Edouard de Curières de Castelnau. La tradition militaire
Si l’Aveyron, jusqu’au début du XXème siècle, est connu pour alimenter les bataillons cléricaux jusqu’aux plus hautes fonctions sacerdotales, de Mgr Frayssinous à Mgr Marty en passant par les cardinaux Bourret et Verdier, le département se distingue également dans le domaine militaire, de Louis d’Arpajon au XVIIème siècle aux généraux d’Empire Béteille, Tarayre et Biron en passant par Louis-Joseph de Montcalm et le clairon Rolland. Tous ces militaires sont les devanciers, dans « l’art de la guerre », du général Edouard de Curières de Castelnau dont la carrière atteint son apogée durant la Grande Guerre.
Dans la famille de Curières de Castelnau, dont les origines les plus anciennes remontent au XIIIèmesiècle, à Saint-Eulalie d’Olt, existe une double tradition perpétuée par chaque génération : la foi catholique et la carrière militaire. Ainsi trouve-t-on un chevalier de Curières, capitaine de dragons ; un marquis de Curières, capitaine au régiment d’Artois, un capitaine de vaisseau et bien d’autres… C’est de cette lignée militaire que naît, un 24 décembre 1851, en plein coup d’état du prince-président Louis-Bonaparte, Edouard de Curières de Castelnau dont le père, avocat et écrivain, exerce la charge de maire de Saint-Affrique.
Un cursus classique – collège Saint-Gabriel à Saint-Affrique ; collège rue des Postes à Paris – l’amène à 18 ans sur les bancs de l’Ecole spéciale militaire. Nous sommes en 1869. Quelques mois plus tard, la guerre éclate entre la Prusse et la France. De Castelnau comme les autres élèves part au feu sans grande préparation. Le conflit tourne au désastre. De Castelnau est promu au grade de lieutenant en 1871 puis de capitaine cinq ans plus tard. Mais surtout, il prend vite conscience de l’inorganisation de l’armée française et de son incapacité à se moderniser.
Ayant obtenu le brevet d’état-major, De Castelnau gagne Paris en 1896. Son entrée au 1er Bureau lui permet de s’occuper de l’organisation et de la mobilisation de l’armée afin de la préparer à un futur conflit avec l’Allemagne.
Jusqu’à la grande déflagration qui embrasera l’Europe, De Castelnau devenu colonel puis général (1906) avant d’être nommé membre du Conseil supérieur de la guerre en novembre 1913, n’a de cesse, dans un contexte de revanche grandissant, de moderniser l’armée, tant dans son matériel qu’au niveau tactique.
Au début du XXème siècle, deux écoles s’opposent. L’une prône l’offensive à outrance sans tenir compte de l’artillerie lourde, devenue pourtant beaucoup plus meurtrière. L’autre à laquelle appartient De Castelnau, estime qu’une préparation d’artillerie est nécessaire avant d’attaquer tout en équipant l’armée des nouveautés technologiques comme l’aviation ou l’automobile pour plus d’efficacité. Enfin, conscient que les effectifs militaires mobilisables sont inférieurs à ceux de l’Allemagne, il obtient de Joffre et du gouvernement de faire passer la loi des trois ans de service militaire au lieu de deux, en 1913. Ce qui provoque dans plusieurs casernes, dont celle de Rodez, des mouvements de révolte.
Quand éclate le conflit mondial, le général de Castelnau commande la IIe Armée en Lorraine sur un front stratégique allant de Lunéville à Toul en passant par Nancy.
De 1914 à 1918, le général se couvre de gloire en repoussant l’ennemi lors de la victoire de la Trouée des Charmes (1914), évitant ainsi l’encerclement de Nancy puis à Verdun (1916), position stratégique qu’il contribue avec Pétain à sauver. C’est lui également que le gouvernement envoie à Salonique et en Russie où il rencontre le tsar. Mais cette gloire est atténuée dans son esprit et dans son cœur par la mort au front de trois de ses six fils alors qu’un quatrième est fait prisonnier. « Ceux-là (les chefs), écrit-il, sont dignes de commander aux hommes qui savent se pencher sur leur cœur : s’ils l’ignorent, qu’ils s’en aillent, ils ne sont pas de chez nous. »
La guerre est finie ! Le temps des honneurs et des commémorations est venu. Côté allemand d’abord. « L’adversaire français vers lequel sont allées instinctivement nos sympathies, à cause de son grand talent militaire et de sa chevalerie, c’est le général de Castelnau. Et j’aimerais qu’il le sût », dira de lui son adversaire, le général allemand Von Kluck. Côté français, c’est à la dignité de maréchal de France que le général doit être élevé en remerciements de ses mérites. Mais il n’en sera rien !
Au début du XXème siècle, l’affaire des « fiches » provoque un véritable scandale. En poste comme ministre de la Guerre, le général André qui ne cache pas ses opinions anticléricales, décide de favoriser, à partir d’une liste établie, les officiers « républicains » aux dépens de ceux connus pour leurs idées monarchistes et pour leur foi catholique. « Avant l’affaire Dreyfus, affirme le général André, l’origine de mes subordonnés, tout comme celle de mes camarades, m’était indifférente, et aussi leurs croyances, leurs doctrines philosophiques ou le parti auquel ils pouvaient appartenir. Mais tout est changé aujourd’hui : le pacte est rompu. Je suis appelé à accomplir une œuvre déterminée ayant pour objet d’introduire dans l’armée des mœurs nouvelles, de changer sa mentalité. » C’est ainsi que De Castelnau, profondément catholique et monarchiste, sans jamais toutefois prendre parti contre les gouvernements en place, perd son poste de chef du 1er Bureau pour intégrer le commandement du 37e R.I. à Nancy.
A l’issue de la guerre, le général peut prétendre au bâton de maréchal au même titre que Foch et Pétain récemment nommés. L’affaire semble conclue et doit être entérinée lors du Conseil des ministres du 26 novembre 1918. Le journal Le Temps s’en fait même l’écho. Mais au dernier moment, sous la pression de plusieurs ministres, la nomination est rejetée. Trois ans plus tard, la Chambre Bleue Horizon, issue des élections de 1919, accorde le titre de maréchal à Franchet d’Esperey, Fayolle et Galliéni. Du général de Castelnau point ! qui en conçoit une profonde amertume.
Depuis 1919, le général, à qui a été confié la présidence de la Commission nationale des sépultures militaires, est entré en politique, élu comme député de la circonscription de Saint-Affrique puis comme conseiller général du même canton. Battu en 1924 par Emile Borel, il accepte la présidence de la Ligue des Catholiques du Rouergue qui rassemble à Rodez, le 27 septembre 1925, près de 20 000 personnes. Son programme tient en une formule : « Combattre par tous les moyens justes et légaux la civilisation antichrétienne, replacer Jésus-Christ dans la famille, dans l’école, dans la société, prendre souverainement à cœur les intérêts du peuple et en particulier de la classe ouvrière et agricole. » Devenu président de la Fédération nationale, il se heurte par ses idées très conservatrices autant aux catholiques de gauche qu’à la gauche dans son ensemble.
Au moment de l’armistice de 1940, le général adopte une position très critique vis-à-vis de Pétain et de Vichy : « Plus que jamais, affirme-t-il, l’armistice m’apparaît comme ignominieux ; je ne puis expliquer cet acte que par la profonde défaillance intellectuelle et morale de Pétain, Weygand et Cie […] Bazaine a été traduit en conseil de guerre pour un crime dix fois moins douloureux que devra l’être Pétain. Chez celui-là, l’orgueil sénile quand “il fait don de sa personne à la France”, le défaitisme, la faiblesse intellectuelle le dispute à la lâcheté » […] Le gouvernement du maréchal est affreux dans sa mentalité. La voie où il nous mène sera celle de la catastrophe. »
Son esprit patriote l’incite à soutenir la Résistance, cachant des armes chez lui au profit de l’Armée Secrète. Le général ne verra pas la Libération de la France. Il décède à Montastruc-la-Conseillère, le 18 mars 1944.
A lire :
CHENU, Benoît, Castelnau, le quatrième maréchal 1914-1918, éditeur Bernard Giovanangeli, 2017
PRIEUR, Christian, Le général de Castelnau : le maréchal « oublié » de la Grande Guerre, Etudes Aveyronnaises, 2015


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