Jean Moulin. Le préfet à contre-courant
Le 20 mars 1937, un nouveau préfet arrive à Rodez, auréolé de son titre de plus jeune Préfet de France. Il a 38 ans, chevalier de la Légion d’Honneur à la boutonnière, ce qui laisse à penser que les appuis politiques ne lui font pas défaut.
Etre préfet d’un département qui, hors le Bassin decazevillois, affiche son hostilité au Front Populaire triomphant, ne constitue pas forcément un cadeau pour un fonctionnaire ambitieux.
Né à Béziers en 1899, fils d’un professeur d’histoire, doctorat de droit en poche, Jean Moulin embrasse rapidement une carrière préfectorale. D’abord au sein du Cabinet préfectoral de l’Hérault puis comme sous-préfet de Savoie, dès 1923. Ce seront ensuite Albertville, Châteaudun et Thonon. Monté en grade, il devient Secrétaire Général de la préfecture de la Somme en 1934 lorsque Pierre Cot (Ministre de l’Air des gouvernements Daladier puis Sarrault) l’appelle auprès de lui comme chef de Cabinet. Les crises ministérielles s’accumulent à l’époque et l’une d’elles prive Pierre Cot de son « maroquin ». Jean Moulin étrenne son uniforme de sous-préfet mais pour peu de temps car son patron le rappelle auprès de lui l’année suivante.
Au cours de son premier séjour en Aveyron qui s’échelonne du 20 mars 1937 au 25 avril 1937, il doit composer avec l’hostilité de la majorité conservatrice de l’assemblée départementale, présidée par un cacique de la vie politique aveyronnaise, Joseph Monsservin, dont la conclusion du discours d’accueil devant les quarante-trois conseillers généraux ne laisse planer aucun doute sur ses intentions : « Vous venez dans une grande et belle province. Contre ceux qui voudraient les asservir, les hommes et le sol de chez nous ont toujours dressé leur fière énergie et leurs redoutables obstacles. » Une mise en garde à peine voilée au jeune haut-fonctionnaire du Front Populaire au cas où il se mettrait en tête de s’opposer aux notables aveyronnais.
Une hostilité qui n’empêche nullement Jean Moulin de s’imposer. Dès son arrivée, il dénonce le contrat de services passé par la préfecture avec l’imprimerie Carrère dont le propriétaire figure en bonne place parmi les responsables du Parti Social Français. Marché qu’il remet à l’imprimeur radical-socialiste Georges Subervie. Il interdit ensuite le congrès du P.S.F. du colonel de La Rocque, prévu à Rodez le 25 avril 1937, « considérant qu’il peut être de nature à provoquer des incidents graves et à compromettre dangereusement l’ordre public ». Le Colonel tourne la difficulté en transformant le meeting en visite privée sur la commune de Flavin, échappant ainsi à l’interdit limité au chef-lieu ! Pas dupe, Jean Moulin a appelé en renfort 500 Gardes Mobiles à Rodez pour faire face aux 6000 sympathisants des Croix de Feu, au cas où. Le soir même, Jean Moulin télégraphie au Ministère de l’Intérieur : « Aucun incident à déplorer. Rapport suit ». A ses parents et à sa sœur Laure, il envoie un mot plus familier : « Le brav’ Colonel est parti sans faire de bruit. Je n’ai que le regret d’avoir passé mon dimanche enfermé à la Préfecture… ».
Un mois est à peine passé depuis son arrivée que Pierre Cot l’appelle de nouveau au ministère de l’Air comme préfet hors-cadre dans un nouveau gouvernement Blum. Jusqu’à la date du 10 avril 1938. Nouveau président du Conseil, Edouard Daladier exclut les socialistes du gouvernement. Le Front Populaire a vécu et Jean Moulin rentre dans le rang préfectoral, aussitôt réintégré… au chef-lieu de l’Aveyron, lui qui pourtant avait à plusieurs reprises manifesté son intention de ne pas y revenir. Le 1er juin 1938, le voilà à Rodez juste à temps pour inaugurer la nouvelle foire-exposition en compagnie du cardinal Verdier, archevêque de Paris.
Il passera huit mois en Aveyron durant lesquels il aura maille à partie avec L’Union Catholique laquelle, sous la plume de son rédacteur Pierre Fau, ne cesse d’attaquer Pierre Cot, le rendant responsable de la faillite de l’aviation française.
Déchiré par les accords de Munich signés le 29 septembre 1938, pacifiste convaincu, Jean Moulin réprouve pourtant ce qu’il considère comme une capitulation… mais en tant que représentant du gouvernement, il ne peut qu’accepter le message de reconnaissance que Joseph Monsservin lui demande de transmettre au Président Daladier « au nom des Conseillers Généraux et de toutes les familles du Rouergue ».
Outre sa fonction, Jean Moulin prend le temps de visiter l’Aveyron. Sur les routes du Vallon, en direction de Conques, ou dans les gorges du Tarn, on peut le voir pédaler en compagnie de Pierre Cot. Il lit aussi Francis Carco, qui séjourna à Villefranche-de-Rouergue et à Rodez et porte, lui-même dessinant, une grande admiration à l’aquafortiste Eugène Viala.
Le 22 janvier 1939, Jean Moulin est nommé préfet de l’Eure-et-Loir. Il s’éloigne sans grands regrets de l’Aveyron le 30 janvier mais touché par les marques de sympathie, voire d’estime que lui témoignent les Aveyronnais. Y compris certains d’entre eux qui accueillirent avec méfiance « le Préfet Rouge ». Lequel échange des adieux cocasses sinon cordiaux avec celui qui lui donna tant de soucis, le sénateur Monsservin :
« Je salue en vous, M. le Préfet, l’horrible Frente Popular dont j’ai pu apprécier les élégances du Souverain !
-Je m’en vais, M. le Sénateur, mais je vous laisse une part de moi-même.
-Vous fûtes parfois impardonnable. Bien à vous quand même ! »
Un autre destin attend Jean Moulin ! Un destin hors du commun.
Aujourd’hui, un médaillon en son honneur est apposé sur la façade de la préfecture, inauguré par le général de Gaulle, le 21 septembre 1961.
A lire :
CORDIER, Daniel, Jean Moulin. L’Inconnu du Panthéon, tome 2, Le choix d’un destin (juin 1936-novembre 1940), éditions Jean-Claude Lattès, 1995


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