La saga de Nénette et Rintintin

On se raccroche à tout. On s’attache au moindre gris-gris. A la plus insignifiante amulette. Les guerres sacralisent nos peurs. Glacent les consciences. Engendrent d’irrésistibles vagues de superstitions et de croyances.

Ils sont deux sur cette carte postale tirée à des milliers d’exemplaires. Un soldat et sa fiancée, son épouse peut-être ! Séparés par la guerre mais réunis par un porte-bonheur. Trois fils de laine et au bout de chacun, trois fétiches de fil. Pantins suspendus. Visages naïfs. Apollinaire écrit, quelques temps avant de succomber à la guerre : « C’est peut-être la première fois que, depuis le fil d’Ariane, l’homme met sa confiance dans quelques brins de laine, de fil ou de soie… »

Au Panthéon des talismans à la mode, reléguant le scarabée, le trèfle à quatre feuilles, l’éléphant blanc ou la main de Fatma, Nénette, Rintintin et Radadou portent les espoirs protecteurs face aux malheurs à venir.

La presse se gausse ou s’enthousiasme de ces trois figurines de laine, « ultimes gris-gris surgis des bas-fonds de la superstition » ou « pied-de-nez du latin au Teuton lourd et malhonnête ».

Les Annales Politiques et Littéraires du 2 juin 1918 évoquent « la dernière fantaisie de Paris qui vient de lancer des fétiches « protège-gothas ». Deux minuscules poupées de laine qui se portent en sautoir : il n’en faut pas plus, paraît-il, pour être immunisé contre les bombardements ! Les midinettes leur font un accueil enthousiaste et puéril ».

De son côté, La Baïonnette s’enthousiasme : « Nénette et Rintintin ont bien tenu, lors des derniers raids des avions boches. Les sinistres oiseaux à croix noires sont revenus comme ils étaient venus de la visite d’impolitesse qu’ils nous ont faite pour se rappeler à notre souvenir après nous avoir négligés si longtemps.

« Car n’oublions pas que Nénette et Rintintin ont été créés et mis au monde pour préserver leurs zélateurs des bombes, des torpilles et des obus à longue portée. »

Et le journal de fournir le mode d’emploi : « Nénette et Rintintin se portent épinglés aux corsages ou accrochés à la chaîne de montre. Nul n’est obligé de s’en prévaloir ou de les afficher ; on les peut dissimuler dans sa bourse, ou dans son portefeuille. Nombre de marraines sont en train d’en fabriquer pour leurs filleuls car Nénette et Rintintin sont également infaillibles contre les dangers du front. Ils détournent la pointe des baïonnettes, brisent de plein-fouet des balles et annihilent l’effet des gaz toxiques, quels qu’ils soient… »

Quelle mouche a donc piqué les Français, et plus encore les Parisiens, pour se donner à deux pantins de laine et croire en de telles balivernes ?

En ce printemps 1918, la victoire n’a pas encore choisi son camp. Mais une chose est certaine : il faut terminer ce conflit, coûteux en hommes, en matériel et qui exsangue l’économie des pays belligérants. Créer une psychose au sein de la population parisienne en bombardant la capitale devient un objectif majeur de l’état-major allemand. Pour y parvenir, des canons longue portée – les fameux Parisener Kanone – disposés à 120 kilomètres de Paris, bombardent la capitale de mars à août 1918. La panique qui s’instaure dans la population, en dépit des mesures de protection, obligera, croit-on à Berlin, le gouvernement français à capituler. C’est oublier que la propagande et le bourrage de crâne jouent les contre-feux.

Pur produit du marketing propagandiste, Nénette et Rintintin ne naissent pas de la guerre. Leur carrière débute quelques années plus tôt, en 1908 exactement. A l’origine de leur création, un célèbre dessinateur humoriste qui fait des enfants des rues de Paris, sa vocation artistique. Francisque Poulbot. A l’orée de la guerre, son patriotisme le pousse à réaliser des poupées françaises qui viendront concurrencer les jouets allemands sur les étagères des grands magasins. Ainsi naissent Nénette et Rintintin ainsi que dix-huit autres poupées. « Alors je voulais mettre dans les bras des petites mamans, raconte Poulbot, à qui le père Noël n’apportait plus que d’affreux bébés Cadum, une progéniture à leur image, brune ou blonde, maigrichonne ou potelée, à la figure mince ou joufflue, aux yeux bruns ou bleus. »

Facétieux, Poulbot dénomme le garçon Nénette et la fille, Rintintin. En réalité, les petits noms intimes échangés entre l’artiste et son épouse. Dans son ouvrage « Encore des gosses et des Bonhommes », paru après la guerre, il revient sur cette création : « Avant la guerre, j’avais dix-huit enfants. (…) Rintintin la diable, surnommée Madame Durenaud, Nénette aux cheveux carotte, et le petit Lardon (…) Donc ces poupées, baptisées « Les Poulbottes » par Henri Lavedan, je les avais modelées, peinturlurées, coiffées, chaussées et habillées pourquoi ? Pour remplacer, dans les grands magasins, les pantins allemands à la perruque filasse et à l’air idiot, les horreurs Made in Germany. Pour faire des poupées vivantes, des poupées de bon goût ne sortant pas du moule uniforme qui leur donne à toutes le même front bombé, la tête plate fermée par un bouchon de liège, la face bête et l’œil de poule bordé de cils en dents de peigne. (…) La guerre a tout dérangé. »

La production est restreinte et le succès, guère au rendez-vous. Nénette et Rintintin disparaissent des rayons. Jusqu’à ce printemps 1918. On raconte alors, sans preuve formelle, qu’une couturière de chez Paquin, prenant à parti ses collègues, leur aurait dit, d’un ton bravache : « Voilà Nénette et Rintintin, mes fétiches contre les Gothas ». « Une heure après, explique le Carnet de la Semaine, tout l’atelier avait le fétiche ; une semaine après, tout Paris. »

Poulbot n’apprécie guère le détournement fonctionnel de ses deux poupées. Il écrit : « Hélas ! Comme te voilà fait, Nénette ! Jaune !… vert !… des bras et des jambes de laine ! Et toi, Rintintin ! C’est ta jolie robe, cette houppette effilochée bleue et rouge ? Vous êtes fous ! Pendus par la tête comme des Zigomar ! […] »

La presse catholique, qui combat toutes superstitions, derniers relents du paganisme, fustige ces porte-bonheur : « Ne rions pas de Nénette et Rintintin : ils sont la manifestation de l’ignorance et d’une crédulité morbide. Ce sont de dangereuses poupées. »

Mais il en est de Nénette et Rintintin comme le seront plus tard, dans d’autres circonstances, le Rubik’s cube, les Pin’s et le tout récent Hand Spinner. Leur carrière, qui n’évite pas les 256 morts et les 620 blessés des bombardements parisiens, ne résiste pas à la fin du conflit… sauf pour l’un d’entre eux !

Caporal américain, Lee Duncan est en passe de rejoindre son pays, la guerre achevée quand, du côté de Saint-Mihiel, il trouve dans les décombres d’un chenil, deux chiots bergers-allemands qu’il décide de recueillir et de leur faire traverser l’Atlantique. Un brin fétichiste, il baptise les deux cabots du nom de Nénette et Rintintin. Le premier meurt durant la traversée mais le chien Rintintin subsiste. Et comment ! En quelques années, il devient une star des plateaux de cinéma dans la fameuse série « Rin Tin Tin et Rusty ». Jusqu’en 1932 où l’animal décède. D’autres bergers-allemands le remplaceront par la suite.

Etrange raccourci de l’Histoire qui, de la poupée de Poulbot, nous entraîne sur les plateaux d’Hollywood !

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