22 février 1632. Galilée. La tête dans les étoiles
Le 24 mai 1543, Nicolas Copernic rend son dernier souffle. Quelques heures plus tôt, allongé sur son lit de sa demeure de Frauenburg (Prusse orientale), le chanoine tient enfin entre ses mains l’ouvrage qui explique sa théorie de l’héliocentrisme bien qu’il ait pris, ultime précaution, de préciser en introduction, qu’il ne s’agit que d’une hypothèse. Car l’ouvrage « De Revolutionibus Orbium » (« Révolutions des sphères célestes ») sent le soufre. Nicolas Copernic l’a écrit en 1530 après des années de lecture et d’observations astronomiques dans sa tour de Frauenburg. Mais il n’est pas bon, en ce temps de stricte observance de la doctrine chrétienne et de l’Inquisition, de faire valoir des idées différentes de l’Eglise. Aussi a-t-il pris la précaution d’attendre d’être au seuil de la mort pour le publier chez un imprimeur de Nuremberg. Nicolas Copernic peut mourir en paix. Un second ouvrage de sa main, « Commentariolus », sera édité plus tard… au XIXe siècle.
Quoi qu’il en soit, « De Revolutionibus Orbium » va influencer les astronomes de la Renaissance. Parmi eux, un jeune italien, Galileo Galilei, né à Pise le 15 février 1564.
Entre la date du décès de Copernic et celle de la naissance de Galilée, un livre « De rerum natura », du poète romain Lucrèce, redécouvert un siècle et demi plus tôt par un érudit florentin Le Pogge, est mis à l’index par l’Eglise sans qu’elle puisse en interdire sa diffusion auprès des humanistes et des scientifiques de la Renaissance qui veulent s’affranchir de sa tutelle. Lucrèce ne fait pas dans la dentelle dans ses 7400 hexamètres qui contestent une existence de l’homme après sa mort, corps et âme disparaissant en même temps qu’il rejette toute idée du paradis et de l’enfer. Une hérésie au dogme. Insupportable pour Rome. Du grain à moudre pour les humanistes…. et Galilée.
La Renaissance, cette période d’illuminations des arts et de la pensée humaniste, s’imprègne aussi du renouvellement de la pensée scientifique fondée sur l’observation et les expériences, en s’appuyant sur l’invention et le perfectionnement des techniques. La diffusion des savoirs et de la pensée humaniste, dans un contexte religieux troublé par la montée du protestantisme et des guerres de religion, entraîne l’Eglise catholique à réprimer dans un premier temps toute forme d’hérésie par les tribunaux de l’Inquisition, dans un second temps à mettre en place des réformes en son sein, définies au concile de Trente (Italie) entre 1545 et 1563.
L’année suivante voit la naissance, à Pise, de Galilée. Son père, musicien, a de l’ambition pour son fils. « Tu seras médecin ! » lui intime-t-il, l’envoyant étudier cette science à l’université, bien rémunératrice de surcroît. Peine perdue. Influencé par son professeur de dessin, Galilée ne s’intéresse qu’aux mathématiques et à la physique, s’ouvrant les portes de l’astronomie. Très doué, âgé de 25 ans, il obtient à l’université de Pise la chaire de mathématiques puis, trois ans plus tard, celle de l’université de Padoue. Parmi ses élèves, un certain Cosme de Médicis, ni plus ni moins que le futur grand-duc de Toscane. Durant cette période, il s’intéresse à la chute des corps. Avant d’apprendre en 1609, l’existence d’une lunette astronomique inventée par un Hollandais. Lunette qu’il améliore à partir de rubans de bois joints ensemble et d’une lentille convexe, lui permettant de grossir jusqu’à 20 fois.
Nous sommes en 1610. Cosme II de Médicis n’a pas oublié son professeur. Il l’invite à le rejoindre à Florence, lui proposant la fonction de mathématicien principal agrémentée d’une villa mise à sa disposition. Galilée est âgé de 46 ans. C’est la chance de sa vie. Il pourra poursuivre ses expériences sans soucis pécuniaires et bénéficier d’une solide protection. Le voilà désormais voué à ses observations astronomiques, dans une tour bâtie spécialement à cet effet, lui permettant de découvrir le relief lunaire, les taches solaires et les planètes du système solaire. C’est d’ailleurs en observant Jupiter qu’il découvre quatre petits satellites de cette planète qu’il nomme aussitôt planètes médicéennes, en l’honneur de son protecteur.
Galilée, outre ses observations, s’appuie sur de nombreux ouvrages. L’un d’eux le passionne : l’ouvrage de Nicolas Copernic, « De Revolutionibus Orbium », écrit cinquante ans plus tôt. Un brûlot qu’il ne fait pas bon mettre en avant. En développant la thèse copernicienne de l’héliocentrisme, Galilée s’attire les foudres du cardinal inquisiteur Bellarmin qui lui interdit d’enseigner la théorie copernicienne « par quelques moyens que ce soit ». Déjà, en 1610, Galilée avait publié un traité d’astronomie « Le Messager des Etoiles » qui avait suscité une violente réaction des théologiens.
Dans une lettre qu’il adresse à la mère de Cosme II, Christine de Lorraine, il fait part de ses découvertes et du bien-fondé de ses théories : « J’ai découvert, il y a peu d’années, comme le sait Votre Altesse Sérénissime, de nombreuses particularités dans le ciel, qui, jusqu’ici, étaient invisibles ; soit en raison de leur nouveauté, soit en raison de plusieurs conséquences qui en découlent, ces découvertes, en venant s’opposer à des propositions communément reçues dans les Ecoles des philosophes, ont excité contre moi un grand nombre de leurs professeurs ; au point que l’on pourrait croire que j’ai mis de ma main ces choses dans le ciel pour troubler la nature et les sciences. Oubliant d’une certaine manière que la multiplication des découvertes concourt au progrès de la recherche, au développement et à l’affermissement des sciences et non pas à leur affaiblissement ou à leur destruction, et se montrant dans le même temps plus attachés à leurs propres opinions qu’à la vérité, ils en vinrent à prétendre déclarer que ces nouveautés n’existent pas, alors que, s’ils avaient voulu les considérer avec attention, ils auraient dû conclure à leur existence… »
Changement toutefois en 1623 quand le nouveau pape Urbain VIII infléchit la position de l’Eglise en admettant que l’héliocentrisme, sans être une certitude, peut être une hypothèse. Urbain VIII propose alors à Galilée de rédiger un ouvrage sur cette question, exigeant de l’astronome qu’il admette le principe de l’hypothèse et qu’il donne la parole à ses détracteurs. Jusqu’en 1632, Galilée consacre son temps à rédiger ce nouveau traité, somme de toutes ses observations. Quand « Dialogue sur les deux grands systèmes du monde » paraît en 1632, l’ouvrage déchaîne l’ire des théologiens, aveugles partisans du géocentrisme et du pape Urbain VIII, reprochant à Galilée d’avoir trahi sa confiance en présentant sa théorie de l’héliocentrisme preuves à l’appui et non comme une hypothèse. Sacrilège ! Galilée est allé trop loin. Convoqué à Rome le 12 avril 1633, il est invité à s’expliquer. Les juges de la Sacrée Congrégation de l’Inquisition ne sont pas réputés pour leur clémence. La peine d’être envoyé au bûcher plane sur la tête de Galilée. S’obstiner à la controverse ne peut que le conduire à la torture. D’une redoutable efficacité dont on ne sort jamais vainqueur. A 69 ans, Galilée préfère abjurer. En juin 1633, la sentence tombe : « Les théologiens qualifiés ont défini ainsi les deux propositions de la stabilité du Soleil et du mouvement de la Terre de la manière suivante : la proposition que le soleil est au centre du monde est absurde, fausse en philosophie et formellement hérétique, parce qu’elle est expressément contraire à la Sainte Ecriture.
« La proposition que la Terre n’est pas au centre du monde ni immobile, mais qu’elle se meut d’un mouvement diurne est également absurde et fausse en philosophie et considérée en théologie au moins comme erronée selon la Foi. »
« Hérétique » ! Le mot est prononcé ! Galilée évite le bûcher mais est condamné à la détention à perpétuité. Peine réduite à la résidence surveillée à Arcetri, près de Florence où il passe ses dernières années à continuer, avec ses disciples Viviani et Torricelli, à étudier l’astronomie, publiant un dernier ouvrage en 1638 : « Discours contenant deux sciences nouvelles ». Il meurt en 1642. Le grand-duc Ferdinand II désire lui offrir un monument posthume à la mesure de ses découvertes. Refus ferme de l’Eglise. Ferdinand II le fait alors inhumer dans la chapelle réservée aux Médicis. Il faut attendre 1737 pour voir Jean-Gaston, dernier de la lignée des Médicis à régner, transférer le corps de Galilée dans le tombeau de l’église Santa Croce de Florence.
L’église mettra encore plus de deux siècles (1822) pour faire annuler le décret d’interdiction de l’héliocentrisme. Auparavant, en 1744, le pape Benoit XIV avait permis l’impression du Dialogue sur les deux grands systèmes du monde. Ce n’est qu’en 1992 que Jean-Paul II reconnaîtra la théorie galiléenne en réhabilitant l’astronome. Cela faisait bien longtemps que plus personne ne croyait que la Terre était au centre de l’Univers et que le soleil tournait autour de la Terre.


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