Justin Bessou. L’abbé qui cultivait les bons mots
De la charité chrétienne, de la bonhomie du personnage, de la verve du conteur ou du talent de l’écrivain patoisant, que doit-on retenir de l’abbé Justin Bessou ? Tout à la fois sans doute tant l’homme cultive toutes ces qualités, quitte parfois à déranger l’ordre établi et à faire grincer les dents de ses supérieurs, lesquels néanmoins prendront toujours sa défense. Enfant de la campagne, né à Méjalanou, paroisse de Saint-Salvadou, le 30 octobre 1845, voué aux travaux agraires, l’abbé doit à son intelligence précoce d’être pris en charge par le curé du village. Son chemin, dès lors, est tout tracé. De petit en grand séminaire, Justin Bessou est ordonné prêtre en 1871. Lui qui rêve de porter la Foi vers les contrées lointaines de la France coloniale est envoyé à Vabre comme missionnaire diocésain. Avant de recevoir les charges de vicaire de Saint-Geniez et de Marcillac. Curé de Lebous puis de Saint-André-de-Najac, il se rapproche de sa région natale et surtout de ce monde rural dont il est issu et qu’il porte au plus profond de sa soutane. C’est d’ailleurs à la vie de ces paysans ségalis que l’abbé Bessou consacre, en patois, sa plus belle œuvre « Da’l Brès à la Toumbo », parue en 1892. Dans la préface du livre, Charles de Pomairols écrit : « Le voilà, ce livre désiré, attendu, pressenti déjà à travers quelques échos discrets ! Nous l’avons enfin, le poème de nos paysans, le poème du Rouergue… Il est fait pour nous, pour nous, gens de Villefranche et des campagnes voisines ; c’est notre intime poème de famille : il est né du sol qui s’étend sous nos pieds et devant nos yeux, il parle la langue enseignée par nos nourrices, il peint les mœurs des hommes qui nous entourent depuis l’enfance et que nous entretenons tous les jours… Ce poème reproduit surtout des êtres vivants, des âmes, des âmes obscures qui ne se connaissent pas elles-mêmes, qui sentent et pensent presque sans s’en douter, et auxquelles ce livre présente tout à coup le miroir magique où elles vont se voir sentir et vivre… »
Chantre de l’épopée paysanne, Justin Bessou puise volontiers ses images dans le bestiaire, à la manière de La Fontaine. « Chez ces deux hommes, écrit son ami le chanoine Vaylet, c’est le même genre d’esprit et de goûts, le même besoin d’indépendance, le même mépris de l’argent, la même indifférence pour les conventions mondaines. »
L’abbé s’inspire aussi visiblement de Daudet, merveilleux conteur, pour exalter le terroir et la vie profonde de son Rouergue natal.
Homme généreux, bonhomme, simple, se contentant de son rôle de prêtre, proche de ses paroissiens et apprécié d’eux, l’abbé Bessou jalonne son œuvre de tout ce qui fait la vie rurale traditionnelle : la terre et ses hommes qui la travaillent.
Mais ce qui fait la réputation de l’abbé Bessou et le rend inimitable, c’est sa faconde et ses traits d’esprit qui laissent pantois son interlocuteur et font s’éclater de rire l’assemblée. A propos d’une vieille bigote dont il n’apprécie guère la vanité, il compose un quatrain assassin : « Elle avait orné son manoir / Pour qu’on vienne la voir / Mais, disait une âme impie / J’aime mieux la cage que la pie… »
Devant l’évêque de Rodez, Mgr Bourret, curieux de connaître ce curé un brin malicieux, qui n’hésite pas à mêler textes bibliques et gauloiseries, et dont il a appris qu’il est un excellent imitateur, l’abbé Bessou commence par s’indigner affirmant bien fort que jamais il ne se permettrait de parodier Son Excellence. Ce disant, Bessou s’ingénie évidemment à caricaturer l’accent et les tics gestuels du prélat. Témoins de la démonstration, les chanoines ne peuvent maîtriser leur fou rire et Mgr Bourret réplique, non sans humour : « Bon, arrêtons-là, arrêtons-là, je saurais maintenant comment votre évêque s’exprime en public. »
L’abbé est aussi féru de répliques spontanées, parfois mordantes. A un quidam qui critique la poésie : « Que pour lui toute poésie / N’était qu’une pure folie. / Nous en convenons avec vous, / Tous les poètes sont des fous. », l’abbé répond du tac au tac : « Mais à voir ce que vous êtes, / Tous les fous ne sont pas poètes. »
Devenu majoral du Félibrige en 1902, à la retraite quatre ans plus tard, il s’installe à Rodez, retrouvant un cercle d’amis (Francis Carco, Roger Frène, Bernard Combes de Patris, François Fabié) dans l’atelier de l’aquafortiste Eugène Viala. Rongé ensuite par une maladie tenace, l’abbé se réfugie chez sa sœur à Villefranche-de-Rouergue. Une sœur qui ne le ménage pas, « ne comprenant pas qu’un prêtre passe sa vie à arranger des mots pour l’amusement du public. Il emploierait mieux son temps à sauver les âmes. »
« Bessou, écrit son ami Henri Fournier, n’est plus qu’un vieillard impotent extrêmement frileux, la taille de plus en plus voûtée, épaissie par un amoncellement invraisemblable de tricots, de douillettes et de pèlerines. Seuls, dans cette silhouette ratatinée, les yeux extraordinairement brillants pétillaient d’esprit. Sous son grand nez, la bouche largement fendue était toujours prête à lancer une plaisanterie. »
L’abbé s’éteint le 30 octobre 1918. Dans un dernier clin d’œil, il a rédigé cette épitaphe : « Ci-git Bessou / Qui fut toujours soûl / Tant qu’il eut le sou ». Ce qui aboutit à dire qu’il n’a jamais été riche, tant son abstinence est légendaire. Parmi ses nombreux écrits, on retiendra Contes de la Tata Manou (1902) ; Contes de l’ouncle Janet (1910) et Besprados de l’oncle Poulito (1923)…
A lire :
CENTENAIRE de J. Bessou, Ed. Carrère, 1945
CHAYRIGUES, Ch., abbé, Vie de l’abbé Bessou, Imprimerie Carrère, 1923
COLLOQUE d’Al Brès à la Toumbo, Cahier du Grelh Roergàs, 1992
VAYLET, J., chanoine, L’Abbé J. Bessou (1845-1918). Sa biographie-Son œuvre, Imprimerie Carrère, 1919


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