A réaction. Jean, Charles De Louvrié

Jean, Charles De Louvrier, fils d’agriculteur, naît le 3 juillet 1821 au hameau de Combebisou, situé aujourd’hui sur la commune de Montézic mais qui à l’époque de sa naissance appartenait à celle de Volonzac. Après de fortes études en mathématiques et en mécanique, il commence par s’occuper des ballons dirigeables avec lesquels il effectue un grand nombre d’ascensions en compagnie de divers aéronautes. Avant de s’intéresser à l’étude des appareils plus lourds que l’air. Il étudie notamment le projet d’un appareil d’aviation, qu’il appelle « aéronave » et que nous appellerions aujourd’hui aéroplane. Il s’agit d’un plan incliné s’avançant horizontalement dans l’air, ce qui n’est pas nouveau, même à cette époque, car Menson a déjà construit sans succès un appareil de ce genre.

La description de cet appareil paraît dans l’Opinion Nationale du 10 juin 1867 sous la plume de Victor Meunier :

« Le cerf-volant aura dix mètres de côté. Il sera fait d’une toile mécanique étendue sur croisillon formé de bambous ou de tubes en tôle de fer, et dont les mailles auront été remplies avec une solution de guttapercha.

La nacelle sera en cuivre mince, ses formes aussi fines que possibles seront celles d’une yole pontée. Elle aura sept mètres de longueur sur une maîtresse section de ¼ de mètre carré. Un homme pourra se coucher au milieu. Dans les deux bouts s’emmagasinera le combustible liquide ; à l’arrière sera fixé un gouvernail.

Cette nacelle sera reliée au cerf-volant par deux montants rigides et par un système de haubans en fil de fer, au moyen desquels se règlera l’inclinaison du plan suspenseur ; de plus elle reposera sur deux paires de roues sur lesquelles elle devra rouler pour s’élancer et pour atterrir.

Enfin, aux deux montants entre la nacelle et le cerf-volant seront fixés parallèlement à l’axe de la nacelle deux petits générateurs cylindro-coniques, en tôle d’acier de deux millimètres d’épaisseur et mesurant 3  m 40 de long sur 0 m 28 de large.

Le tout pèsera 150 kilogrammes. Ajoutons-en 350 pour le poids de l’aéronaute, du combustible… et nous aurons un total d’une demi tonne.

Or, le calcul démontre que pour arriver à suspendre un tel appareil dans les airs et à le mouvoir horizontalement, il faudra (le cerf-volant formant avec l’horizon un angle de un degré) imprimer au système une vitesse de 15 m 30 par seconde ; que l’effort de la traction sera de 15 kg 115 et qu’enfin le travail sera de 231,26 kilogrammètres. Ce qui donne 151,150 kilogrammètres par myriamètre parcouru.

D’où suit qu’une de ces fusées de 12 qui emportent dans l’espace un obus de 60 kilos et s’élèvent avec leur charge à la hauteur de la flèche du tir, fournirait largement l’effort de tractions nécessaire.

Les deux générateurs en tôle d’acier décrits ci-dessus tiennent lieu de fusée, et la poudre y est remplacée par un mélange d’air et d’huile de pétrole. L’air est puisé dans l’atmosphère au fur et à mesure des besoins ; le combustible est envoyé de la nacelle par une pompe à ressort ; la soupape à air est placée à l’avant et dans l’axe de chaque générateur ; la soupape du combustible est placée de côté et en dessous ; l’une et l’autre se ferment d’elles-mêmes au moment de l’explosion qu’une étincelle électrique détermine alternativement dans chaque tube. Les vapeurs d’huile, d’autant plus inflammable que leur température est plus élevée, se forment au contour des parois préalablement chauffées. »

Ainsi qu’on le lit, ce qu’il y a de nouveau dans cet appareil, provient de l’emploi combiné d’un plan de glissement et de deux fusées à air détonants.

Le mémoire de De Louvrier est présenté à l’Académie des Sciences le 26 octobre 1865. Malgré un rapport très favorable, l’Académie reste froide à ce projet, ne témoignant ni approbation ni improbation. De fait, l’appareil ne sera jamais construit.

Pendant de longues années, Charles De Louvrier cherche le mécène qui pourrait fournir les fonds nécessaires à la construction de son appareil. Mais le capitaliste ne vient pas. Alors l’inventeur, découragé, retourne dans l’Aveyron où il se livre à la construction mécanique des tonneaux destinés à contenir des olives.

Pourtant, très vite, la fièvre aéronautique le reprend, mettant en avant un autre projet. Il ne s’agit plus d’un aéroplane, mais d’un oiseau à ailes battantes. Il fait construire un petit appareil d’expérience qu’il présente encore à l’Académie des Sciences. Charles De Louvrier fait de nouveau appel à des mécènes. Il croît même un instant percevoir des fonds américains mais ces derniers ferment leur caisse comme les autres et De Louvrier retourne à ses tonneaux et à la solitude de Campouriez. Un jour de juin 1894, le facteur qui vient lui apporter une lettre, trouve porte close. Il pousse la fenêtre et aperçoit Charles De Louvrier étendu mort dans son fauteuil. Le pauvre homme, qui a rêvé de gloire et de fortune, a succombé seul à l’âge de soixante-douze ans.

Il est impossible de détailler les travaux pour lesquels l’aviation lui doit cette place exceptionnelle notamment en ce qui concerne l’aérodynamique, à une époque où c’est précisément la connaissance exacte des lois de la résistance de l’air qui importe et fait travailler et discuter les esprits.

Alors que le vol sans moteur va naître, on se réfère à De Louvrier comme à d’autres auteurs anciens. Ce qu’il y a de plus fantastique chez lui, c’est cette prescience de l’aviation à réaction, telle qu’elle est indiquée dans ses travaux : les mêmes proportions de calcul, les mêmes chiffres concordent avec ceux de nos jours.

Si l’on considère l’œuvre de De Louvrier au point de vue scientifique pur, on voit qu’elle contient deux points importants : l’emploi des fusées et le glissement sous des angles faibles.

Une œuvre qui nous autorise à sortir ce scientifique aveyronnais de l’oubli.

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