Jean-Henri Fabre. « L’observateur inimitable »
En 1996, lors de sa sortie, le film « Microcosmos », tourné dans le vallon de Marcillac, ouvre au grand public, les portes d’un monde ignoré et pourtant si proche de nous qui les côtoyons quotidiennement : celles du « peuple de l’herbe ». Plébiscité à travers le Monde, le film de Marie Pérennou et Claude Nuridsany illustre par l’observation minutieuse des insectes ce que réunit Jean-Henri Fabre, il y a un siècle, dans l’immense œuvre scientifique que sont ses « Souvenirs entomologiques ».
« Un homme admirable, une des plus pures gloires de France, le grand savant dont j’admire l’œuvre, le poète savoureux et profond, le Virgile des insectes, qui nous a fait agenouiller dans l’herbe, le solitaire dont la vie est le plus merveilleux des exemples de sagesse, la noble figure qui, coiffée de son feutre noir, fait de Sérignan, le pendant de Maillane. » Tels sont les termes élogieux prononcés par Edmond Rostand en 1910 à propos de l’entomologiste, alors âgé de 86 ans.
Son fils, Jean Rostand, n’en dira pas moins qui écrit : « Jean-Henri Fabre est un grand savant qui pense en philosophe, voit en artiste, sent et s’exprime en poète. »
Grand savant ! Le terme est approprié pour un homme qui n’a pas fait de l’entomologie, sa seule science d’une vie. Il y vient même après les mathématiques et la physique quand, dans sa trentième année, l’éminent zoologiste Alfred Moquin-Tandon lui indique le chemin à prendre : « Laissez-là vos mathématiques… Venez à la bête ; à la plante ; et si vous avez, comme il me semble, quelque ardeur dans les veines, vous trouverez qui vous écoutera… »
De l’ardeur, le savant aveyronnais s’en nourrit les veines depuis sa naissance, à Saint-Léons, le 21 décembre 1823. Confié à ses grands-parents paternels, modestes agriculteurs du hameau de Malaval sur la commune de Vaysse, le jeune Jean-Henri Fabre y demeure jusqu’à sa septième année avant de rejoindre ses parents à Saint-Léons. Au Malaval, le travail comme les longs hivers sont rudes, sur une terre ingrate et parcimonieuse. « Gens de la terre […], écrit-il, ils cultivaient un maigre bien sur l’échine granitique et froide du plateau rouergat. La maison, isolée parmi les genêts et les bruyères, sans voisin aucun bien loin à la ronde, de temps à autre visitée des loups, était pour eux l’orbe du monde… »
Son retour dans le giron familial lui permet de fréquenter l’école communale durant quatre années. « Me voici de retour au village, à la maison paternelle. A 7 ans, l’heure est venue d’aller à l’école. Je ne pouvais rencontrer mieux ; le maître est mon parrain. Comment appellerai-je la salle où je devais faire connaissance avec l’alphabet ? Le terme juste ne se trouverait pas, car la pièce servait à tout. C’était à la fois, école, cuisine, chambre à coucher, réfectoire, et par moments poulailler, porcherie. On ne songeait guère en ce temps-là aux palais scolaires ; un misérable refuge suffisait. »
Trois ans plus tard, Jean-Henri Fabre quitte définitivement Saint-Léons pour un périple de ville en ville qui conduit toute la famille Fabre d’abord à Rodez puis à Aurillac, Toulouse, Montpellier, Pierrelatte et enfin Avignon. Jean-Henri Fabre a 16 ans. Pour gagner sa vie, il vend des citrons puis devient manœuvre sur la ligne de chemin de fer Nîmes-Beaucaire. De cette période d’itinérance, il se souvient : « Mon père se laissa tenter par la ville. Mal lui en prit. De maigre avoir, d’industrie bornée, vivotant Dieu sait comme, il connut tous les déboires du campagnard devenu citadin… »
Reçu au concours d’entrée de l’Ecole normale d’Avignon, il obtient son diplôme en 1842 avant d’être nommé pour son premier poste d’instituteur au collège de Carpentras. C’est là qu’il rencontre Marie-Césarine Villard, institutrice, qu’il épouse le 3 octobre 1844. Boulimique de savoir, mais aussi pour asseoir une situation sociale plus confortable, de 1844 à 1848, il passe avec succès plusieurs diplômes en lettres, mathématiques, sciences mathématiques et physiques. Le 22 janvier 1849, il est nommé professeur de physique au collège impérial d’Ajaccio. Il restera en Corse jusqu’en 1853 avant un retour à Avignon où il enseigne durant dix-sept ans, date à laquelle il quitte définitivement l’enseignement. Entretemps, Jean-Henri Fabre, dont la réputation d’entomologiste a fait son chemin, est nommé conservateur du musée d’histoire naturelle d’Avignon. C’est à cette époque qu’il rencontre Victor Duruy, ministre de l’Instruction publique, qui l’encourage à donner des cours du soir pour adultes. Le succès est au rendez-vous mais une polémique, née autour d’un cours donné sur la fécondation des fleurs devant de jeunes filles et amplifiée par les milieux cléricaux, l’oblige à quitter son poste et à s’installer avec sa famille à Orange. L’enseignant cède alors la place à l’écrivain pédagogue.
Car, avant de passer à la rédaction de son œuvre majeure, « Souvenirs entomologiques », fruit de longues années d’observation, Jean-Henri Fabre publie entre 1871 et 1879, chez l’éditeur Delagrave, 80 ouvrages pédagogiques à destination des scolaires. Pour Fabre, l’enseignement se doit d’être pratique, en symbiose avec la nature.
A Orange, la vie urbaine ne convient guère à ses travaux d’observation. Aussi, en 1879, décide-t-il d’acheter un terrain en dehors de la ville, dans un lieu retiré : l’Harmas, sur la commune de Sérignan-le-Comtat. Son dernier port d’attache. Pour autant, Jean-Henri Fabre n’oublie pas son Rouergue natal pour lequel, malgré les décennies passées sans y être retourné, il éprouve comme François Fabié un profond attachement : « Je tiens beaucoup au Rouergue et du Rouergue, bien que je l’aie quitté à quatorze ans et que je n’y sois pas retourné depuis l’âge de vingt ans, j’en suis toujours, j’en ai emporté tous mes sentiments et toutes mes idées, du moins en germe, né ailleurs j’aurais été bien différent. »
Le deuil, chez Jean-Henri Fabre, marque les étapes d’une longue vie passée, hors le champ de ses recherches, à enterrer ses proches. Sans qu’il ne s’épanche dessus dans ses écrits, l’acceptant comme une fatalité. Cachant en lui son immense douleur et un sentiment de culpabilité, probablement parce qu’il portait en lui les germes de la contamination attribuée à la tuberculose. Ainsi, l’homme à l’éternel chapeau de feutre noir recouvrant ses longs cheveux blancs perdra six de ses dix enfants, deux petits-enfants et verra ses deux épouses, Marie-Césarine, décédée en 1885 et Marie-Josèphe, de quarante et un ans sa cadette, disparue en 1912, le laisser deux fois veuf, avant que lui-même quitte notre monde, le 11 octobre 1915 dans sa demeure de l’Harmas. Lui qui aurait voulu reposer sur sa terre natale : « Un lien d’exquise douceur nous rattache au sol natal ; nous sommes la plante qui ne quitte pas sans déchirures le point où ses premières racines ont poussé. Tout pauvre qu’il est, j’aimerais à revoir mon cher village ; je voudrais y laisser mes os. »
Son cher village qui l’honorera le 3 août 1924 en inaugurant sa statue, œuvre du sculpteur millavois Jean-Baptiste Malet, le montrant, loupe en mains, observer le petit monde des insectes, ce peuple extraordinaire « qui vit au milieu de nous ».
A lire :
Jean-Henri Fabre, un autre regard sur l’insecte, Actes du colloque International sur l’Entomologie, Conseil général de l’Aveyron, 2002


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