28 octobre 1962. La Troisième Guerre mondiale n’aura pas lieu
« Nous ne sommes pas communistes. Ni pain sans liberté, ni liberté sans pain. Ni dictature de l’homme, ni dictature d’une classe. La liberté sans la terreur. » Ainsi s’exprime un jeune avocat du nom de Fidel Castro, quelques jours après sa prise du pouvoir à La Havane, en février 1959. 58 ans ont passé. Fidel Castro s’est éteint le 25 novembre 2016, laissant son frère, Raul Castro, combattant de la première heure et dont il disait « qu’il était encore plus radical que moi », gouverner l’île de Cuba.
Il est bien loin le temps de la révolution romantique débutée avec une poignée d’hommes dans la Sierra Maestra en 1956. Les idéaux se sont écroulés les uns après les autres. Si tout n’est pas à jeter dans la politique cubaine (le pain, la santé, l’éducation, le sport), la liberté s’est effacé au profit de la dictature et l’indépendance, au profit des compromissions avec l’URSS. Ce que redoutait Che Guevara pour qui Cuba ne devait être inféodé « ni à Moscou, ni à Pékin ».
Cuba. Une île de 110 860 km2. Etirée d’ouest en est. Point stratégique entre la Floride au nord et l’Amérique centrale au sud. Porte d’entrée du golfe du Mexique. C’est dire son importance dans les Caraïbes et les envies d’occupation qu’elle a suscitées depuis sa découverte. Tantôt espagnole, tantôt anglaise, profondément métissée depuis le temps de l’esclavage. Point d’appui des pirates de tous bords. Et finalement indépendante en 1898. Une indépendance tout de même encadrée sous la forme d’un protectorat américain à partir de 1902. La Guerre froide n’a pas encore débutée mais les Américains sont déjà soucieux de leurs intérêts économiques dans cette Amérique latine qu’ils considèrent comme « leur chasse gardée ». Premier effet de la présence américaine à Cuba : Guantanamo. Une base militaire à l’extrême sud de l’île. Histoire de protéger les intérêts américains et les compagnies qui ont déferlé dans une île riche de sucre, de nickel, de café et de tabac. Jusqu’à posséder des milliers d’hectares pour certaines et à reléguer le paysan cubain au rang d’ouvrier agricole, esclave rural des temps modernes.
Mais ce n’est pas tout ! L’Amérique puritaine fait de l’île son bordel. Prostitution, casinos, hôtels et palaces accueillent les riches Yankees en goguette. Et pour diriger tout ce petit monde, un dictateur couleur locale, Fulgencio Batista, général fantoche à la solde des Etats-Unis dès 1933. Chassé de l’île en 1944 mais de retour au pouvoir en 1952 après un putsch. Une fortune estimée à 400 millions de dollars pris sur les jeux tandis que le peuple cubain subit chômage et misère.
Cependant, loin des rythmes afro-cubains qui résonnent dans les lupanars de la Havane, c’est une toute autre musique entendue depuis plusieurs mois du côté de Santiago de Cuba, dans la Sierra Maestra. Quelques dizaines de guérilleros, avec à leur fête Fidel Castro, décident de combattre le régime corrompu de Batista par les armes avec pour devise : « Nous serons libres ou nous serons des martyrs. » A 27 ans, Fidel Castro a compris que seules les armes parviendront à évincer Batista du pouvoir. Poussé par un idéal révolutionnaire puisé aux sources des grands libérateurs latino-américains et désireux de mettre fin à tant d’injustices que subit son peuple, il se lance, lors du carnaval, avec 200 étudiants mal préparés, à l’assaut de la caserne Moncada de Santiago de Cuba ainsi que de l’hôpital civil et du palais de justice. Terrible échec qui voit la moitié des combattants trouver la mort tandis que Fidel et son frère Raul parviennent à se réfugier dans la montagne de la Gran Piedra. Pour peu de temps ! Repéré puis arrêté, ils sont transférés à Santiago. Leurs vies ne tiennent qu’à un fil, Batista n’étant pas connu pour sa clémence. C’est grâce à l’intervention de l’église cubaine et d’un réquisitoire contre la dictature prononcé par Fidel Castro en personne qu’ils sont condamnés à 15 ans de prison. Batista pense qu’il n’a rien à craindre de ces jeunes révolutionnaires. Deux ans plus tard, Fidel et Raul Castro sont libérés. Direction le Mexique où ils font une rencontre décisive. Ernesto Guevara est un jeune médecin de 27 ans, né en Argentine. Lui aussi ne songe qu’à libérer les peuples latino-américains des dictatures qui les asservissent au Pérou, en Bolivie, au Paraguay ou au Guatemala. Fidel et Ernesto discutent passionnément et n’ont plus qu’un rêve : libérer Cuba et en faire un exemple pour tout le continent américain.
Le 25 novembre 1956 marque le début de l’accomplissement du rêve quand, voguant vers les côtes cubaines, El Granma transporte Fidel Castro, Che Guevara et 80 compagnons révolutionnaires. Direction : la côte orientale de l’île. Un espoir : que les habitants de Santiago de Cuba se soulèvent. Mais rien de tel ne se passera. Santiago ne s’enflamme pas et, à leur arrivée sur la côte cubaine, les rebelles subissent le feu nourri des hommes de Batista. Le bilan est lourd : 17 survivants sur les 81 guérilleros partis du Mexique. Pour Fidel et ses hommes, il ne reste plus qu’à se cacher dans les montagnes alors que leur anéantissement est annoncé par Batista. Un article du New-York Times vient alors révéler l’existence effective de la guérilla. Le journaliste, Herbert Matthews, s’est rendu dans la Sierra Maestra au contact de la rébellion, attirant envers elle un mouvement de sympathie du peuple cubain. Le début de la fin pour le régime de Batista et de son allié américain. Très mobile, particulièrement motivés à la différence des troupes gouvernementales, les « Barbudos » tendent embuscade sur embuscade, récupèrent du matériel et voient leur nombre grossir par l’arrivée de nouveaux combattants.
En moins de deux années, le cours de l’histoire de Cuba change. La rébellion gagne du terrain au point que le 1er janvier 1959, Fulgencio Batista, sa famille et ses alliés s’enfuient de la Havane pour Saint-Domingue, quelques heures avant l’entrée de Fidel Castro. La révolution cubaine n’est plus un rêve. Un rêve qui fait rapidement place aux réalités. Fidel Castro est nommé Premier ministre le 13 février 1959. Aussitôt, des réformes sont entreprises qui visent notamment les grandes compagnies américaines. La production de pétrole est nationalisée tandis qu’une réforme agraire est mise en place pour rendre la terre aux paysans. La réaction américaine ne se fait pas attendre. En 1960, Washington décide d’un boycott économique de l’île avant de rompre ses relations diplomatiques (avril 1961) en apprenant l’accord commercial passé entre La Havane et Moscou. Le danger pour les Etats-Unis vient de la contagion révolutionnaire susceptible de gagner l’ensemble de l’Amérique latine. Inconcevable ! Mais une attaque des G.I. américains semble risquée, les Etats-Unis étant déjà empêtrés dans une guerre au Vietnam qui n’en finit pas.
Les nombreux exilés cubains qui ont fui l’île leur servent de caution. Entraînés par les services secrets américains, 1500 anticastristes débarquent le 16 avril 1961 à Playa Giron, dans la baie des Cochons. L’objectif est de marcher sur La Havane en espérant que le peuple cubain se soulèvera. Rien de tout cela ! Le 20 avril, l’échec est patent ! Les anticastristes sont refoulés. Il ne reste plus qu’aux Etats-Unis et à Kennedy de décider d’un embargo commercial total (7 février 1962) sur l’île afin de provoquer une crise intérieure qui fera tomber le régime. C’est offrir Cuba aux bras de l’URSS, trop heureux de posséder un allié à portée des côtes américaines. La Guerre froide entre les deux superpuissances trouve un nouveau terrain d’affrontement qui, cette fois, amène le Monde à envisager une Troisième Guerre mondiale.
Tout commence le 14 octobre 1962 quand des avions U2, survolant l’île, prennent des clichés lesquelles, examinées, révèlent l’existence de 42 fusées soviétiques (des missiles SS4) dont la portée (2000 km) est une menace pour le territoire américain. C’en est trop pour les Etats-Unis. Quatre jours plus tard, Kennedy intervient à la télévision : « Notre politique a été marquée par la patience et la réserve. […]. Nous ne risquerons pas prématurément ou sans nécessité le coût d’une guerre nucléaire mondiale dans laquelle même les fruits de la victoire n’auraient dans notre bouche qu’un goût de cendre, mais nous ne nous déroberons pas devant ce risque, à quelque moment que nous ayons à y faire face […]. Je fais appel à M. Khrouchtchev afin qu’il mette fin à cette menace clandestine, irresponsable et provocatrice à la paix du monde et au maintien de relations stables entre nos deux nations. Je lui demande d’abandonner cette politique de domination mondiale et de participer à un effort historique en vue de mettre fin à une périlleuse course aux armements et de transformer l’histoire de l’homme… » Pourtant, à une invasion militaire, le président américain préfère un blocus de l’île. La tension monte d’un cran quand le 24 octobre 1962, 25 navires soviétiques arrivent en vue de Cuba tandis que Castro décrète la mobilisation générale de son peuple. Le face à face avec la marine de guerre américaine est inéluctable. L’affrontement est proche. Dans le monde entier, la presse évoque l’imminence d’un conflit mondial. Jusqu’au moment où les navires soviétiques décident de rebrousser chemin. Ordre du Kremlin. Le monde respire.
Le 28 octobre 1962, Khrouchtchev décide de retirer les fusées soviétiques de Cuba sur la promesse de Kennedy de ne pas envahir l’île. « Afin d’écarter au plus vite le danger du conflit et servir la cause de la paix, le gouvernement soviétique a décidé d’ordonner le démontage des armes que vous qualifiez d’offensives, et leur rapatriement en URSS. » Plus tard, il avouera : « Cette fois, nous étions vraiment à deux doigts d’une guerre nucléaire. Nous avons reçu une lettre de Castro dans laquelle il nous disait que les Américains allaient attaquer dans les vingt-quatre heures. Il nous proposait de déclencher une guerre atomique en premier. Nous étions totalement stupéfaits. Clairement, Castro n’avait aucune idée de ce qu’était une guerre thermonucléaire. Après tout, si un tel conflit s’était produit, c’est Cuba qui aurait d’abord disparu de la surface de la Terre. Et puis, il pouvait y avoir une contre-attaque, potentiellement dévastatrice. Après tout, qu’aurions-nous gagné ? Des millions de gens seraient morts, dans notre pays aussi. Est-ce qu’on peut envisager une chose pareille ? Pouvons-nous permettre de mettre en danger le monde socialiste, imposé dans la douleur par la classe ouvrière ? Seule une personne aussi aveuglée par la passion révolutionnaire que Castro peut parler ainsi. »
Cuba, en dépit de sa volonté de non-alignement, se rapprochera de plus en plus de Moscou tout en imposant une dictature que Fidel dénonçait au tout début de la révolution.
Les acteurs de cet événement vivront des destins opposés. Tragiques pour John Kennedy et Che Guevara, assassiné à Dallas le 22 novembre 1963 et en Bolivie le 9 octobre 1967 après avoir quitté Cuba en affirmant : « D’autres terres dans le monde réclament mes modestes forces… » Khrouchtchev sera remercié le 14 octobre 1964 au profit de Brejnev, payant l’échec de 1962. Quant au « lider maximo », il restera enfermé dans une doctrine marxiste-léniniste stricte après l’effondrement des régimes communistes en Europe. La situation de l’île se détériorera ensuite, provoquant le départ de boat-people cubains vers la Floride. Avant de laisser son frère Raul aux commandes du pays. La rencontre avec le président Obama marque enfin une évolution qui reste à confirmer après plus d’un demi-siècle d’embargo et de silence diplomatique entre les deux pays. Quant à la base de Guantanamo, transformée en prison, elle appartient toujours, chose incroyable, aux Américains.


Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !