Le Sud-Ouest tremble. Arette. 13 août 1967
Les villages typiquement béarnais blottis au fond de la vallée de Barétous vont vivre une nuit d’horreur, ce dimanche 13 août 1967. Le plus important tremblement de terre depuis un siècle, après celui de Lambesc, va traumatiser en quelques secondes le Haut Béarn, laissant soixante-deux communes sinistrées et des centaines de sans-abris. Le séisme d’une amplitude de 5,3 sur l’échelle de Richter a été ressenti dans toute l’Aquitaine et au nord de l’Espagne et même des stations sismologiques situées en Antarctique ont pu l’enregistrer !
C’est le week-end le plus long de l’année. Les nombreux touristes ont pu profiter du temps magnifique pour visiter la vallée riche de légendes. La nuit a maintenant enveloppé les sommets tout proches…
Nuit d’épouvante
Un chien hurle à la mort dans la nuit, des dizaines lui répondent ; dans les étables, les vaches s’agitent, piétinent et tirent désespérément sur leur corde ; les hommes dorment, seuls êtres vivants inconscients du danger qui s’annonce dans la coquette bourgade des Pyrénées-Orientales d’Arette. La cloche de l’église Saint-Pierre égrène ses onze coups. Ce seront les derniers. 23 heures 06 ! Les murs des chambres se lézardent, les toitures gémissent, les lits valsent, les buffets crachent la vaisselle, les Arettois se réveillent en sursaut. Ils ont compris. La terre tremble. Instinctivement, ils cherchent l’interrupteur. Geste dérisoire. Le village est dans le noir. Il faut sortir de ce tombeau qu’est devenue la maison. Partout des cris, des plaintes…
23 heures 15 ! Seconde secousse, plus violente, plus longue. Le sol se dérobe sous les pieds, les vibrations puissantes arrachent portes et fenêtres, soulèvent les toitures, ébranlent tous les édifices. Dans un fracas sinistre, une première maison s’écroule, des dizaines suivent soulevant un nuage compact de poussière. Des façades se lézardent. Les rues s’encombrent de gravats. Pendant huit interminables secondes, Arette vit le pire des cauchemars. Un instinct de survie venu du fonds des âges pousse les habitants vers la campagne. Dans la nuit noire on court, on s’appelle, on crie, on hurle sa peur et sa souffrance. Les femmes et les enfants se serrent dans les ravines en attendant les premières lueurs de l’aube.
23 heures 23 ! Tout est fini. Un silence implacable enveloppe le village. Chacun s’étonne d’être toujours en vie et s’inquiète pour les autres membres de la famille. Le moment de stupeur passé, très vite on se cherche, se retrouve, s’embrasse. Les femmes serrent très fort leurs enfants ; les hommes s’improvisent sauveteurs. Courageux comme le sont les paysans de nos montagnes, ils fouillent les décombres, soulèvent les gravats, aident les plus vieux à s’extirper de leur prison de pierre. Une femme s’inquiète de sa voisine. Personne n’a revu Marie Bergez-Luque, une vieille dame de quatre-vingt ans. Sa maison est éventrée ; son lit vide est resté à l’étage, accroché à des lames du plancher. Un homme retrouve Marie écrasée sous un amas de pierres. Il ne peut plus rien pour elle.
Les miraculés du petit jour témoignent
Au petit matin, les premiers rayons de soleil offrent un paysage de désolation et de ruine aux Arettois. Plus des deux tiers des trois cents maisons se sont écroulées et les autres présentent des fissures inquiétantes. Le vieux clocher de l’église est coupé en deux et ce qu’il en reste menace de s’effondrer. Les rues sont couvertes d’éboulis. Le journaliste de Sud-Ouest évoque à juste titre un village « bombardé et canonné », et c’est bien l’impression que donne Arette en ce 14 août au matin.
Pourtant, une rumeur incroyable se propage. Le séisme n’aurait provoqué qu’une victime, Marie Bergez-Luque ; le nombre de blessés, une quinzaine, est en lui-même invraisemblable vu l’ampleur des dégâts matériels et chacun se sent miraculé.
Un couple raconte comment à la seconde secousse, la cheminée s’est abattue sur la toiture qui a cédé, emportant avec elle le mur de soutien. Le lit dans lequel ils dormaient a dégringolé au rez-de-chaussée en se retournant comme une crêpe. Le matelas a ainsi amorti les chutes de pierres, poutres et chevrons leur assurant la vie sauve !
Une jeune maman témoigne de sa chance inouïe : « Le soir du tremblement de terre nous dormions ma fille de sept ans et moi au premier étage. J’ai été brutalement réveillée par un sourd grondement et, presque aussitôt après, dans l’obscurité totale j’ai entendu un fracas terrible. Toute la maison s’écroulait. Mon lit a glissé sur le plancher qui s’incurvait. J’ai attrapé ma fille et me suis jetée avec elle au bas du lit, juste au moment où un énorme pan de mur s’abattait sur notre couche ! Une seconde plus tard, nous étions écrasées ! »
Avec une émotion palpable, le maçon fixe incrédule, à travers le mur éventré, l’armoire située près de son lit qui incontestablement lui a sauvé la vie. L’armoire, dans un équilibre précaire, soutient toujours le toit effondré juste au-dessus de son lit. Si elle avait basculé sous le poids, le brave homme aurait péri écrasé.
Quarante ans après, Jean B. n’a rien oublié de cette nuit cauchemardesque : « J’arrivais tout juste à la fête de Montory. Je venais de garer ma 2CV quand je l’ai sentie bouger fortement comme si quelqu’un la secouait. J’ai ouvert la portière, et malgré la nuit, j’ai vu des maisons toutes proches s’effondrer. J’ai vite redémarré la voiture et une deuxième secousse très forte s’est alors produite. En quittant Montory, la rue était pleine de gravats. La 2 CV m’a peut-être sauvé, c’est comme un 4X4, ça passe partout… Sur la route pour rentrer chez moi, les secousses continuaient, je les sentais car j’avais l’impression que le bitume se gondolait sous les roues de la voiture. À Arette, je l’ai laissée sur la place. Impossible d’aller plus loin, l’église était déjà tombée. J’habitais à cinquante mètres de là. Lorsque je suis arrivé à la maison, ma mère, blessée, était étendue par terre ; le docteur la soignait et une voisine était à ses côtés. Un petit moment après, j’ai été faire le tour de la famille. J’ai croisé les pompiers qui m’ont demandé d’accompagner un blessé jusqu’à la place où étaient leurs véhicules. Dans les rues, tout le monde courait, criait, tout cela dans l’obscurité totale. Un peu plus tard, dans la nuit, nous avons fait des feux dans les coins des rues ; on est resté là. Presque toutes les dix minutes, on sentait la terre trembler encore et encore, on entendait aussi parfois un mur qui s’effondrait. Quand le jour s’est levé, on s’est rendu compte. Si on l’avait vu avant, personne n’aurait osé entrer dans les maisons comme nous l’avons fait dans la nuit, pour chercher des tricots ou de quoi faire du café… Beaucoup de maisons étaient par terre ; elles s’étaient écroulées comme des châteaux de cartes. D’autres avaient de grandes fissures ou un mur en moins. Il y avait des gravats partout… Et puis, tôt dans la matinée, ce qui m’a choqué, c’est une chose inouïe : des voitures, pare-chocs contre pare-chocs, qui arrivaient à Arette. C’était des curieux… Très vite, la gendarmerie a alors fermé le village et interdit son accès… »
Toute une région traumatisée
Arette est bien l’épicentre du tremblement de terre mais toute la vallée du Barétous a été secouée et une partie de la Haute-Soule. Oloron, Aramits, Argelès-Gazost, Mourenx ont vécu dans l’horreur cette nuit tragique.
À Montory, le dimanche soir c’est la fête. Villageois et estivants guinchent au son de l’orchestre de Roger Desjean. La rue du Milieu est noire de monde et la nuit est douce quand le cauchemar commence. Les guirlandes s’éteignent. L’obscurité soudaine cause déjà un début de panique. Craquements sinistres de murs qui s’écroulent ; une cheminée s’effondre sur la bâche qui protège l’orchestre. Les cris redoublent, le sol se dérobe. Fini la danse, fini la musique ! C’est la fin du monde.
Le calme revenu, comme à Arette, on se cherche, on donne les premiers soins aux blessés et ensemble on se dirige vers les maisons, la peur vissée au plus profond des entrailles. Les rues sont jonchées d’ardoises. Plusieurs maisons sont éventrées. Des charpentes disloquées et des pans de murs fragilisés menacent à tout instant de s’écrouler. Hagards, les gens avancent. Peu oseront dormir chez eux. Et si Ça recommençait ? Le « Ça » ne recommencera pas mais la terre continue à vibrer, comme si le village était maudit, comme si cette nuit cauchemardesque ne devait jamais finir.
Dès l’aube, on apprend qu’Arette est presque entièrement détruit et le mot « miracle » est sur toutes les lèvres quand on obtient certitude qu’aucune victime n’est à déplorer à Montory. Quelques-uns se signent en passant devant l’église dont l’horloge s’est arrêtée à 11 heures 10.
Organisation des secours
Le plan ORSEC est mis en place, la première urgence étant d’interdire l’accès des villages en ruine à tous les curieux qui affluent. L’armée et les pompiers sont déjà au travail. Il faut dresser des tentes souvent dans les jardins des maisons sinistrées à la demande des habitants qui ne veulent pas s’éloigner. Il faut déblayer, étayer, sortir des maisons tout ce qui peut être utile. La tâche est immense, la solidarité s’organise. Le nombre des sans-abris est impressionnant. Onze cents à Arette, près de quatre cents à Montory, les vacanciers sont nombreux dans la verte vallée du Barétous. Les pelleteuses arrachent encore des larmes en détruisant ce qu’il reste des bâtiments les plus menaçants. Les gorges sont nouées quand, après deux heures d’effort, le clocher de l’église Saint-Pierre d’Arête s’écroule dans un nuage de poussière. La cloche tinte une dernière fois et bien des Arettois ont l’impression de perdre un petit peu de leur âme.
Le 29 août 1973 la nouvelle église est inaugurée. Les vitraux contemporains, œuvre de l’artiste Paul Ambille, abritent le retable et le précieux lutrin datant du XVIe siècle qui ont échappé au cataclysme. Ce lien symbolique entre le passé et la modernité confirme la détermination des Baretounnais, marqués par la tragédie, à se tourner résolument vers l’avenir.
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