Le suiveur de nuages. Roland Garros
L’homme appartient à son temps. A cette Belle Epoque lancée à toute vapeur dans l’innovation et l’expérimentation de nouvelles technologies. Comme pour faire table rase de l’ancien siècle. De ses voitures à crottin et de ses montgolfières centenaires. L’avenir est à la bicyclette ; à l’automobile et à l’aviation. Aux sportmen et aux sportwomen. A ceux et à celles qui veulent voir loin. A toute vitesse. Tant dans l’espace que dans leurs vies. Roland Garros est de ceux-là. Sa vie sera courte, certes. Trente ans. Mais tellement intense. Tellement vibrante. Tellement planante. Au point de concentrer en lui toute la frénésie de ce siècle naissant. Avec son corollaire de fortune et d’infortune. De joie et de drame. Un homme de son temps on vous dit ! Qui tient en deux mots quasi-similaires : la vie ! L’avion !
Pour Roland Garros, tout débute dans l’exotisme et la découverte du Monde : la Réunion où il naît. Puis la lointaine Cochinchine pour grandir. Enfin la France, abordée seul à l’âge de douze ans pour étudier et s’affirmer. Etude et sport ! Une tête saine dans un corps sain. Et pour supplément, la soif d’aventures. Lycées prestigieux et HEC à Paris pour le diplôme. De la graine de champion en cyclisme et en football. Roland Garros tâte aussi du rugby au Stade Français. Et dans la continuité, la vie active avec un emploi de commercial pour la firme Automobiles Grégoire. Insuffisant pour cet indépendant qui crée à vingt-et-un ans sa propre entreprise : Roland Garros automobiles.
Et l’aviation dans toute cette débauche d’énergie ? Elle lui crève les yeux lors de la Grande Semaine d’Aviation de la Champagne, près de Reims. Mais là encore, Roland Garros ne reste pas un simple spectateur des ballets aériens. Il veut être acteur. Suiveur de nuages. Libre aux commandes. Comme il le fait de sa vie. Alors, il achète une Demoiselle de Santos-Dumont. « Une tueuse d’homme », cette Demoiselle ! Le moins cher des avions à l’époque mais le plus difficile à manier du fait de sa légèreté. Qu’importe ! Il a piloté un vélo. Une voiture. L’avion ne doit guère être plus difficile. Et toujours cette volonté d’aller vite et de s’en sortir tout seul. Sans formation. Aussitôt, il fait corps avec sa machine. En épouse autant les qualités que les défauts. Premier meeting à Cholet le 14 juillet 1910 où il vole sans brevet, obtenu sept jours plus tard. Et tout s’enchaîne. Un sponsor américain a remarqué ce pilote qui n’a pas froid aux yeux. Sans hésitation, Roland Garros accepte de traverser l’Atlantique. En bateau ! Pour se produire aux Etats-Unis lors d’un meeting à New-York. Avec seulement trois heures de vol sur son carnet de bord. Avant une campagne d’exhibition à travers le continent américain. Garros, à vingt-deux ans, a déjà découvert trois continents et acquis une solide réputation qui lui vaut désormais le surnom « d’embrasseur de nuage ». Une réputation qui a franchi l’océan quand il revient, en 1911, sur le continent européen. Paris-Madrid. Paris-Rome. Circuit européen. L’insatiable Roland Garros s’envole vers sa destinée. Record d’altitude à 3950 mètres. Exhibition au parc Borely de Marseille devant 100 000 spectateurs. Et tant d’autres. Les organisateurs s’arrachent Roland Garros. Mais la fièvre de l’aventure le reprend. Ce sera l’Amérique du Sud pour une tournée au Brésil et en Argentine à l’invitation de l’industriel américain Mc Cormick. Et un vol de légende au-dessus de la baie de Rio comme un hommage au Christ Rédempteur !
Roland Garros est un homme de l’univers. En un autre temps, il serait devenu cosmonaute ! S’élançant vers la Lune et les étoiles. Sans doute en a-t-il rêvé ! Pour l’heure, nous sommes en 1912, retour sur le sol français et record à la clef ! Son succès au Grand Prix de l’Aéro Club de France à Angers lui vaut le titre de « champion des champions ». Record d’altitude à 4960 puis 5610 mètres. Etre le premier, lui que les journalistes, à ses débuts, avaient affublé « d’éternel second » devient le premier à traverser la Méditerranée en 7h53 de vol. La consécration !
La Manche quatre ans plus tôt. Désormais la Méditerranée. Voler entre ciel et mer ne fait plus peur. L’avion et son pilote devient l’insolent compagnon de voyage des oiseaux. Mais la traversée de l’Atlantique reste encore l’inatteignable rêve.
La guerre rattrape Roland Garros à Vienne à l’occasion d’un meeting. Elle sera son tombeau. Comme pour Guynemer et tant d’autres. Né dans une colonie, Roland Garros n’est pas mobilisé. Pourtant, il s’engage en rejoignant l’escadrille d’aviateurs chargés de missions d’observation. Avant de s’intéresser à la mise au point d’une mitrailleuse embarquée, placée à travers l’hélice. Revenu sur le front, il est en mission au-dessus de la Belgique quand son Morane-Saulnier est touché par la DCA allemande. Obligé de se poser en territoire ennemi, Roland Garros est fait prisonnier. S’ensuit trois longues années de captivité durant lesquelles il ne pense qu’à s’évader. Jusqu’à ce 15 février 1918 où il fausse compagnie à ses geôliers et revient en France en passant par la Hollande et la Grande-Bretagne.
En trois années, l’aviation a beaucoup évolué. S’est modernisé. Roland Garros veut reprendre les commandes et rattraper au front ses trois années de captivité. Elles lui seront fatales. Le 5 octobre 1918, son avion s’écrase au-dessus des Ardennes, sur la commune de Saint-Morel, abattu par un Fokker allemand.
Roland Garros, un homme pressé de vivre comme s’il se savait mortel. Mais sa mort ne serait pas le linceul de l’oubli. C’est sur un autre terrain de jeu, la terre battue, que son nom survivrait.


Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !