Sacco et Vanzetti : la tragédie de l’injustice

Calas, Dreyfus, les époux Rosenberg… des noms-symboles sur lesquels se cumulent procès politiques, erreurs judiciaires, xénophobie et mobilisation populaire. L’affaire Sacco et Vanzetti ne déroge pas à cet engrenage d’une justice aux mains du pouvoir. À des années-lumières du siècle éponyme où la séparation des pouvoirs, selon Montesquieu, devait être garante de la liberté individuelle et de l’égalité.

Tout commence, le 15 avril 1920, par un braquage qui tourne mal dans la petite ville de South Braintree dans le Massachusetts, au sud de Boston. 16 000 dollars dédiés aux salaires des ouvriers de l’usine de chaussures Slater et Morill s’évaporent dans la nature. Le braquage tourne mal : un trésorier-payeur et un garde sont abattus. Les premiers témoins évoquent deux hommes, d’allure trapue, au volant d’une voiture noire. Rapidement, la police fait le rapprochement avec un premier braquage, cinq mois plus tôt, à Bridgewater.

Dans le contexte de l’époque, les autorités se doivent d’agir vite. La recrudescence des manifestations et des attentats (contre le procureur Palmer et la banque Morgan notamment) ajoutée à la révolution bolchevik entraînent le pouvoir américain dans une dérive sécuritaire, notamment à l’égard des anarchistes et plus particulièrement des Italiens.

Sacco et Vanzetti sont des coupables idéals. Fichés comme anarchistes, ils sont arrêtés le 5 mai 1920, non seulement en possession de tracts « séditieux » mais aussi d’armes dont l’une est d’un même calibre (38) que celle utilisée lors du braquage. Il n’en faut pas plus, malgré l’alibi présenté par Vanzetti et leurs protestations d’innocence, pour les emprisonner avant un premier procès où seul Vanzetti est condamné. Simple affaire criminelle au départ, sans preuves irréfutables de leur culpabilité, l’affaire Sacco et Vanzetti se transforme en procès politique dans lequel les deux accusés finiront de se fourvoyer en professant leurs convictions, offrant leurs vies à la cause anarchiste.

Une immigration mal considérée

La misère, c’est le lit de l’immigration italienne, qui atteint son apogée vers les Etats-Unis entre 1880 et 1900. Paysans pauvres du sud de l’Italie et de la Sicile (près de 655 000) gagnent le Nouveau Monde pour travailler. Assimilée à la mafia, la diaspora italienne est mal considérée jusqu’à être maltraitée, comme lors du lynchage de 11 immigrants italiens en 1891 à la Nouvelle-Orléans.

Des conditions pour se rebeller

L’Italie est terre d’anarchisme. Sans doute parce que souvent envahie et occupée, ses hommes ont fini par ne plus accepter d’autorité. Les immigrants italiens, paysans ou ouvriers indépendants, sont devenus aux Etats-Unis des ouvriers de l’industrie, voués aux ordres, ressentant leur condition d’esclave et engendrant une rébellion violente qui se retrouve dans l’anarchisme. Ainsi peut être compris le cheminement idéologique d’hommes comme Sacco et Vanzetti.

La Sedition Act : la hantise du communisme

« L’axe du mal » est une vieille rengaine américaine, renouvelée à chaque fois qu’un danger menace l’Amérique. La Révolution d’Octobre de 1917 provoqua une hantise de la contagion communiste. D’où le vote de la Sedition Act en 1918 qui limite la liberté d’expression et vise particulièrement communistes et anarchistes. L’affaire Sacco et Vanzetti éclate dans ce contexte.

Deux hommes avant l’affaire

Sacco et Vanzetti appartiennent à la mouvance anarchiste pacifiste. Tous les deux se sont enfuis au Mexique en 1917 pour éviter de partir combattre. Le premier, arrivé d’Italie en 1908, travaille dans une usine de chaussures en 1920. Comme Vanzetti, arrivé la même année, c’est un révolutionnaire actif qui mène des mouvements de grève et milite contre les arrestations et les expulsions arbitraires des anarchistes.

Des zones d’ombre mis en lumière

Face à un juge dont le seul but était de les condamner pour leur opinion politique, les nombreux témoins qui fournirent un alibi en leur faveur ainsi que l’absence du butin à leurs domiciles ne pesèrent guère en comparaison de leur port d’armes au moment de leur arrestation et aux fausses déclarations faites aux enquêteurs pour se protéger de leurs idées anarchistes.

L’aveugle cours de la justice américaine

Tout est dit dans la déclaration du juge Thayer à l’issue du procès : « Même si cet homme (Vanzetti) n’a pas commis de crime, c’est pourtant un ennemi des institutions de notre pays dont les idées sont par essence criminelle. » La justice, dès lors, devait suivre son cours, en dépit du manque évident de preuves formelles. Un procès uniquement à charge dont l’issue était irréversible malgré les protestations planétaires.

Un aveu resté lettre morte

L’avocat de Sacco et Vanzetti Fred Moore crût bien trouver la faille pour disculper ses deux clients condamnés à la peine de mort. Il tenait d’un petit truand portugais, Celestino Madeiros, l’aveu que le double meurtre était son œuvre, agissant pour Joe Morelli. Mais comment un juge aussi obstiné à leurs pertes que Webster Thayer pouvait-il prendre en compte cette déclaration d’un malfrat déjà condamné pour d’autres méfaits ?

Mobilisation internationale pour Sacco et Vanzetti

Le sentiment d’injustice est une valeur universelle. Le sort tragique promis à Sacco et Vanzetti souleva à travers le Monde une vague de protestations à la fois pour tenter de sauver deux vies mais aussi pour pointer du doigt l’aveuglement d’une justice américaine qui ne veut rien entendre ni rien céder, faisant de l’affaire « un lynchage légal ».

La chanson culte de Joan Baez

Le film de Montaldo et plus encore la chanson de Joan Baez, extraite de la bande originale du film, contribuèrent au mythe de cette affaire. Ils ne furent pas les seuls à s’en inspirer, d’Aragon « Sur le port de Dieppe » à Leny Escudero en passant par le chanteur américain Woody Guthrie. Dès les années 30, Nicolas Amato interprète une chanson « Pour un tango » en l’honneur des deux exécutés, aujourd’hui oubliée.

Coupables ou innocents ? Le spectre de l’erreur judiciaire

L’affaire connaîtra au fil du temps de nouvelles révélations. En 1973, un membre de la bande du gangster Joe Morelli, Vincent Teresa, accrédite la thèse de Madeiros, d’un braquage organisée par cette bande. En 1977, le gouverneur Dukakis, devant le petit-fils de Sacco, réhabilite les deux hommes. Mais le débat n’est pas clos. Pour l’historien Francis Russell, seul Sacco serait coupable.

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