Barthélémy Teste, prophète apocalyptique
L’histoire pourrait commencer par « Il était une fois », un potier de Labruguière, bourgade du sud-tarnais, au pied de la Montagne Noire, qui n’aurait jamais dû être détourné de son labeur si, un beau jour, alors âgé de trente-trois ans, il ne s’était pas perdu, raconte-t-il, dans une forêt des Pyrénées-Orientales au sein de laquelle il lui arriva une bien étrange aventure :
« Un fort orage vint m’y surprendre. Pour m’abriter, je me mis sous un grand arbre. La nuit étant survenue, je m’enfonçai sans le savoir dans la forêt où je m’égarai. J’entendis le son d’une cloche qui frappait 2 heures. Des animaux sauvages m’ont entouré et semblaient vouloir me dévorer. Alors je dis : “Mon Dieu ! Avant de périr, donnez-moi quelques moments pour me réconcilier avec vous” !
« A l’instant même, une étoile venant du ciel tomba à mes pieds. Le vif éclat de ce météore dissipa ces animaux que je ne vis ni t’entendis plus. J’aperçus un papier fixé sur un arbre, écrit en caractères rouges, qui prédisait des processions qui devaient se faire dans tout l’univers. J’entendis la voix d’un enfant paraissant avoir quatre ou cinq ans qui chantait près de moi. Je lui demandai où était son papa. Il me répondit vivement, en me demandant ce que je désirais. Me trouvant égaré, je lui demandai le chemin que je devais suivre pour sortir de la forêt. Il se baissa et il ramassa à ses pieds un peu de terre, la divisa en trois parties et en forma trois petites boulettes qu’il mit dans ma main. Je lui dis alors : “Que veux-tu que j’en fasse ? Ce n’est que de la boue !” Il me répondit alors qu’elles allaient durcir comme des cailloux, ce qui arriva en effet ; mais bientôt après, ces petites boules furent changées en trois fleurs : une blanche, l’autre bleue et la troisième rouge… »
Ordre lui est alors donné par cet enfant de répandre de bien curieuses prophéties consignées plus tard dans un document daté du 1er septembre 1868 par le notaire tarnais Vabret, devant vingt-deux témoins, tous dignes de foi et dont la précision chronologique ne manque pas de nous interroger quand on sait que Barthélémy Teste est analphabète et peu au courant des affaires du pays.
« Que ces couleurs [bleu, blanc et rouge] devaient reparaître en France en 1830. Qu’il y aurait une révolution qui commencerait le 27 et finirait le 30 juillet de la même année ;
« que peu de temps après cette révolution, le nommé Louis-Napoléon Bonaparte ferait des tentatives pour s’emparer du pouvoir ; que néanmoins il ne réussirait pas ; que ce prince étant détenu s’évaderait ; qu’il serait dans son évasion secouru et aidé par un capitaine ;
« Que le 24 février 1848, une seconde révolution devait éclater en France, par suite de laquelle le prince régnant serait renversé ; que la république serait proclamée ; que le prince Louis-Napoléon serait élu représentant du peuple, ensuite choisi pour président de la République, et plus tard enfin élevé à l’éminente dignité d’empereur des Français ;
« qu’en 1853, il éclaterait de forts orages, qui déracineraient les arbres et renverseraient les maisons ;
« que le 24 février 1854, commencerait une guerre qui devait durer jusqu’en 1855 ; que l’empereur des Français serait victorieux et que vers ce temps il y aurait des années stériles ;
« qu’en 1858, il y aurait une guerre qui commencerait le 21 mai et finirait dans le mois de septembre, de la même année, que l’empereur des Français serait victorieux ;
« qu’en 1860, la mendicité serait interdite en France ;
« que les années 1864 et 1865 seraient des années d’abondance ;
« que durant les années 1866 et 1867, un pays conquis par la France serait complètement ravagé par des nuées de sauterelles, qui dévoreraient tout ;
« que les ennemis de la papauté livreront au pape une guerre acharnée, et qu’il restera toujours victorieux de toutes les tentatives qu’on fera contre lui ;
« que la dynastie de la famille qui règnera en France ne sera point renversée, et que l’héritier présomptif de la couronne est destinée à succéder à Napoléon III, son père, pour régner après lui ;
« que le dernier maréchal de France de l’Empire devait mourir au moment où le président de la République, étant sur le point d’être trahi, se rendrait victorieux de tous ses ennemis ;
« qu’en 1879, il surgira de terre, dans toutes les nations, une telle quantité de chenilles, que la terre et les arbres en seront tout couverts et que tous les végétaux en seront dévorés ; que faute d’aliments les animaux même domestiques se précipiteront sur les personnes pour les dévorer ; que le seul moyen d’éviter cette calamité serait d’exécuter la chose que le sieur Teste a à révéler, qui doit encore rester secrète. »
A ces événements, ce brave Barthélémy n’hésite pas à ajouter quelques ordonnances et conseils farfelus à l’adresse de Napoléon, par l’intermédiaire du député Reille auquel, soi-dit en passant, il avait prévu l’élection dans l’arrondissement de Castres.
« Vous devez provoquer, conseille Barthélémy, une loi ou un décret qui ordonne pour l’avenir, en France, la suspension de tout voyage sur tout chemin de fer, de 10 à 11 heures du matin, le septième jour de la semaine. Le gouvernement français devra s’entendre avec les autres cabinets de l’Europe pour faire en sorte que cette mesure soit adoptée, autant que possible, dans toutes les parties du monde. »
Ces prophéties seraient incomplètes sans le chapitre consacré à l’arrivée d’un nouveau messie chargé de sauver le Monde :
« En l’année 1999, naîtra un enfant extraordinaire destiné à établir partout l’unité de la foi ;
« En vue d’un si grand événement et en l’honneur de ce grand homme, un monument somptueux devant avoir trois cent soixante-six pieds de hauteur doit être élevé sur le lieu qui sera plus tard indiqué… »
Et de fournir moultes détails sur sa construction :
« il devra se composer à sa base de six compartiments, dont les parois seront en marbre blanc. Le surplus de l’édifice pourra être construit en tout autre matériau ;
« les frais de cette construction seront supportés indistinctement par tous les peuples, au moyen d’une contribution d’une valeur égale à un quart de centime par an, par chaque individu de tout âge et de tout sexe, pendant l’espace de dix années, sauf augmentation si ces ressources étaient insuffisantes ;
« chaque peuple devra envoyer, pour faire partie de l’édifice, une pierre sur laquelle seront sculptés les signes hiéroglyphiques, symboliques ou caractéristiques de sa religion ;
« dans chaque division ou compartiment de l’édifice figurera l’une de ces pierres ;
« cet édifice devra être complètement terminé avant la naissance de l’enfant ; c’est-à-dire avant l’année 1999. Ce monument servira d’asile à l’homme de Dieu après qu’il aura rempli sa mission. »
Le bon prophète se fait plus menaçant « si malgré tous les titres que j’ai pu être cru sur parole, je n’étais point écouté sur tout ce que je viens de dire, je prédis que les trois têtes couronnées dont j’ai parlé auront une fin déplorable. L’une d’elles se verra dépérir par la putréfaction de ses poumons qu’elle crachera entièrement. La deuxième, avant d’expirer, verra sa jambe gauche rongée et dévorée jusqu’aux extrémités par une innombrable quantité de vers ; et la troisième enfin périra, consumée qu’elle sera intérieurement par un feu dont on verra extérieurement la flamme ;
« toutes les autres personnes qui, par leur position, seraient tenues de concourir d’une manière secondaire à la réalisation des mêmes faits et qui s’y refuseraient, seront atteintes de maladie, comme les têtes couronnées ;
« je prends enfin que l’inexécution de ce qui précède serait punie par une famine générale, causée par les chenilles, qui désolerait et dépeuplerait le globe en l’année 1879. »
Ces prophéties apocalyptiques, adressées à Napoléon III par l’intermédiaire du député Reille quelques mois avant le désastre de Sedan, resteront sans réponse. Sans doute l’Empereur avait-il d’autres chats à fouetter ! Et Barthélémy Teste, quelques comptes à rendre avec les voix célestes !


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