Au sommet. Géo Chavez
Il existe des moments où il ne faut plus hésiter et s’élancer, vaille que vaille, vers l’inconnu et l’incertitude. C’est ce que dut penser Géo Chavez, ce 23 septembre 1910, quand il décide de franchir les Alpes à bord de son monoplan. Encore une voie à ouvrir. Encore un exploit pour entrer dans l’Histoire de l’aviation. Encore peut-être une surenchère.
« Je vais partir » décide l’aviateur détenteur de son brevet de pilote depuis seulement février 1910. Présent sur la piste de départ, sur la commune de Ried-Brig, le journaliste du Petit Parisien est à la fois enthousiaste et anxieux. « Ce n’est qu’une impression, écrit-il, mais je l’ai ressentie très nettement : l’homme, à cet instant, bien que très résolu, était en proie à une crainte vague, irraisonnée. » Il poursuit : « A une heure quinze, le monoplan Blériot était sorti du hangar et poussé à l’extrémité du champ de lancement. A une heure vingt-cinq, Chavez, couvert de multiples maillots, coiffé d’un casque de cuir rembourré, passait deux paires de gants, la première en papier, la seconde en peau fourrée, et faisait mettre l’hélice en marche, donnant à son mécanicien ses derniers ordres d’une voix un peu blanche. Maintenant, dans le fracas du moteur tournant à toute vitesse, Chavez a assuré ses lunettes, réglé ses manettes et levé la main.
« Les aides lâchent prise : le biplan s’enfuit sur l’herbe rase et bondit dans l’atmosphère, s’élevant avec une rapidité telle qu’à peine deux minutes se sont-elles écoulées que déjà il plane à plus de quatre cents mètres au-dessus de nous.
Elargissant son cercle, il s’en va maintenant effleurer de son vol radieux, dans le grand éblouissement du soleil, le glacier d’Aletsch : puis, il revient droit sur nous, à une hauteur de 1200 à 1500 mètres, se dirige vers le Simplon, caché à nos yeux par un premier mont, le Rothenwald, couvert de grands pins.
Enfin, derrière un grand sapin vert sombre, tout a disparu. Je consulte ma montre : il est 1 h 44. »
Géo Chavez a franchi la barrière sud des Alpes, jugée à l’époque infranchissable. A la clef, un prix de 70000 francs si l’avion atterrit à Milan. Pour y parvenir, l’aviateur doit d’abord se poser pour remplir son réservoir. « Chavez, après avoir été très bousculé par des courants contraires au-dessus du Simplon-Kulm, ne suivit pas tout d’abord la route qu’il s’était tracée. Au lieu de prendre le col de Monscera, il s’embarqua au-dessus des gorges sauvages de Gondo, surplombant des précipices effrayants, côtoyant parfois des murailles monstrueuses de rocs déchiquetés qui l’enserraient de chaque côté.
« A la sortie de ce chemin dantesque, c’était la descente à pic sur Domodossola. Chavez coupa l’allumage et, en vol plané, revint à terre.
« Cette descente fut-elle trop rapide ? Fatigua-t-elle outre mesure l’appareil ? On ne sait.
Toujours est-il que, comme il arrivait à vingt mètres environ de la prairie d’atterrissage, les ailes du monoplan se ployèrent sous l’aviateur. Ce fut alors la pierre qui tombe, la masse qui s’écrase sur le sol. »
Chavez s’en sort avec deux jambes fracturées et de multiples contusions. Il décède pourtant quatre jours plus tard de ses blessures, âgé de 23 ans, payant au prix fort son engagement et son abnégation. Né en France mais d’origine péruvienne, son corps est rapatrié sur le continent sud-américain. L’aéroport de Lima porte aujourd’hui son nom.


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