Emma Calvé. La voix de Carmen
« Mademoiselle Emma Calvé est espagnole, comme Gayarré, et la Patti. Elle est née à Madrid, en 1864, d’un père espagnol et d’une mère française. Elle a passé toute son enfance dans le pays des sérénades et des castagnettes. Se sentant beaucoup de voix et électrisée par l’exemple de sa sœur, qui, après de grands succès comme cantatrice en Russie, y a fait un noble mariage, elle prit des leçons avec Mme Marchesi et M. Puget. » Ce début d’article, paru le 23 janvier 1885 dans Paris-Artiste, est signé de son rédacteur, Maurice Predel. On peine à croire que le journaliste ait pu faire autant d’erreurs sur la diva naissante. Même à en être tombé amoureux : « Très jolie femme, écrit-il, la taille proportionnée, les traits classiques, accentués, les cheveux noirs, les sourcils de la muse tragique et des yeux brillants, caressants, des yeux qui font rêver… » En réalité, comme l’écrit Jean Contrucci, « toute sa vie, Emma Calvé arrangera la réalité de son existence. Jusqu’à son lit de mort… » Point donc d’origine et de naissance espagnole. Son père, Justin, a vu le jour à Labastide-Pradines, terre de Larzac, et sa mère, Léonie, à Decazeville. Certes, le couple Calvet a bien vécu quelques mois en Espagne mais pour des raisons professionnelles, le père, Justin, possédant une entreprise de boisage de tunnels et de mines. C’est d’ailleurs dans le bassin houiller aveyronnais que naît Rosa-Emma Calvet, le 15 août 1859. De sœur cantatrice point ! Seulement un frère mort en bas-âge. Pour l’orthographe du nom, Maurice Predel ne s’est pas trompé. Nous sommes au début de la carrière de Rosa-Emma Calvet et son professeur Jules Puget juge plus musical de lui enlever son premier prénom et le t final.
Quelques mois plus tôt, le père Calvet parti en Amérique du Sud poser des traverses de bois, Rosa-Emma est montée à Paris, accompagnée de sa mère Léonie. Pas pour rejoindre le bureau des Télégraphes et des Postes, examen d’entrée en poche mais pour y prendre des leçons de chant. Toute petite, Rosa-Emma régalait déjà les oreilles. Léonie sait que sa fille possède un timbre de voix exceptionnel capable de couvrir toute la gamme musicale. Elle-même adore pousser la chansonnette. Voici donc Rosa-Emma, en 1878, inscrite au cours privé de Jules Puget, un ex-pensionnaire de l’Opéra-Comique, pour y apprendre la maîtrise du chant et de la scène. Un apprentissage de deux années, fastidieux mais ô combien précieux, avant de décrocher son premier contrat au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles en 1881 dans le rôle de Marguerite de Faust.
Débute alors une carrière extraordinaire qui la consacrera comme l’une des plus fameuses divas de l’art lyrique. Il serait trop long, en ces lignes, de la suivre à travers ses récitals, elle qui « chantera sous tous les ciels ». « J’ai parcouru le monde en chantant pour la joie et la douleur, de Londres à New-York, de l’Inde en Australie, de la Chine au Japon, des îles du Pacifique en Californie, avec la fierté d’être la première cantatrice française ayant fait connaître les chants de France dans les pays les plus lointains. »
Sans doute, atteint-elle le sommet de son art en 1892 avec l’interprétation de Carmen. Son succès ne se démentira plus. Songeons que de novembre 1893 à avril 1894, elle parcourt les Etats-Unis, triomphant sur toutes les scènes : « Mademoiselle Calvé, publie le New York Times, est un soprano dramatique de premier ordre… C’est dans son aptitude à restituer le caractère d’un personnage et à en exprimer les sentiments que Calvé est la plus remarquable. Son jeu est inhabituel sur une scène d’opéra. Aussi bien dans son allure que dans ses gestes et dans les expressions de son visage, elle est éloquente et prodigieusement douée pour faire passer les émotions dans son chant, n’hésitant pas, s’il le faut, à sacrifier la beauté du son au profit de l’expression dramatique à transmettre. »
C’est encore Emma Calvé qui aura l’honneur de chanter la millième de Carmen, à Paris, le 23 décembre 1904. Quoi de plus normal, elle qui l’avait déjà interprétée à 562 reprises.
Etre tourmenté par la mort et l’au-delà, Emma Calvé, comme bon nombre de ses contemporains, s’imprègne aussi d’occultisme et de spiritisme. Elle fréquente notamment à Rodez le scientifique Joseph-Pierre Durand de Gros dans des séances de spiritisme à Arsac ainsi que le sulfureux abbé Saunière, de Rennes-le-Château.
Malgré ses nombreux voyages à l’étranger qui la voient triompher sur les scènes les plus prestigieuses, Emma Calvé prend toujours un grand plaisir à revenir en Aveyron, souvent invitée par les personnalités politiques et culturelles du département, soucieuses de l’avoir à leurs côtés pour inaugurer fêtes et monuments. Jamais, en effet, femme ne sera aussi admirée et célébrée en Aveyron qu’Emma Calvé au point que, événement rarissime, la municipalité de Rodez lui accorde de son vivant le nom de la petite place, située à l’ombre de la cathédrale. Cette popularité, Emma Calvé la doit tant à sa carrière artistique qu’à sa générosité dont elle fera toujours preuve, notamment durant les difficiles années de la Grande Guerre où elle se met au service de la France, finançant de nombreuses œuvres pour les familles de soldats et chantant pour des soirées de bienfaisance.
L’âge avançant, son étoile pâlira et elle retrouvera plus fréquemment ses compatriotes. Un temps, elle envisage la création d’un sanatorium pour enfants au château de Cabrières, près de Millau, qu’elle vient d’acquérir. Puis le temps et l’oubli feront leur œuvre. Affectée par la mort de son neveu, elle s’installe finalement à Creissels, près de Millau. Atteinte de crises hépatiques, elle s’éteint, le 6 janvier 1942, dans une clinique de Montpellier, ruinée et presque oubliée.
Nous reste, outre les étapes de son immense carrière, sa voix, gravée sur microsillon. Comme un soleil qui illumine les mélomanes !
A lire :
CONTRUCCI, Jean, Emma Calvé. La diva du siècle, Albin Michel, 1989
GIRARD, Georges, Emma Calvé, la cantatrice sous tous les ciels, Éd. Grandes Causses, 1983


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