de logements sont détruits, des centaines d’autres sérieusement endommagés. Partout c’est la désolation ! Partout le même déroulement du drame.

Dans chaque maison, les murs tremblent, se fissurent. Les meubles se renversent dans un fracas de vaisselle. Les gens en proie à une vive panique hurlent à chaque mouvement de la terre, à chaque craquement. Des cris de douleur jaillissent des maisons éventrées. La nuit s’empare de ces silhouettes fantasmagoriques fuyant dans la campagne. Et enfin le silence lourd et angoissant. Les survivants privés de lumière, la peur vissée au ventre, craignant une nouvelle secousse, cherchent un mari, un enfant, une mère, jusqu’au petit matin où, hagards, ils découvrent l’étendue du sinistre…

Le traumatisme est énorme. Le séisme, d’une amplitude de 6,2 sur l’échelle Richter, est le plus important enregistré en France métropolitaine depuis celui de Roquebillière en 1564 ! La vibration est ressentie dans les départements voisins. Un habitant de Pertuis se rappelle les arbres secoués « comme si des enfants voulaient en faire tomber les fruits ».

L’origine de la secousse est attribuée à une rupture sur la faille de la Trévaresse, chaîne de collines longue de quinze kilomètres entre Lambesc et Venelles, qui aurait entraîné un déplacement vertical important. De nombreuses photos et cartes postales attestent de l’importance des dégâts et nourrissent amèrement la mémoire collective de toute la région alors même que les témoins oculaires ont disparu.

Et si c’était demain ?

Dans les années 1980, la direction du Ministère de l’Environnement commande une étude consistant à simuler les conséquences du même séisme, au même endroit, avec le plan d’occupation des sols de 1982.

Les conclusions sont alarmantes. Les coûts de reconstruction et de réparation atteindraient les deux mille cinq cent quarante millions d’euros et plus grave, le bilan humain puisque le nombre potentiel de blessés est évalué entre mille huit cent cinquante et cinq mille six cents cinquante et le nombre de morts entre quatre cents et neuf cent soixante-dix.

L’importante croissance économique et démographique de ces trente dernières années  laisse craindre un bilan  bien plus dramatique si la faille de la Trévaresse, toujours active, venait à se déplacer brutalement.

0 réponses

Laisser un commentaire

Rejoindre la discussion?
N’hésitez pas à contribuer !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.