Benoît Rouquayrol. Auguste et Louis Denayrouze. Trois hommes et un scaphandre
Un visiteur, peu au courant de l’histoire espalionnaise, s’étonnera d’apercevoir, en traversant le Pont-Vieux qui enjambe le Lot, une étrange silhouette plantée au milieu de la rivière. Il s’étonnera un peu plus en découvrant, au fil des vieilles rues, dans l’ancienne église Saint-Jean-Baptiste, un musée consacré aux Arts et traditions populaires et… au scaphandre. Et ce n’est qu’en pénétrant à l’intérieur qu’il comprendra la présence d’un tel appareil au cœur d’un département plus connu pour son élevage que pour la pêche au thon.
« Le capitaine Nemo introduisit sa tête dans la calotte sphérique. Conseil et moi, nous en fîmes autant, non sans avoir entendu le Canadien nous lancer un “bonne chasse” ironique. Le haut de notre vêtement était terminé par un collet de cuivre taraudé, sur lequel se vissait ce casque de métal. Trois trous, protégés par des verres épais, permettaient de voir suivant toutes les directions, rien qu’en tournant la tête à l’intérieur de cette sphère. Dès qu’elle fut en place, les appareils Rouquayrol, placés sur notre dos, commencèrent à fonctionner, et, pour mon compte, je respirai à l’aise.
La lampe Ruhmkorff suspendue à ma ceinture, le fusil à la main, j’étais prêt à partir. Mais, pour être franc, emprisonné dans ces lourds vêtements et cloué au tillac par mes semelles de plomb, il m’eût été impossible de faire un pas. »
Ainsi Jules Verne, que tout progrès attire, – il assiste à l’Exposition Universelle de Paris de 1867 où l’appareil de Rouquayrol se distingue en obtenant la Médaille d’Or – utilise-t-il l’invention de Benoît Rouquayrol et d’Auguste Denayrouse, pour permettre au capitaine Nemo d’aller conquérir les fonds sous-marins dans « Vingt mille lieues sous les mers ».
Pourtant, le terme de scaphandre remonte bien avant, au milieu du XIXème siècle. « Quelle drôle d’expérience » s’étonnent les riverains du Rhin quand il voit un homme, lesté d’une sorte de corset en liège qui recouvre tout son haut, s’élancer dans les eaux rhénanes et se mettre à flotter. Une expérience mise en place par l’abbé de La Chapelle, mathématicien reconnu sous Louis XV, sorte de géocherche-tout, à laquelle il donne pour la première fois le nom de scaphandre, en réalité un gilet de natation.
L’idée toutefois perdure d’aller conquérir les fonds sous-marins. C’est à cette tâche que s’attellent nos deux inventeurs aveyronnais, Auguste Denayrouze et Benoît Rouquayrol. Le premier est issu de la commune de Montpeyroux où il naît le 1er octobre 1837. Le second, originaire d’Espalion, est son aîné de dix ans. Ce fils d’un avoué suit ses études au lycée de Rodez puis à l’Ecole des Mines de Saint-Etienne où il obtient son diplôme d’ingénieur. Agé de 25 ans, Rouquayrol est appelé à la direction du service des mines et hauts-fourneaux de Firmy. Humaniste, il réfléchit à développer de meilleures conditions de travail pour les mineurs, notamment à une plus grande sécurité dans les galeries, secouées par les coups de grisou, les effondrements et soumises à des inondations.
Issu de l’Aubrac, Auguste Denayrouze entame d’abord une carrière dans la Marine comme lieutenant de vaisseau. Mais une maladie contractée dans la lointaine Cochinchine l’oblige à remettre pieds sur terre. De retour en Aveyron, il rencontre Benoît Rouquayrol. Les deux hommes, enfants de la Révolution industrielle, s’associent et mettent en commun leur savoir-faire.
En effet, Rouquayrol a, dès 1859, soucieux de secourir les mineurs, inventé un régulateur pour l’écoulement des gaz compensés, appelé « Isoleur », dont il a déposé le brevet le 14 avril 1860. Il s’agit d’un réservoir sous pression couplé à un détendeur. « Je me propose, écrit Rouquayrol, de le faire servir de base pour établir un appareil respiratoire, dit appareil de sauvetage, pouvant servir également dans l’eau et dans une atmosphère irrespirable. »
Auguste Denayrouze, l’ancien marin, y voit aussitôt l’opportunité, en l’améliorant, d’utiliser l’appareil en milieu sub-aquatique. « Avec ma disposition nouvelle du régulateur d’air appliqué à une capacité portative, je réalise cet avantage de rendre le plongeur libre, indépendant de toute autre action que la sienne, et pouvant se suffire à lui-même. »
Le brevet de l’appareil Rouquayrol-Denayrouze est déposé le 11 mars 1864. Mais les deux associés ne s’en tiennent pas là. A force d’expérience, notamment dans les eaux du Lot, ils améliorent le système par la création d’un habit en toile caoutchoutée, par un masque facial en cuivre adaptable à l’habit de plongée, par un sifflet avertisseur lorsque le niveau de la réserve d’eau est bas ainsi que par un filtre en toile mécanique afin de préserver le mécanisme du régulateur. C’est cet appareil qui aiguisera la curiosité de Jules Verne en 1867.
Faire prospérer cette invention : Auguste Denayrouse s’en occupe. Tandis que son associé dirige désormais la Compagnie des houillères et fonderies de l’Aveyron, continuant ses recherches en créant un dépilage des couches de houille par la méthode verticale, Denayrouze fonde en février 1865 la « Société Rouquayrol-Denayrouze » pour le développement et la commercialisation de leur appareil. Entreprise à laquelle s’agrège la « Société Française de Pêche aux Eponges » afin d’exploiter le scaphandre en Méditerranée orientale. Auguste Denayrouze est aidé dans cette tâche par son frère cadet Louis, sorti de Polytechnique, qui en prendra bientôt la direction. Les deux frères n’ont alors de cesse d’améliorer le scaphandre avant de vendre leur affaire à la « Société Charles Petit » en 1895. Entre-temps, Auguste a créé une société de transport maritime entre la France et les îles de la Réunion, de Mayotte et de Maurice.
Agé de 49 ans, Benoît Rouquayrol est emporté par une grippe infectieuse en 1875. Il est suivi par son associé en 1883. Toujours passionné par l’évolution du progrès, Louis Denayrouze s’intéresse à une nouvelle invention : l’éclairage électrique. De février à octobre 1878, à l’occasion de l’Exposition Universelle de Paris, l’avenue de l’Opéra s’illumine soudain de 62 lampes à arc électrique, un système dû au russe Joblochkoff et installé pour l’occasion par la Société Générale d’Electricité dont Louis Denayrouze est actionnaire. Dans les années 1890, il développe par le biais de la « Société d’Eclairage Denayrouze », un nouveau système d’éclairage au gaz.
Scientifique et visionnaire, l’Espalionnais possède plus d’une corde à son arc. Député de l’Aveyron de 1884 à 1885, battu ensuite ; ami d’Alexandre Dumas fils, il est aussi l’auteur de pièces de théâtre (« La Revanche Fantastique », « Mademoiselle Duparc » et de poèmes « La Belle Paule »), récompensés par l’Académie française en 1879. Il décède le 10 janvier 1910.
A lire :
PEISSIK, Muriel, L’invention Rouquayrol-Denayrouze, de la réalité à la fiction, Association Musée Joseph-Vaylet, Musée du Scaphandre, 2004


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