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Hindenburg et Ludendorff ou l’incarnation du prestige militaire

Figures mythiques de la Grande Guerre, complices puis adversaires, ces deux prestigieux officiers ont également joué un rôle politique éminent dans une Allemagne ravagée par la défaite puis rongée par les crises économiques et la montée du national-socialisme que ni l’un, ni l’autre ne réussirent à juguler.

Von Hindenburg-Ludendorff. Pour les potaches allemands et français, ces deux noms restent indissociables de 14-18. Deux noms pour deux carrières militaires sans faille, chacun gravissant un par un les échelons pour finir par former la clef de voûte du commandement allemand.

Nés à quelques kilomètres de distance dans la région prussienne de Posen, (aujourd’hui Poznań en Pologne), fils de militaire pour Hindenburg, issu d’une famille de marchands pour Ludendorff, les deux hommes incarnent l’autorité et le militarisme de l’Empire allemand, le premier exprimant des traits plus paternalistes que le second, au visage plus froid et plus rigide.

 Le commandement dans les gènes

« Seules les armes pouvaient parler. » Ainsi s’exprime dans ses « Mémoires » le jeune sous-lieutenant Hindenburg à propos de la guerre des Duchés qui oppose en 1866 la Prusse à l’Autriche. Des propos militaristes relayés plus tard par Ludendorff lequel, citant Salluste, considère que « la paix est l’intervalle de temps entre deux guerres ».

Aîné d’une fratrie de quatre enfants, le jeune Paul voit sa carrière toute tracée quand, âgé de 12 ans, il entre à l’école militaire de Wahlstatt et subit le dur apprentissage de la vie en caserne : « Je restais toute la nuit dans la pièce et j’avais peur, écrit-il. Nous n’avions pas de souper. Je ne trouvais comme linge que trois mouchoirs propres et quelques sous-vêtements. Cette nuit-là je n’ai pu dormir, car les punaises me mordaient terriblement. »

Il avoue toutefois « qu’être soldat était pour moi une évidence », lui qui est issu d’une vieille famille aristocratique où le métier des armes est une tradition enracinée et qu’il va perpétuer.

A peine sorti sous-lieutenant à 18 ans de l’école militaire de Berlin, Paul Hindenburg est envoyé au feu lors de la bataille de Sadowa (3 juillet 1866). Quatre ans plus tard, la guerre franco-prussienne éclate. Le jeune officier se bat avec son régiment dans la région de Saint-Privat avant d’entrer victorieux dans Paris et d’assister à Versailles à la proclamation de l’Empire allemand. La paix revenue, son souhait est d’entrer à l’Académie de guerre dont il suit les cours de 1875 à 1877, apprenant les tactiques et les armes nouvelles.

Dix ans plus tard, le 14 juillet 1885, âgé de 38 ans, il rejoint le grand état-major de l’armée à Berlin. Devenu commandant, il se place sous les ordres du maréchal von Moltke.

De dix-huit ans son cadet, Erich Ludendorff gravit les grades militaires sans combattre avant de se retrouver en 1908 chef de la 2ème section du grand état-major où il participe à l’élaboration du fameux plan Schlieffen pour envahir la France quand l’heure du conflit sonnera.

En 1914, les deux hommes se rejoignent à la tête de l’état-major allemand. L’orage peut éclater !

Deux héros malgré la défaite

En 1911, le général von Hindenburg a fait valoir ses droits à la retraite, estimant « avoir atteint une carrière, meilleure que j’avais pu l’espérer ». Mais l’Histoire va le rattraper ! Rappelé à la déclaration de guerre d’août 1914, il succombe au devoir patriotique et prend le commandement de la VIIIe Armée en Prusse orientale face à l’avancée russe.

A Tannenberg comme aux lacs de Mazurie et à Lodz, von Hindenburg fait preuve d’un éclatant sens de la stratégie militaire par des attaques rapides sur les flancs de l’ennemi qui finit par céder en février 1915.

Un an plus tard, l’échec du général von Falkenhayn devant Verdun propulse Hindenburg, par la volonté du Kaiser, sur le front occidental comme nouveau chef du grand état-major allemand, secondé par le premier quartier-maître général Erich Ludendorff. Désormais, de 1916 à 1919, les Dioscures comme on appelle désormais les deux généraux, avec le poids de l’armée et le mythe qui les entoure, contrôlent de plus en plus le pouvoir, sous forme d’une dictature militaire imposant ses directives au pouvoir politique. Un mythe qui s’est déjà traduit en 1915 à Berlin quand une statue en bois de douze mètres de haut est élevée en l’honneur de von Hindenburg.

Les deux hommes savent aussi que la guerre de position qui prévaut depuis 1914 ne durera pas éternellement. Aussi, Hindenburg fait édifier une ligne de tranchées fortifiées de 160 kilomètres qui permettra, en cas d’offensives alliées, de pouvoir se replier et de faire face. D’autre part, Ludendorff est un partisan acharné de la guerre totale, portant le conflit sur les mers en attaquant les convois de ravitaillement américain vers l’Angleterre et la France. Une erreur qui se révèle bientôt préjudiciable, scellant l’entrée des Etats-Unis dans le conflit. Une erreur qui est compensée par les accords de Brest-Litovsk (3 mars 1918) avec les Soviets. Désormais, l’Allemagne peut se battre sur un seul front et lancer des offensives sur le front français qui résiste, tant en Picardie, qu’au Chemin des Dames et à Reims. Dès le 28 septembre, Ludendorff sent que l’Allemagne est en train de perdre la guerre et préconise la signature d’un armistice : « Nous devrions mettre, écrit-il, un terme à la guerre en suivant les voies diplomatiques. » Terrible constat pour ce chef de guerre !

Le 11 novembre 1918, l’Allemagne capitule et signe l’armistice. Sans Ludendorff et von Hindenburg qui laissent aux civils le soin de signer la défaite, voulant démontrer par leur absence la responsabilité du pouvoir politique.

Avant de partir en exil au Pays-Bas, Guillaume II a congédié Ludendorff, le 26 octobre. Von Hindenburg demeure alors seul à la tête de l’armée qu’il quitte définitivement le 25 janvier 1919. Malgré tout, l’aura qui entoure les deux officiers demeure intacte au sein de la population et des soldats démobilisés, en dépit de la défaite.

Le 18 novembre 1919, von Hindenburg et Ludendorff sont convoqués devant une commission d’enquête de l’Assemblée nationale chargée de mettre en avant les responsabilités de l’armée dans la défaite. Le discours de von Hindenburg est un plaidoyer pour l’armée et son commandement. Pour le vieux maréchal, « l’armée allemande a reçu un coup de poignard dans le dos », accusant les ouvriers révolutionnaires et les socialistes allemands d’avoir sapé le moral de l’armée.

La commission d’enquête n’ira pas plus loin, reconnaissant même leurs actions militaires. Von Hindenburg peut alors regagner Hanovre pour y vivre des jours tranquilles et Ludendorff, l’Allemagne après s’être expatrié en Suède. Mais dans un pays balloté politiquement et économiquement, les deux hommes ne s’en tiendront pas à une retraite paisible.

Des vies politiques opposées

Si la guerre a rapproché les deux officiers, la paix revenue voit von Hindenburg et Ludendorff poursuivre des chemins politiques diamétralement opposés. Acquis aux thèses nationalistes, Ludendorff adhère au NSDAP d’Adolf Hitler. Une aubaine pour le chef nazi, le général lui apportant une caution politique indéniable. Avec le général von Lüttvitz, il se fourvoie d’abord dans la tentative avortée du putsch de Kapp, entre le 13 et le 20 mars 1920 puis dans le coup d’état de la Brasserie, à Munich, en 1923. « Il s’agit, écrit-il, de la patrie et de la grande cause nationale du peuple allemand et je ne peux que vous conseiller : venez avec nous, faites la même chose… » Nouvel échec qui le conduit devant le tribunal où son passé prestigieux lui sert d’acquittement. « Le seul atout de l’Allemagne », dira même de lui le président du tribunal.

L’année suivante, il est élu député du Reichstag sous l’étiquette du NSDAP. Un tremplin qui l’incite, poussé par les nazis, à se présenter à l’élection présidentielle de 1925, face à son ancien chef, von Hindenburg. Le vieux maréchal, âgé de 77 ans, a fini par se laisser convaincre de se présenter au second tour face au candidat du Centre et de la gauche Wilhelm Marx. Au passage, il a égratigné Ludendorff qui n’a réalisé qu’1,1 % des suffrages au premier tour en lui écrivant : « Retirez votre candidature immédiatement. Au lieu de vous unir […] vous vous dispersez avec les cercles nationaux en cette heure décisive. Dans ce camp, votre élection est désespérée. Vous vous compromettez ainsi… de votre faute, la patrie est en danger. Acceptez donc cette demande qui pourrait être la dernière de ma vie. »

Au soir du 27 avril 1925, von Hindenburg est élu président de la République avec les voix du NSDAP par 48,3 % contre 45,3 % à son adversaire Marx et au candidat communiste Thälmann, 6,4 %.

A Berlin, le maréchal déclare aux députés du Reichstag : « Les instructions que j’ai reçues à la Grande Ecole de l’accomplissement du devoir, à l’armée de terre allemande, doivent être également utiles pour son devoir de paix » avant d’ajouter dans une allocution au peuple : « Il ne faut pas imaginer qu’un parti me donnera d’une quelconque manière des instructions, même pas ceux qui m’ont aidé dans la compétition électorale… » Allusion sans doute au soutien des nazis. Hindenburg se trompe ! Hitler a déjà compris tout le parti qu’il y aura à courtiser le maréchal pour s’ouvrir la voie du pouvoir.

Ludendorff, de son côté, ne se relèvera pas de son échec présidentiel. Il s’écarte du NSDAP et fonde avec sa future épouse, Mathilde Spiers, le mouvement païen « connaissance de Dieu ». Quand le président Hindenburg appellera Hitler à la Chancellerie, il lui écrit : « Je vous prédis solennellement que cet homme exécrable entraînera notre nation vers les abîmes du déshonneur […] Les générations futures vous maudiront dans votre tombe pour ce que vous avez fait. » Vision prémonitoire !

Entre refus et compromis : le mythe face à Hitler

De 1925 à 1934, date de sa disparition, la présidence d’Hindenburg subit en même temps la crise de 1929 qui frappe durement l’Allemagne, une instabilité politique durant laquelle se succèdent pas moins de cinq chanceliers, la montée en puissance du NSDAP qui passe de 2,6 % à 18,3 % entre 1928 et 1931 et sa volonté d’écarter la gauche du pouvoir. Un exercice d’équilibriste difficile à gérer avec le risque de s’isoler. Cependant, en 1932, lorsque le mandat présidentiel se termine, le centre et les sociaux-démocrates se regroupent dans le Volksblock et appellent à voter en faveur du maréchal afin de contrer le NSDAP. Une alliance de circonstances entre socialistes et conservateurs qui reçoit le soutien du patronat allemand, inquiet du flou qui entoure la politique économique du parti nazi.

Von Hindenburg arrive largement en tête au 1er tour avec 49,6 % des voix contre 30,1 % à Hitler et le candidat communiste, 13,2 %, preuve que le maréchal passe encore comme l’ultime rempart à la prise du pouvoir par les nazis. Au second tour, le président sortant est réélu avec 53,1 % des voix contre 36,8 % à Hitler. Mais la leçon à retenir vient du NSDAP,  devenu le premier parti allemand, provoquant de la part d’Hitler des exigences de plus en plus nombreuses. Des exigences qu’Hindenburg refuse catégoriquement : « Faire d’un caporal bohémien, ironise-t-il, le chancelier du Reich, ce serait du propre. »

Après avoir proclamé la loi martiale (1932) pour mettre fin au désordre et dissous le Parlement (12 septembre 1932), Hindenburg, après de nombreuses tergiversations, finit pourtant par appeler Hitler à la Chancellerie. Le ver avait fini de se glisser dans le fruit ! Hindenburg tentera bien de freiner les projets d’Hitler, notamment par rapport aux lois juives. Mais en même temps, il signera l’ordonnance pour la protection du peuple qui permet aux nazis d’épurer l’administration et la police allemande, supprimant de fait les libertés individuelles.

En avril 1934, le vieux président tombe malade, atteint d’un cancer du poumon. Il meurt le 2 août 1934, quelques jours avant qu’un plébiscite accorde à Hitler les pleins pouvoirs. Inhumé au mémorial de Tannenberg, lors de funérailles nationales, son cercueil est évacué en 1944 face à l’avancée des troupes soviétiques pour rejoindre l’église Sainte-Elisabeth à Marbourg.

Son compagnon de route, Erich Ludendorff refusera d’assister aux obsèques, évoquant en von Hindenburg « ce faux demi-dieu ». Rancune quand tu nous tiens ! Trois ans plus tard, lui-même expire le 22 décembre à l’âge de 72 ans, après avoir refusé le titre de maréchal proposé par Hitler.

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