Mgr Denis-Auguste Affre. La mort sur les barricades
« Mon Dieu, je vous offre ma vie. Acceptez-la en expiation de mes péchés et pour arrêter l’effusion du sang qui coule… Que mon sang soit le dernier versé… » Tels sont les derniers mots que prononce Mgr Affre. Quelques heures plus tôt, il a répondu à la demande pressante de son ami, le philosophe du catholicisme social Frédéric Ozanam, de se rendre au faubourg Saint-Antoine où s’affrontent les troupes du général Cavaignac, ministre de la Guerre et les ouvriers parisiens insurgés, hostiles au gouvernement, afin d’éviter un bain de sang. L’ordre de la Commission exécutive issue de l’Assemblée de supprimer les Ateliers nationaux a mis le feu aux poudres. Vingt milles ouvriers qui craignent de perdre leur travail descendent dans la rue et érigent des barricades. La répression est féroce.
Devant la menace d’un carnage, l’archevêque n’hésite pas. Accompagné d’un Garde national tenant une branche verte en signe de paix et de son domestique Pierre Sellier, il grimpe sur la barricade. C’est à cet instant qu’une balle anonyme vient le frapper alors qu’il tente de négocier la reddition des insurgés. Rapidement transporté au presbytère Saint-Antoine puis dans sa résidence de l’hôtel Chenizot, l’archevêque de Paris ne survit pas à sa blessure et passe de vie à trépas, le 27 juin 1848, vers 4 heures 30 du matin. Par cet acte héroïque, l’enfant de Saint-Rome-de-Tarn entre dans l’histoire comme l’homme qui, ignorant le danger, offre sa vie pour stopper l’hécatombe de morts qui parsèment les rues de la capitale.
Le petit Denis voit le jour, le 28 septembre 1793, à Saint-Rome-de-Tarn dans une famille de la bourgeoisie rouergate. La présence de son oncle, l’abbé Boyer, à la direction du séminaire Saint-Sulpice à Paris, le conduit dès l’âge de 14 ans, à fréquenter cet établissement pour y suivre ses études et s’engager dans la voie ecclésiastique. Ordonné prêtre en 1818, l’archevêque de Paris lui confie la chaire de théologie de la solitude d’Issy. Il y reste trois années avant de rejoindre Amiens où l’attend une place de grand vicaire. Rapidement, Denis Affre se fait remarquer tant par son activité inlassable et ses talents d’administrateur que par ses écrits « où se confirmaient ses qualités d’historien, de polémiste et de canoniste ». Paraissent ainsi trois ouvrages : « Traité de l’administration temporelle des paroisses » en 1827, « Traité de la propriété des biens ecclésiastiques » en 1837 ainsi qu’une « Introduction philosophique à l’étude du christianisme » en 1846.
Dès lors, le Saint-Romain gravit les échelons de la hiérarchie ecclésiastique. Appelé en 1835 par Mgr de Quelen qui l’élève au rang de chanoine de la cathédrale de Paris, Denis-Auguste Affre lui succède comme archevêque de Paris, le 26 mai 1840. Denis Affre est alors âgé de quarante-six ans. Dès le début, il reste très attaché à l’indépendance de l’église vis-à-vis de la monarchie au pouvoir, à la différence de son prédécesseur, « se montrant dès les premiers jours vis-à-vis de la cour et du gouvernement, tel qu’il fut toujours, ferme, complaisant sans faiblesse, et quand il le fallait respectueux sans flatterie ». Insistant sur le développement intellectuel du clergé, il développe les centres de culte. Spécialiste des questions d’enseignement, il restaure la Faculté de Théologie et crée en 1845 une grande école de formation de professeurs ecclésiastiques (Ecole des Carmes). D’un naturel réservé, il sait aussi faire entendre sa voix et son opinion quand les conditions l’exigent, n’hésitant pas à polémiquer avec Lamennais ou à critiquer certains actes royaux. Proche du théoricien Frédéric Ozanam, il s’émeut de la misère du monde ouvrier. Jusqu’à ce soir du 25 juin 1848 où il succombe sous le tir d’un anonyme. Dès lors une polémique s’installe. Qui des insurgés ou de l’armée a fait feu sur le prélat ? A qui peut bien profiter ce crime ? Deux questions qui n’ont pas encore trouvé de réponses en dépit des nombreux témoignages, trop souvent contradictoires et accentués par la légende. Pour les uns, l’archevêque a fait preuve d’un courage inouï en s’interposant entre l’armée et les insurgés. Pour les autres, il n’est intervenu que pour demander la reddition des ouvriers insurgés comme l’indique ses dernières paroles : « Dites-leur bien, dit-il avant de mourir, dites aux ouvriers que je les conjure de déposer les armes, de cesser cette lutte atroce, de se soumettre aux dépositaires du pouvoir : certainement le gouvernement ne les abandonnera pas. Si l’on ne peut leur procurer du travail à Paris, on leur en donnera ailleurs ; dites-leur pour leur plus grand bien qu’ils se décident à partir. »
Prudente, la presse de l’époque évite de prendre position. « On a tout lieu de croire, édite Le National, qu’il a été victime d’un accident, et non d’un assassinat » tandis que Le Journal des Débats publie : « On dirait que par pitié pour l’humanité, Dieu a voulu cacher dans les ténèbres la main qui avait commis, ou cet épouvantable crime ou cet affreux malheur. » Lamartine écrit : « Ce fut un grand deuil pour Paris et pour la France que le deuil de cet archevêque héroïque de Paris, Mgr Affre, apôtre et martyr volontaire de la Concorde, se jetant à l’assaut de la réconciliation et du ciel, à travers les balles parricides de juin, atteint par un ennemi qui frappait sans viser, mourant avec le sourire de la miséricorde sur les lèvres et offrant son sang comme une libation d’intercession et de paix pour son troupeau chrétien… »
Preuve de sa popularité, plus de 200 000 personnes assistent à ses funérailles le 7 juillet, célébrées à Notre-Dame, là où il repose encore, dans la chapelle Saint-Denis.
Douze années se sont écoulées quand sa commune d’origine lui rend un vibrant hommage en lui élevant une statue, sculptée par le sculpteur Jean-Auguste Barre et inaugurée le 4 septembre 1860. La même qui trône place de la Cité, à Rodez, offerte par la famille de Mg Affre, depuis le 20 janvier 1860.
A lire :
FABRE, Jean-Michel, Mgr Affre. Un archevêque au pied des barricades !, École Cathédrale-Parole et Silence, 2009


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