La course aux records. Henri Farman
A vélo. En automobile. En avion. La vie d’Henri Farman est une course sans fin. L’épopée d’un sportman de la Belle Epoque. Un homme de son temps qui, à travers les trois inventions majeures de ce début de XXe siècle, cherche à aller toujours plus loin, toujours plus haut, toujours plus vite. A la différence de Clément Ader, de Ferber ou des frères Wright, Henri Farman n’est pas un inventeur issu des bancs des Arts et Métiers. La nouveauté l’intéresse mais seulement pour l’amener à se surpasser ; à franchir des échelons en battant des records qui font de lui un pionnier. Un baroudeur sans cesse en mouvement qui fait corps avec la machine.
La bicyclette lui tend d’abord les guidons. La piste d’abord en tandem avec son frère cadet Maurice : « Ils ne tardèrent pas à s’imposer comme les meilleurs, raconte Marcel Violette dans un ouvrage paru en 1912. Ils avaient la réputation de casse-cou et jamais virages de vélodrome ne furent abordés avec plus de hardiesse par aucune autre équipe. Pendant tout le temps qu’ils montèrent ensemble, aussi bien en hiver qu’en été, ils ne connurent jamais la défaite et justifièrent le surnom d’“équipe vierge” qu’on leur avait donné. Leur maillot jaune d’or était légendaire. Ils abandonnèrent la piste après une chute terrible à Ostende en 1896. »
N’être jamais battu. Voilà le leitmotiv des frères Farman qui les pousse désormais vers l’aventure et le dépassement de soi. Car les vélodromes deviennent trop étroits pour eux, et les victoires trop banales. C’est le temps des longues épreuves organisées, depuis Paris, par les journaux de l’époque afin de fidéliser des lecteurs avides de sensations. Pour Farman, c’est la liberté des grands espaces, loin des tables à dessin des Beaux-Arts avec pour seuls alliés, l’effort et la volonté de vaincre. L’abandon ou la défaite aurait peut-être précipité sa reddition. La victoire le subjugue quand, à 18 ans, il remporte la course Paris-Clermont, devançant les cracks de l’époque. Toujours plus loin, il s’engage l’année suivante dans la grande aventure des raids cyclistes avec Edouard de Perrodil. Une épopée que le journaliste raconte dans son livre « Vélo Toro ». Le 25 juin 1793, les deux hommes enfourchent un vélo Gladiator de 12 kg, monté sur des pneus Seddon. Un directeur sportif, Jules Suberbie, leur est même adjoint. L’homme fait autorité dans le milieu pour ses méthodes d’entraînement. Tout semble donc paré pour réussir. De Paris pour rejoindre Madrid, les deux coureurs passeront par Tours, Angoulême, Bordeaux, Mont-de-Marsan, San Sébastien, Miranda del Ebro et Mojados (au sud de Valladolid). À chaque étape, hôtels et restaurants sont réservés par un intendant qui les précède sur le parcours. Presse, sociétés vélocipédiques et autorités sont invitées à les suivre et à les accueillir. De Perrodil prend soin, afin d’éviter toute contestation, de faire homologuer ses records par la très officielle Union Vélocipédique de France.
« Qu’on ne dise pas que ce ne sera pas sérieux comme record ; ce le sera et singulièrement.
D’abord, nous irons par étapes telles qu’on pourra battre le record sans doute facilement mais non pas sans se donner de la peine, je vous le garantis. Ensuite, nous aurons jeté des bases pour des records futurs au point de vue de la route, sur l’état de laquelle nous rapporterons des renseignements intéressants. Cette route pourra devenir la route classique de Paris à Madrid… »
Pour ces nouveaux explorateurs du macadam, la route est souvent semée d’embûches : « Oh ! La route, la route ici ! Huit centimètres de poussière, d’une poussière mêlée de cailloux ; impossible de rouler sur les côtés : à chaque instant des racines d’arbres nous repoussent vers la chaussée… La pluie tombe, serrée ; et à mesure que nous avançons le vent, plus libre, nous fouette le visage et recommence à nous arrêter… Maintenant des flaques se sont formées sur la route ; nos machines roulent dans ces petits lacs dont l’eau gicle et nous saute à la face, comme le flot brisé par le navire se précipite en paquet de mer sur le pont… Maintenant les cataractes du ciel se sont ouvertes… Le sol inondé maintenant est devenu glissant ; il faut exécuter des prodiges pour nous maintenir en équilibre, ce que notre élan nous facilite heureusement. Je suis hypnotisé par la roue placée devant moi, je la fixe nerveusement, et elle m’apparaît presque immobile sous les éclats aveuglants de la foudre, au milieu des millions de gouttelettes qui projettent des miroitements multipliés… Le sol était mauvais ; ce n’était plus de la poussière mais de petits cailloux pointus occasionnant une trépidation des plus désagréables… Nous poursuivons notre chemin, le sol devient de plus en plus mauvais ; aux petits cailloux pointus plantés dans le sol, se mêlent à présent des pierres répandues en masse sur la route, comme dans le lit d’un ruisseau. »
Le 2 juillet, les deux fondus du vélo arrivent à Madrid où ils sont reçus en héros. Et leur record homologué.
De Perrodil continuera ses courses au long cours. Pour Farman, le vélo n’est qu’une étape. Car une autre invention le passionne : l’automobile. Pour aller plus loin mais surtout aller plus vite. Dompter la machine en laissant libre cours à la vitesse. Depuis Paris, entre 1901 et 1904, les chevaux de sa Panhard-Levassor le conduisent dans des courses folles vers Pau, Berlin, Vienne, où il termine premier, Roubaix. Farman participe à la coupe Gordon Bennett. C’est lors d’une de ces courses qu’il est victime d’un grave accident. Une erreur de pilotage dans les virages des volcans d’Auvergne et voilà Farman et son mécanicien dévalant dans un ravin, sans trop de dommages toutefois.
Homme des défis, le pilote automobile ne peut rester indifférent aux fous volants dont les exploits dans les airs passionnent désormais le public. Pour atteindre les sommets, il faut prendre de l’altitude. Et là encore, entre 1907 et 1910, les records tombent. Record de vitesse le 26 octobre 1907 à 52,7 km/h sur un biplan Voisin-Farman ; le 13 janvier 1908, il accomplit le premier vol en circuit fermé d’une durée de 1 minute et 28 secondes. Record qu’il bat trois mois plus tard avec un vol de deux kilomètres en 3 minutes et 31 secondes. Insatiable, avec Léon Delagrange, il réalise le premier vol humain avec passager puis, en octobre 1908, le premier vol de ville à ville entre Louvercy et Reims. Un vol de vingt minutes à 81 km/h de moyenne et à une hauteur de 60 à 80 mètres. « J’ai goûté la plus belle joie de ma vie : le charme de voler au-dessus de mes semblables » avoue celui qui vient « de donner des ailes au monde ». D’autres records tombent. Puis la guerre brise cet élan de victoires. L’industrie de l’aviation pour l’effort de guerre leur offre de nouvelles perspectives. De 1914 à 1918, la Farman Aviation Works fabrique près de 12000 avions pour l’armée. Avant de revenir, après la guerre, à leur passion de l’automobile en créant leur propre marque qui subira de plein fouet la crise de 1929 avant d’être nationalisée.


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