Le « fardeau colonial » de la France

Orgueil de la IIIe République, « l’œuvre coloniale française » devient un lourd fardeau à régler pour la IVe République, entre guerres de soumission et décolonisation.

Le 6 mai 1931, au bois de Vincennes, Gaston Doumergue, président de la République, Paul Raynaud, ministre des Colonies et le vieux maréchal Lyautey, nommé commissaire général inaugurent l’Exposition coloniale avec l’idée « de donner, selon Paul Raynaud, aux Français conscience de leur Empire » et que « chacun de nous se sente citoyen de la Grande France ».

 Un mythe : la vertu civilisatrice de la colonisation

Un vieux projet que cette Exposition coloniale qui remonte à la fin de la Première Guerre mondiale mais dont la finalité n’a pas changé après onze années de tergiversations, si l’on en croit son prédécesseur aux Colonies, Albert Sarraut, en 1920 : « « L’exposition doit constituer la vivante apothéose de l’expansion extérieure de la France sous la IIIe République et de l’effort colonial dans des nations civilisées, éprises d’un même idéal de progrès et d’humanité… L’Exposition de 1925 sera l’occasion de compléter l’éducation coloniale de la nation par une vivante et rationnelle leçon de choses. »

Cela veut-il dire que les Français, dans leur grande majorité, porte un regard lointain sur ce vaste empire s’étendant sur tous les continents (100 millions d’habitants sur 10 millions de km2) et n’en mesurent guère les effets « civilisateur », politique et économique ?

Tout, alors, est organisé pour faire de cette manifestation un succès populaire. Reconstitution de monuments et de villages voisinent avec un zoo attractif. Un parc de 110 hectares qui reçoit de mai à novembre près de 8 millions de visiteurs et 33 millions de tickets vendus. Quelques voix s’élèvent pourtant contre cette imagerie coloniale. Une contre-exposition est réalisée sans grand succès tandis qu’en Indochine, une insurrection est matée par l’armée. En réalité, l’exposition coloniale cache l’exploitation qui est faite des hommes et des richesses de ces colonies au seul profit de la métropole.

L’Empire colonial français en 1931, celui où le soleil ne se couche jamais, connaît son apogée avant d’aborder son déclin.

 L’Afrique, continent majeur de la colonisation française

Tout philatéliste qui se respecte possède dans sa collection une série de timbres estampillés A.O.F. et A.E.F. dont les thématiques rappellent souvent « l’œuvre coloniale française » sur le continent africain.

Ces deux entités couvrent la majeure partie de l’Afrique du nord-ouest à l’exception de quelques possessions anglaises (Sierra Leone, Côte de l’Or et Nigéria), espagnoles (Rio de Oro et Guinée), portugaises (Guinée Bissau), le Libéria étant indépendant.

La plus ancienne, l’Afrique occidentale française, est fondée en 1895. Un gouverneur général, en poste à Dakar, veille sur un territoire de 4 689 000 km2, de la Mauritanie au nord, au Niger au sud, incluant le Sénégal, la Guinée Française, la Côte d’Ivoire, le Dahomey (Bénin), la Soudan français (Mali), la Haute-Volta (Burkina-Faso) et le Togo.

Quinze années plus tard naît l’Afrique équatoriale française. Plus petite en superficie (2,5 millions de km2), elle englobe du nord au sud, le Tchad, l’Oubangui Chari (Centrafrique), le Moyen Congo et le Gabon, avec pour capitale Brazzaville.

A ces deux entités s’ajoutent les protectorats de la Tunisie et du Maroc, l’île de Madagascar, les trois départements de l’Algérie ainsi que les territoires du Cameroun et du Togo, sous mandat de la Société des Nations et placés sous domination française depuis 1919.

Outre l’occupation militaire, c’est l’exploitation économique de ces territoires qui est en jeu, provoquant notamment une mutation des cultures vivrières en cultures d’exportation, au détriment des populations indigènes. Plomb, or, cuivre, bois, charbon ou pétrole sont exploités et exportés au seul profit de la métropole. Une exploitation de fait contraire aux bonnes paroles des différents ministres des Colonies et qui sera le ferment de la contestation et des révoltes des mouvements indépendantistes, ajouté aux inégalités politiques.

 De l’Union française à la Communauté française : entre fermeté et réformes gouvernementales

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, outre la reconstruction du pays, la France doit tenir compte de nouveaux facteurs qui changent la politique colonialiste de la IIIe République. La participation des populations colonisées à la libération des territoires occupés, la critique de l’impérialisme par les Etats-Unis et l’émergence et le renforcement des mouvements indépendantistes conduisent les premiers gouvernements de la IVe République à envisager des réformes, en excluant toute idée d’autonomie et, a fortiori, d’indépendance. C’est ainsi qu’en 1946, le travail forcé et le code de l’indigénat sont abolis, permettant aux autochtones de devenir des citoyens à part entière, à égalité avec les Français de la métropole.

Trois étapes, de 1946 à 1958, conduisent les colonies françaises vers une indépendance qui semble de plus en plus inéluctable au fil des réformes entreprises et des révoltes qui gagnent les colonies à l’image de Madagascar en 1947. Indépendance que les gouvernements successifs tentent tant bien que mal de freiner en redéfinissant les liens entre la France et ses colonies par de nouveaux cadres institutionnels.

Il en va ainsi, en 1946, de l’Union française, assemblée au simple rôle consultatif alors qu’à l’Assemblée nationale, l’Outre-mer est sous-représenté. Les événements d’Indochine et le début de la guerre d’Algérie incitent la France à modifier sa politique coloniale. En 1956, Gaston Deferre est nommé ministre de l’Outre-mer par le président du Conseil, Guy-Mollet. Conscient des inégalités qui pèsent dans l’Union française et des foyers insurrectionnels qui couvent dans plusieurs colonies, il rédige une loi-cadre qui doit permettre d’éteindre les velléités indépendantistes en offrant plus d’autonomie interne et plus de liberté aux colonies.

Deux ans plus tard, à la faveur du retour du général de Gaulle au pouvoir, une nouvelle étape est franchie vers l’indépendance par le biais d’un referendum proposé aux territoires de l’Afrique subsaharienne. Ceux qui répondront oui accèderont à la nouvelle Communauté française, promesse d’une plus grande autonomie ; pour les autres, ce sera l’accession pure et simple à l’indépendance.

La Guinée, seule, avec 85% de non, décide de se séparer de la métropole. Les douze autres territoires adhèrent à la Communauté française. Une illusion supplémentaire offerte aux dirigeants africains, loin de les satisfaire.

 L’année des indépendances

De 1946 à 1958, la France tente de préserver son Empire colonial, soit par la force en Indochine, à Madagascar et en Algérie soit par des réformes laissant l’illusion d’une gestion démocratique des territoires d’Outre-mer et d’une plus large autonomie qui n’est que de façade.

La Guinée, en 1958, s’émancipe la première de la métropole en refusant d’intégrer la Communauté française. Les leaders des territoires adhérents comme Senghor, Keïta et Houphouët-Boigny ne sont pas dupes mais préfèrent la politique des petits pas plutôt que le grand saut vers l’indépendance.

D’autre part, leur vision de l’Afrique diverge. Celle de Senghor et de Keïta privilégie la création d’un Commonwealth francophone sous l’égide d’une Fédération malienne regroupant le Soudan français, le Sénégal, le Dahomey et la Haute-Volta. L’autre vision, défendue par Houphouët-Boigny, opte pour une balkanisation des Etats. Cette dernière vision finit par l’emporter. La Haute-Volta et le Dahomey quittent dans un premier temps la Fédération malienne avant que le Sénégal et le Soudan français ne se séparent à leur tour, le 22 septembre 1960. L’Afrique noire vient peut-être de laisser passer l’occasion d’une unité et d’une puissance politique et économique qu’elle ne retrouvera pas.

En attendant, alors que la guerre d’Algérie n’a pas encore trouvé de solution pacifique, les territoires français d’Afrique noire acquièrent les uns après les autres leur indépendance sans la moindre violence. Au début de l’année 1960, c’est tout d’abord le Cameroun puis le Togo, suivis en juin par le Mali, le Sénégal et Madagascar. En juillet, le Dahomey, le Niger, la Haute-Volta, la Côte d’Ivoire, le Tchad, la République Centrafricaine et le Congo Brazzaville leur emboitent le pas. En août, le Gabon puis en novembre, la Mauritanie s’inscrivent dans ce processus. C’en est fini de l’A.O.F. et de l’A.E.F. L’Empire colonial français, cet autre poumon économique de la France voulu par la IIIe République, n’a pas résisté à la Seconde Guerre mondiale et aux désirs des peuples à disposer d’eux-mêmes définis à la conférence de Bandoeng en 1955.

 De Gaulle et la décolonisation 

En août 1958, le général de Gaulle, revenu au pouvoir pour régler la question algérienne, entame le tour des colonies françaises d’Afrique. Le 24 août, à Brazzaville, capitale de l’A.E.F., il prononce un discours qui ouvre la porte à une future indépendance. « Il est naturel et légitime, affirme-t-il, que les peuples africains accèdent à ce degré politique où ils auront la responsabilité entière de leurs affaires intérieures, où il leur appartiendra d’en décider d’eux-mêmes. »

Quatorze ans plus tôt, dans la même ville du Congo, le général a aboli dans un discours célèbre les termes de « colonies » et « d’Empire colonial » au profit des « territoires intégrés ». Dans sa volonté de non-alignement face aux deux superpuissances américaines et soviétiques, De Gaulle doit conserver de bonnes relations avec le Tiers-Monde. Favorable au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, il déclare le 14 juin 1960, dans une allocution télévisée : « Nous avons reconnu à ceux qui dépendaient de nous le droit de disposer d’eux-mêmes. Le leur refuser, c’eût été contrarier notre idéal, entamer une série de luttes interminables, nous attirer la réprobation du monde, et tout cela pour une contrepartie qui fut inévitablement effritée entre nos mains. Il est tout à fait naturel que l’on ressente la nostalgie de ce qui était l’empire, comme on peut regretter la douceur des lampes à huile, la splendeur de la marine à voile, le charme du temps des équipages… »

L’indépendance de ces territoires doit aboutir, selon lui, à maintenir avec eux des liens forts. En même temps, il justifie la colonisation comme « une œuvre positive », l’indépendance n’étant qu’un aboutissement logique et inéluctable : « Il est vrai, déclare-t-il, que pendant longtemps l’humanité a admis – je crois qu’elle avait profondément raison – que pour ouvrir à la civilisation des populations qui en étaient écartées, par les obstacles de la nature ou par leurs propres caractères, il était nécessaire qu’il y eut pénétration de la part de l’Europe occidentale, malgré quelques fâcheuses péripéties. »

Quatre années après son arrivée au pouvoir, la question de la décolonisation est réglée. Une autre politique s’engage. Celle de la « Françafrique. Bien plus opaque !

Focus

Madagascar : l’insurrection oubliée

La guerre d’Indochine et la guerre d’Algérie ont occulté les insurrections et soulèvements qui ont agité les colonies françaises après la Seconde Guerre mondiale. La plus importante se déroule sur l’île de Madagascar, en mars 1947.

Depuis que ce territoire est devenu français en 1896, les inégalités entre indigènes et européens n’ont cessé de grandir. Aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, un nouveau parti, le Mouvement démocratique de la rénovation malgache, concentre la contestation de plus en plus vive au sein de la population qui compte près de 4 millions d’individus, les Européens ne représentant que 35 000 personnes. Cette contestation qui se veut légaliste se radicalise quand, le 29 mars 1947, un poste français est attaqué à Moramango. Des incidents éclatent dans plusieurs villes côtières. L’extrême violence des affrontements (lynchage, incendies, enfants brûlés vifs, mutilations) surprend les colons. L’armée française réagit par une répression féroce. Les militants du M.D.R.M. sont arrêtés, torturés et condamnés à mort pour les principaux leaders. Des prisonniers sont jetés, vivants, depuis un avion.

L’insurrection malgache dure un an avant le retour au calme. Le bilan est lourd, entre 30 et 89 000 victimes, majoritairement malgaches. Treize années seront nécessaires avant que Madagascar accède à l’indépendance. Sans refermer la plaie !

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