Petites superstitions et fausses prédictions

« De telles femmes sont néfastes, écrit Robert Brasillach dans « Je suis partout », à propos de la  célèbre voyante madame Fraya. Elles induisent le peuple en erreur en l’entretenant dans de dangereuses illusions. »

A la charge de la pythonisse, une malheureuse prédiction révélée au président du Conseil Edouard Daladier, la veille de son départ pour Munich, en 1938 : « Je puis affirmer que l’immense malaise ne se résoudra pas en catastrophe », lui avoue-t-elle.

On sait ce qu’il advint des accords de Munich !

A cette époque troublée où la population a besoin d’être rassurée, voyantes et astrologues ont une fâcheuse tendance à déraper sur l’avenir de la France. Le plus grand flop est à mettre à l’actif d’un bien curieux personnage : Maurice Privat.

Après avoir tâté de la radio depuis le sommet de la Tour Eiffel, l’ancien secrétaire de Raymond Poincaré se lance dans le journalisme d’investigation, en créant la revue Documents secrets dans laquelle il rédige plusieurs reportages sur la prostitution au Maroc, sur le Milieu marseillais ou encore sur Guillaume Seznec dont il prend vigoureusement la défense.  Dans les années 1930, peut-être pour concurrencer le fameux fakir birman, il trempe sa plume dans l’encre de l’astrologie et publie, pour chaque année, des prédictions mondiales qui vont se révéler bien désastreuses… pour sa réputation.

Pas vraiment inspiré, le mage Privat quand il fait de l’année 1940, « l’année de grandeur de la France » ! Quand, évoquant l’action de l’armée française, il prédit : « Nous la verrons, en février annihilant complètement tout ce qui pouvait lui être opposé. La période du 10 au 12 mars consacre son prestige, la puissance d’un instrument de haute culture et de robuste précision, positivement invincible… » Une drôle de prédiction pour une Drôle de guerre ! Au niveau international, le piteux astrologue ne fait guère mieux, prévoyant « un complot qui ne ratera pas Goebbels » (si cela avait pu être vrai !), le retour de la monarchie en Espagne, « une révolution, d’esprit libéral et démocrate » qui renversera Staline et, pour terminer, l’expansion territoriale de la Pologne ! Et dire que le « Time » et « Le Daily Mail » avaient auparavant encensé Maurice Privat en le désignant comme « le plus grand astrologue du Monde ».

La débâcle française et l’Occupation allemande auraient dû mettre un terme à une carrière d’astrologue passablement écornée par un tel fiasco. Si Maurice Privat cesse bien de publier ses prédictions mondiales à l’usage du public, il n’en demeure pas moins l’astrologue de l’ombre d’un homme dont la superstition est légendaire : Pierre Laval. « Le mage du Président » devient au fil du temps le « Raspoutine de Vichy » dont l’influence exercée sur le Président du Conseil efface souvent les décisions prises avec ses collaborateurs. Aimant constamment être rassuré sur son sort, qui plus est quand l’Occupation nazie s’effrite à travers toute l’Europe et que les Alliés prennent pied en Normandie, Laval n’hésite pas à consulter d’autres voyantes qui ont pignon sur rue à Vichy ou qui gravitent autour des hôtels réquisitionnés pour les ministères. A charge pour elles d’offrir au Président ce qu’il a envie d’entendre sous peine d’être répudiées. Jusqu’au jour où l’une d’entre elles, surnommée « La Comtesse », de solide réputation, lui annonce à l’hôtel du Parc « qu’il sera condamné à mort et exécuté lorsque l’ennemi sera chassé du territoire ». Pierre Laval sort de la consultation, l’air sombre et le caractère ombrageux. La suite donnera raison à la pythonisse. Croyant toujours en sa bonne étoile – n’a-t-il pas auparavant échappé à plusieurs attentats – Laval refuse de quitter Vichy. Arrêté puis emmené par les Allemands, il est ensuite repris par les Alliés, jugé puis fusillé le 15 octobre 1945.

Quant à Maurice Privat, il rédigera en 1948 un ouvrage biographique sur Pierre Laval avant de décéder l’année suivante… sans prévenir !

Plus étonnante est la troublante fascination qu’exerce la voyance sur le « Grand Charles ». En effet, le général ne dédaigne pas consulter cartes et horoscopes, voyantes et diseuses de bonne aventure. Jean-André Faucher, qui ne porte pas spécialement le général dans son cœur suite à l’indépendance de l’Algérie, raconte à leur propos dans « Le Crapouillot » (été 1976) deux anecdotes. L’une de ces voyantes avait pignon sur rue dans le quartier des Halles. « Le général l’interrogeait sur les grands problèmes de l’heure et sur son propre destin. A plusieurs reprises, il lui demande s’il serait assassiné : c’était une question qui l’intriguait beaucoup. Ces consultations durèrent jusqu’au drame algérien. A cette époque, de Gaulle cessa de rendre visite à la sibylle. Que s’était-il passé ? Elle devait le raconter plus tard à quelques-uns de ses amis et notamment à Amar Naroun, ancien député indépendant de Constantine : “ Je l’ai mis à la porte sans aucun ménagement et je l’ai invité à ne plus jamais remettre les pieds chez moi. Veuve d’officier, je lui ai dit que je n’entendais plus faire bénéficier de mes pouvoirs l’homme qui venait de brader l’Algérie aux gens du FLN ”. »

Le général ne succombera pas, malgré plusieurs tentatives, à un attentat. Par contre, Faucher raconte « que la crise cardiaque qui devait l’emporter le frappa alors que, dans son salon de la Boisserie, il était en train de faire “ la grande réussite”. Nul n’a su si la dernière carte qu’il avait retournée lui avait annoncé l’échéance fatale. »

Outre ces voyantes intermittentes, de Gaulle possède un mage attitré en la personne de Maurice Vasset, plus connu sous le pseudonyme de Regulus. Sa rencontre remonte au temps de la Libération de la France. Nous sommes le 28 août 1944 à Toulon, après le débarquement de Provence. De Lattre de Tassigny, qui aimait toujours rappeler qu’il possédait « son jardin, son photographe et son astrologue », présente ses soldats lors d’une revue. Désignant au général l’un de ses hommes, il précise : « Maurice Vasset, soldat, musicien et astrologue ». Le détail ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd. « Je vous verrai toute à l’heure », lui confie de Gaulle. Quelques heures plus tard, le général retrouve en effet le musicien-astrologue, qui en profite pour lui remettre sa carte du ciel. Une fois consultée, le général lui répond : « Vasset, vous connaissez la musique ! », sans que l’on sache à quelle musique de Gaulle fait vraiment allusion.

Quelques semaines plus tard, le 25 novembre 1944, à Mulhouse, nouvelle revue. Se faisant reconnaître, Vasset s’adresse à de Gaulle en lui demandant de lui signer un autographe au revers de sa carte du ciel. « Vasset, lui répond-il, vous êtes un bon musicien, mais aussi un bon astrologue. »

Le général n’oubliera pas le chef de la musique militaire. Régulièrement, à partir de 1949, il le fait venir pour le consulter. A son retour au pouvoir à partir de 1958, Regulus remet chaque année au président de la République son horoscope, lors des cérémonies à l’Arc de Triomphe. Seul regret pour l’astrologue : que de Gaulle ait refusé d’écouter son conseil après les événements de 68 en évitant de faire un referendum qui devait s’avouer défavorable et marquer la fin définitive de la carrière politique du général !

Ayant pris sa retraite militaire, Regulus ouvrira un cabinet à Paris de 1970 à 1992, où se presseront hommes politiques, artistes et vedettes du show business sans que son étoile – Regulus – ne pâlisse. Quand on connaît si bien la musique, prévoir l’avenir s’effectue sans fausse note.

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