Drame en direct à Furiani Bastia. 5 mai 1992

A Bastia, le football c’est la vie. Avec, en arrière-plan, la fabuleuse épopée du Sporting Etoile Club Bastia en finale de la coupe d’Europe UEFA, année 77-78. C’était le temps des Claude Papi, Johnny Rep, Merry Krimau ou Félix Lacuesta. Le premier comme légende du club, surnommé « le footballeur corse du siècle », décédé trop tôt en 1983 et dont la tribune Nord du vieux stade Aimé-Césari porte le nom. Une tribune de 750 places, suffisante pour un club qui a perdu son lustre passé et qui se débat désormais, en 1992, dans les joutes de la division 2 nationale. Une tribune toutefois totalement inadaptée pour recevoir en demi-finale de la Coupe de France le grand O.M. et sa cohorte de vedettes Chris Waddle, Jean-Pierre Papin, Manuel Amoros, Didier Deschamps… Provoquant une ferveur populaire impossible à décevoir. La solution : porter la capacité du stade à 18000 places en abattant un symbole : la tribune Claude Papi pour la remplacer par une tribune métallique de 125 mètres de long, 15 mètres de haut pour une capacité de 9300 places. Le tout en une dizaine de jours. Pari insensé et inconscient de dirigeants ne regardant que l’appât du gain.

Il faut donc faire vite. Trop vite ! Jusqu’à passer outre le permis de démolition pour débuter les travaux. Jusqu’à même envoyer un faux document de la Ligue corse de football à la Fédération française, outrepassant les réserves de la commission de sécurité sur cette construction métallique confiée à la société niçoise Sud-Tribunes.

Encore, la veille du match, les travaux sont loin d’être terminés. Quand la commission de sécurité passe, elle juge « le niveau de sécurité très insuffisant ». Le jour du match et même à quelques heures du coup d’envoi, des ouvriers s’affairent toujours à resserrer des boulons. Une dernière inspection se déroule sans représentant de la Préfecture, seule habilitée à signer le document d’autorisation. Des milliers de supporters déferlent déjà vers le stade pour célébrer, espèrent-ils, la victoire du Sporting.

A 19 heures, l’ambiance monte d’un cran quand les équipes viennent repérer la pelouse. On applaudit. On chante. On tape des pieds sur les parois métalliques. Au point que les agents de sécurité s’inquiètent des vibrations qui descellent des boulons et menacent les tubulures mécaniques. Mais rien ne peut arrêter la ferveur des supporters ! Pas même les appels réitérés du speaker aux spectateurs de ne plus taper des pieds. La fête du football a commencé !

Il est 20 heures 20 quand Patrick Poivre d’Arvor, sur TF1, rend l’antenne du journal télévisé au duo Rolland-Larqué chargé de commenter le match en direct. A l’instant même, le haut de la tribune Nord s’effondre en arrière, entraînant dans une chute de 15 mètres, le dernier rang où se trouvent de nombreux journalistes de la presse écrite et parlée. Le reporter du Provençal Mario Albano raconte : « 20h20, d’un coup, le tremblement, je m’accroche au pupitre de bois, bouée dérisoire pendant que Patrick me lance : “Mais qu’est-ce qui nous arrive ? Il arrive ce qui devait arriver. On tombe !” Ma réponse n’a pas le temps de sortir de ma bouche, elle reste coincée, là, entre mon cerveau et mes lèvres tandis que nous nous fracassons au sol. »

L’effet de surprise est total. En contrebas, le chaos ! Les corps de 3000 spectateurs s’amoncellent les uns sur les autres dans un enchevêtrement de poutres métalliques, de sièges en plastique et de bois. Tandis que les spectateurs du bas des tribunes tentent de fuir sur la pelouse malgré les grilles de protection que des joueurs bastiais s’empressent d’ouvrir. Aux encouragements des supporters succèdent les cris d’horreur. Sur la pelouse, l’agonie des blessés et la tragédie des morts remplacent le théâtre des footballeurs. . Tout cela en direct !

Les secours et la solidarité s’organisent rapidement. La pelouse se transforme en hôpital de fortune en attendant l’évacuation des blessés, dans un ballet d’hélicoptères, vers les hôpitaux de la région. Le lendemain, Corse-Matin titre : « Horreur à Furiani » établissant un bilan de 9 morts et 300 blessés. Chiffres dérisoires par rapport à la réalité : 19 morts et 2357 blessés.

Les joueurs des deux équipes sont encore dans les vestiaires au moment du drame avant de découvrir une vision apocalyptique : « J’ai vu des choses effroyables, témoigne Daniel Xuereb, joueur de l’OM. En arriver à cette tragédie pour quelques francs de plus, c’est grave. J’espère ne plus voir ça dans un stade. Ca a été pénible de reprendre le foot après cette date. »

Car après la stupéfaction viennent les interrogations. Comment a-t-on pu en arriver là ? A considérer qu’une mirifique recette pour le club puisse surpasser des vies humaines ! A Desla justice désormais d’établir les responsabilités des uns et des autres. Et le constat est terrible. A tous les niveaux de décision, une somme d’irrégularités et de failles résumées en trois mots : Inconscience. Incompétence. Imprudence. Des travaux sans permis de démolition ; des faux documents adressés à la FFF ; des règles de sécurité bafouées come l’avoue le directeur technique de Sud-Tribunes Nice, Jean-Marie Boimond lors du procès : « Si j’avais fait les choses dans les règles de l’art, il n’y aurait pas eu de drame ».

Le 23 avril 1993, la Cour d’appel de Bastia renvoie treize personnes sur dix-huit devant la chambre correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Bastia. A la grande colère du collectif des victimes, et de leur avocat, maître Vergès, estimant que cette décision dédouane en réalité les pouvoirs publics. Neuf mois plus tard, le 4 janvier, le procès s’ouvre dans un état d’extrême tension. En effet, quelques jours plus tôt, le 26 décembre, l’ancien président du Sporting de Bastia, Jean-François Filippi, a été assassiné. Le 2 avril, le verdict tombe. Jean-Marie Boimond et Michel Lorenzi sont condamnés à deux ans d’emprisonnement. Six autres accusés à des peines inférieures à deux années de prison. Les cinq autres prévenus sont relaxés. La colère gronde sur l’île. Pourtant, le procès en appel qui s’ouvre le 16 octobre 1995, ira encore plus loin dans la clémence, tous les prévenus bénéficiant du sursis, à l’exception de Jean-Marie Boimond dont la peine est confirmée.

La catastrophe de Furiani accouchera d’une nouvelle réglementation concernant les installations sportives. Tandis qu’à la demande du collectif des familles des victimes, après bien des années de débat à l’Assemblée nationale puis au Sénat, la date du 5 mai est gelée pour les matches de football professionnels, de Coupe de France et de Trophée des Champions.

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