Mistinguett : espionne par amour

« On dit que j’ai de belles gambettes/Mais j’serais pas Mistinguett/Si j’étais pas comme ça… » Des gambettes qui font rêver le Tout-Paris et les pious-pious venant assister à ses concerts de soutien. La Mistinguett, comme l’appellent ses admirateurs, ex-gigolette, est déjà une vedette consacrée.

Son cœur en pince alors pour un chanteur de music-hall, comme elle, de treize ans son cadet, dont le nom commence juste à être connu : Maurice Chevalier. Mais patatras ! « Les danseurs obsédants » – ainsi les surnomme la critique – doivent se séparer. Maurice s’en va-t-en guerre et ne sait quand reviendra. A Pâques ou à la Trinité ? « Mironton, mironton, mirontaine ». D’autant que le beau Maurice, dès le début du conflit, s’effondre lors d’une charge de ulhans allemands, le coffre percé par une lance. Fait prisonnier, voilà notre « cabaretiste » envoyé au fin fond de l’Allemagne, au camp d’Altengrabow, entre Magdebourg et Berlin.

A cette nouvelle, les beaux yeux de la Mistinguett se mettent à pleurer et ses belles gambettes à flageoler. Mais que nenni de laisser son Maurice croupir dans un camp, loin d’elle. Alors Jeanne Bourgeois, âgée de 39 ans au début du conflit, trouve une idée lumineuse. Elle se dit que se mettre au service de la patrie en tant qu’espionne lui permettra d’obtenir des informations et d’exfiltrer – comme on dit aujourd’hui – son beau Chevalier. Elle prend alors rendez-vous avec le général Maurice Gamelin, chef de cabinet du général Joffre. « Vous savez, lui raconte-t-elle, que j’étais en termes très suivis avec le prince de Holenhole qui séjournait précédemment à Paris. Bien entendu, je comptais rompre avec lui en raison de la guerre, mais voici qu’il insiste pour que nous nous rencontrions en Suisse. »

Le général se frotte la moustache. Intéressé. « Du pain béni, pense-t-il, pour les services secrets français », trop heureux de pouvoir utiliser la notoriété de Mistinguett à l’étranger, auprès de diplomates ou de militaires allemands, sensibles aux charmes de la chanteuse au nez en trompette.

« Le prince, reprend-elle, possède beaucoup de relations. En répondant à son invitation, je pourrai apprendre certaines choses. J’accomplirai ma mission bien sûr sans rémunération, au service de la France. »

Le métier d’espionne permet en effet d’obtenir du gouvernement français l’autorisation de circuler à travers l’Europe en guerre et donc de faciliter les recherches de Mistinguett. La voilà bientôt en Italie pour une mission peu risquée : écouter les conversations qui peuvent percer dans les hôtels où se rencontrent des délégations étrangères. A vrai dire pas grands choses à se mettre à l’oreille ! Là voici ensuite à Berne pour obtenir des services de renseignement allemands des nouvelles de Chevalier. Une réception est organisée par le chef des services secrets. Quelques langues se délient mais rien de bien croustillant et digne d’intérêt.

En 1916, Mistinguett se rend cette fois à Madrid. L’Espagne, depuis le début, fait valoir sa neutralité dans la guerre sans cacher toutefois son opposition à la France dans sa conquête du Maroc. Une entrée de l’Espagne dans le conflit serait catastrophique pour la France avec l’ouverture d’un front pyrénéen. A charge donc, pour la danseuse exotique, de rencontrer le roi Alphonse XIII et de le convaincre de rester neutre. Nous sommes en 1916. Chevalier est prisonnier depuis un an et demi. Aussi demande-t-elle au monarque d’intercéder auprès des Allemands pour autoriser l’évacuation de son amant vers la France. Le monarque tiendra parole. « La miss… si mys… térieuse, affirme la commandant Massard, des services de renseignement français, eut une autre satisfaction. S.M. Alphonse XIII fit une démarche à Berlin, et le brave artiste qui avait fait si vaillamment son devoir, fut rapatrié en 1916. »

Les deux artistes réunis à Paris, Mistinguett n’arrête pas pour autant sa mission. La même année, elle retourne à Berne après avoir tourné un film : « Mistinguett détective ». De quoi brouiller les pistes ! En Suisse, retour à la table du prince Hohenlohe. Et dans un moment de confidences dont l’histoire ne précise rien, le prince lâche : « Les Français et les Anglais nous attendent sur la Somme, mais c’est en Champagne que ça se passera. »

Mistinguett, d’un sourire enjôleur, remercie le prince de son invitation et se le tient pour dit !

« Mon Général, devinez qui nous a orientés dans ce sens ?  rapporte un agent du Grand Quartier Général. C’est notre amie Mistinguett ! Il y a toutes les chances que cette brave « miss » nous ait rendu un grand service en nous alertant ainsi d’avance. » Car l’information se révèle exacte. Et le jour de l’offensive, c’est l’armée française qui surprend les Allemands.

En 1956, au moment de la disparition de l’interprète de « Mon homme », le général Gamelin révèle l’affaire, demandant toutefois de garder le secret : « Si j’ai cru devoir écrire ces lignes, rapporte-t-il, au sujet desquelles je vous demande naturellement le secret, c’est pour montrer  le rôle que peuvent tenir en histoire le hasard et la chance et des personnalités qu’on ne s’attendait pas à y rencontrer. »

Le secret ne sera en fait révéler que bien plus tard, lors de la parution de l’ouvrage « Dans les archives inédites des Services Secrets », paru en 2010.

L’idylle avec Maurice Chevalier ne survivra pas à l’armistice. En 1919, leurs chemins se séparent. Reste que le souffle de leur amour a peut-être permis à la France de remporter une victoire décisive.

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