François Fabié. Le poète déraciné
Fallait-il que François Fabié soit reconnu comme un auteur de dimension nationale pour qu’un Président de la République, en l’occurrence Albert Lebrun, inaugure pour la première visite d’un chef d’état en Aveyron, un monument à la gloire du poète du moulin de Roupeyrac ?
Nous sommes le 17 juin 1933. Vers 16 heures. Après la cérémonie d’ouverture de la foire-exposition, un banquet bien arrosé et l’inauguration du nouveau pavillon chirurgical de l’hôpital, c’est en présence des caméras qu’Albert Lebrun et les autorités se rendent dans le square situé derrière le palais de justice pour dévoiler le monument en l’honneur de François Fabié. « Ici, c’est le poète qui vit ses souvenirs et continue son rêve, déclare le maire de Rodez Eugène Raynaldy lors de son discours. Placé comme il est, dans l’axe du boulevard avec devant lui, cet immense et magnifique horizon, ne fait-il pas, désormais, partie nécessaire de l’esthétique de la cité ?… Rodez veillera sur le monument : il en accepte la garde, pour honorer notre grand poète et aussi pour s’honorer lui-même. »
L’œuvre est due au sculpteur Marc Robert, composée d’une paire de bœufs menée par un bouvier, le buste du poète regardant vers le Lagast de son enfance avec tout ce que l’exil, loin de sa campagne natale, suggère de mélancolie au poète déraciné. Evoquant son arrivée dans le chef-lieu à l’âge de 11 ans, Fabié écrit : « C’est de ce premier pas que datent toutes les tristesses et l’inutilité de ma vie. »
Car c’est bien là toute la complexité du poète de la Terre et des Bêtes, de celui qui a tant chanté en vers l’âme paysanne, que d’avoir passé la plus grande partie de sa vie – en dépit de fréquents séjours à Durenque – en ville (Rodez, Toulon puis Paris « dont le vacarme nous assiège »), loin des landes fleuries de genêts, des bois aux nids d’oiseaux volés dans les branches, des faucheurs, des laboureurs et des vignerons courbés sur la glèbe : « Toi, courbé sur les ceps, retourne à bêche pleine / La belle gloire rouge où plongent tes talons. »
Une mélancolie du déracinement corrélée par une mélancolie de l’amour tout au long de sa vie vis-à-vis de ses relations féminines. Amour maternel dilué dans ses années de pensionnat, chez les frères des écoles chrétiennes à Saint-Joseph puis à l’Ecole Normale ; amour de jeunesse laissé en jachère avec la pieuse Marie, lui préférant l’amour divin à l’amour humain. Et puis, bien plus tard, le double drame : le décès en 1877 de sa première fille, Lucie-Marie, à 1 an et demi puis la disparition de son second enfant, Albertine-Marguerite, atteinte d’une grave maladie de poitrine.
La mélancolie se charge alors de déchirement (« Vienne la mort qui nous délivre ; / Et referme à jamais le livre / Dont chaque page est un adieu »). De renoncement aussi : à l’écriture, durant un temps et surtout à briguer le siège de l’Académie française laissé vacant par la mort de François Coppée et qui lui tend les bras. Seule la guerre, avec son cortège de sang et de larmes, remet l’encre sur ses feuilles blanches, à la gloire de ce monde paysan dont la terre, pourtant redevable de tant de leur peine, est devenue le linceul.
A l’Ecole normale, François Fabié s’initie à la littérature en lisant Lamartine, Hugo… avant de rejoindre l’Ecole de Cluny. Formé pour l’enseignement, il débute d’abord à Rodez puis gagne Villefranche-de-Rouergue avant de rejoindre le collège de Toulon en 1872. C’est là que Victor Duruy, au cours d’une tournée d’inspection, distingue le jeune professeur et le fait nommer au lycée Charlemagne, à Paris. Il y restera vingt-cinq ans sans oublier son Rouergue natal.
En 1891, Léon Bourgeois, ministre de l’Instruction publique, charge François Fabié, alors professeur de français et de morale, de prononcer le discours d’usage à la distribution des prix du Concours général à la Sorbonne, le 30 juillet 1891. A la grande surprise des auditeurs, Fabié compose son discours en 400 vers où il traite de la poésie dans l’éducation et dans la vie, commençant ainsi : « Le vers français dans un discours à la Sorbonne. / Hé ! mon Dieu ! pourquoi pas ? / Dans l’antique maison / Ne peut-on marier la rime et la raison ? »
Cette harangue lui vaut la Légion d’honneur ainsi qu’un poste de directeur de l’école Colbert avant de prendre sa retraite à Toulon où il s’est marié en 1877 avec Madeleine-Victorine. Regrettant tout de même son pays natal : « J’ai quitté ma forêt que mordore l’automne / Pour la mer de Provence aux éternels flots bleus ; / Toutes deux font leur chant confus et monotone / Sur la berge ou le long des coteaux onduleux. / Mais je dis bien, j’aime mieux la première / Elle est moins vaste, elle est moins morne, elle n’a pas / Cet éclat aveuglant et dur sous la lumière ! / – Faux sourire cachant le gouffre et le trépas. »
Loué par les Parnassiens pour sa poésie de la Terre, François Fabié publie huit recueils de vers, notamment « La Poésie des bêtes » ainsi que des pièces de théâtre et plusieurs ouvrages où la terre et le monde rural occupent la plus grande place : « La Bonne Terre », « Le Clocher », « Les Voix rustiques », « Par les vieux chemins » et son admirable « Souvenirs d’enfance et d’études » dont un seul volume paraîtra.
Doyen des poètes français, François Fabié, à peu près sourd et aveugle, s’éteint dans sa villa « Les Troênes », à La Valette-du-Var, le 18 juillet 1928.
André Delacour écrit lors de son allocution pour le centenaire de François Fabié : « Le poète du Rouergue ne s’est jamais consolé de vivre loin du moulin et des bois de Roupeyrac. Il a toujours cherché, au fond d’un horizon soudain élargi, l’essor du clocher de Rodez… »
« Que tu sois fils du Causse aux grands blés onduleux,
Ou du frais Ségala que les genêts fleurissent,
Que tu sois du Vallon où les grappes mûrissent,
De la Montagne verte où mugissent les bœufs,
Salut ! Du vieux Rouergue où ton cœur te ramène,
Je suis aussi le cœur, le symbole et la foi !
L’âme de tes aïeux habite encore en moi,
Ma pierre sous leurs doigts est devenue humaine. »
A lire :
Centenaire de François Fabié, Imprimerie Carrère, 1946
RYLAND, L. H., François Fabié régionaliste, Imprimerie Carrère, 1931


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