Les anges de Mons. La fabrication d’une légende de la Grande Guerre

« […] Et comme le soldat entendait ces voix il vit devant lui, par-delà la tranchée, une longue ligne de formes lumineuses. On aurait dit des hommes avec des arcs ; après un nouveau cri leurs nuées de flèches s’envolèrent en chantant et en perçant les airs vers l’armée allemande… »

Cet extrait, tiré d’une nouvelle de l’auteur fantastique Arthur Machen, « Les Archers », paraît dans le London Evening News, le 29 septembre 1914.

Après deux mois de combats, l’illusion d’une guerre rapide s’évanouit au profit d’une guerre de position dont le temps n’est plus compté. La guerre-éclair voulue par les Allemands s’est cassé les dents sur la Marne après une percée rapide à travers la Belgique et le nord de la France. C’est dans ce dernier secteur que se situe l’action de la nouvelle de Machen.

En ce 21 août 1914, à proximité de Mons, dans le Hainaut belge, le 1er et 2e corps d’armée britannique montent au contact de l’armée allemande. 40 000 soldats sont chargés d’arrêter sa progression entre le canal de Condé et la route de Mons à Beaumont. Mais la puissance de feu allemande est trop forte et le 24 août, ordre est donné aux deux corps d’armée de se replier. Un échec perçu comme un traumatisme en Grande-Bretagne !

La nouvelle de Machen passe cependant inaperçue sauf pour deux revues occultistes qui se renseignent auprès de l’auteur. « Une fiction », prend-il la peine de préciser. « Juste une fiction ». Son histoire des anges-archets rebondit cependant au printemps 1915, forgeant l’une des légendes les plus connues de la Grande Guerre.

D’avril à juin 1915, alors qu’aucun témoignage a donné du corps à cet épisode paraissent dans le journal provincial Hereford Times (3 avril), la revue Light (24 avril) et la Occult Review (mai et juin 1915) plusieurs articles sur ce qui est désormais appelé « Les anges de Mons ». Le premier, intitulé « Une troupe d’anges », est écrit par Miss Marable. Les articles des deux autres revues reposent sur les témoignages d’un officier et d’une infirmière, Phyliss Campbell, en poste en août 1914 près de Mons. Elle publiera d’ailleurs un ouvrage la même année « Retour du front ».

L’histoire prend du volume quand bulletins paroissiaux et sermons d’église s’emparent du sujet sur fond de fibre patriotique. Pourtant, aucune vérité ne ressort de cette histoire. Interrogées, Miss Marable et Phyliss Campbell n’apportent aucun renseignement tangible. Pas plus qu’un soldat, Robert Cleaver, du 1er Régiment du Cheshire, prétendant avoir assisté à la scène. Lequel soldat, renseignements pris, n’est en fait arrivé sur le sol français seulement le 22 septembre 1914, soit quatre semaines après le repli des Britanniques de Mons.

Alors, que doit-on penser de cet épisode des anges de Mons ?

Entre en scène le général de brigade Charteris. Cet officier du renseignement britannique, qui a participé à la retraite de Mons, diffuse auprès de certains organes de presse que des anges ont permis la retraite des soldats britanniques, décochant leurs flèches sur le contingent allemand et le réduisant à l’impuissance. Mais l’homme est également, chose curieuse, à la base du lancement d’une autre rumeur : « l’Usine Kadaver » dans laquelle les Allemands font bouillir les cadavres de soldats afin de fabriquer des aliments pour animaux.

Désinformation totale ! Suite au recul de l’armée britannique, il s’agit de maintenir le moral de la population. L’intervention d’anges ailés pour stopper la progression allemande montre le camp choisi par Dieu et la religion, prélude à la victoire finale. Quant à « l’Usine Kadaver », elle veut prouver la sauvagerie ennemie face aux puissances civilisées.

Le général de brigade finira par démentir l’affaire de « l’Usine Kadaver ». Mais seulement en 1925. Encore reviendra-t-il sur ses propos. Toutefois, en 1931, dans la publication de ses mémoires « At G.H.Q », il présente deux lettres adressées à son épouse, les 5 septembre 1914 et 11 février 1915. Dans la première, il évoque l’histoire des anges de Mons puis, dans la seconde, son ambition de remonter à la source de l’histoire. Sauf qu’aucune de ces deux lettres ne se trouvent dans ses fonds d’archives personnels. Perte de ces documents ? Ou fausses lettres introduites dans son ouvrage ?

Si la désinformation mise en place par les services britanniques explique cette histoire que le gouvernement britannique n’a jamais démentie, il se peut aussi que des hallucinations aient pu frapper certains soldats en retraite, accablés par plusieurs jours et nuits sans dormir, au prix de durs affrontements. La formation de nuages peut aussi apporter une explication. Reste qu’aucun courrier de soldats britanniques n’a jamais mentionné de tels événements demeurés dans la mémoire et les livres scolaires des Britanniques. Jusqu’à Churchill qui en parle dans son autobiographie !

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