Bonnie et Clyde. Les amants terribles de la crise
Quatre années, de 1930 à 1934, suffisent à Bonnie Parker et Clyde Barrow pour mettre cinq états du Sud à feu et à sang. Sans cesser d’être, auprès du public, l’icône des gangsters révoltés et romantiques.
La mise à mort
La Ford V8 roule à tombeau ouvert sur la petite route qui mène vers Arcadia, en Louisiane. Clyde Barrow, au volant, serre les mâchoires plus ils approchent de la banque à braquer. A son côté, Bonnie Parker reste silencieuse, attentive aux deux côtés de la route, le revolver scotché sur sa cuisse. Les deux gangsters les plus recherchés des états du Sud des Etats-Unis savent que les policiers sont sur les dents depuis la mort de deux de leurs collègues, froidement abattus par le couple à Grapevine (Texas), le 1er avril 1934, suivi cinq jours plus tard d’un troisième, près de Commerce, Oklahoma.
Une fuite en avant criminelle dont l’un et l’autre connaissent déjà la fin : la mort à coup sûr, soit en étant abattus par les forces de l’ordre, soit sur la chaise électrique.
Cachés dans les fourrés depuis deux heures du matin, les policiers désespèrent de voir apparaître la Ford quand, vers 9 heures, un bruit de moteur envahit la route déserte. Quelques secondes suffisent à l’officier Franck Hamer pour s’assurer de l’identification du couple. D’un geste, il fait signe à ses cinq hommes de se tenir prêts. Pour la première fois, le visage de celui qu’il s’est juré d’abattre lui apparaît clairement derrière la vitre. La Ford n’est plus qu’à quelques mètres de leur cachette quand les policiers ouvrent le feu. Les vitres de la voiture éclatent, projetant du verre sur les sièges et les deux occupants. Surpris, Clyde donne un coup sec de volant. La Ford fait une embardée avant de déraper sur le bas-côté. Clyde fait un geste pour tenter de saisir son arme à la ceinture. En vain !
Les six policiers surgissent des fourrés et criblent le véhicule de balles. En tout, 150 projectiles, qui ne laissent aucune chance au couple. Le premier, Clyde, voit sa tête explosée sous l’impact des balles avant de s’écrouler sur le volant. Bonnie hurle d’épouvante ! Elle a juste le temps d’apercevoir son visage qui pleure du sang avant d’être abattue à son tour.
Le silence après le déluge de feu. Le temps aux policiers de s’assurer que tout est mort dans la Ford V8. Que le « road movie » criminel s’arrête bien là, sur cette petite route de la paroisse de Bienville. Que justice soit faite ! Vengeance assouvie ! Devoir accompli ! Bonnie and Clyde, le couple maudit, n’aura vécu que quatre courtes années. Un parcours semé de sang qui rentrera dans l’Histoire et deviendra un mythe.
« On achève bien les chevaux »
Le théâtre de leur dramatique criminelle se joue dans une Amérique qui bascule de l’illusion d’un rêve. Cette soi-disant richesse offerte à qui voudra seulement entreprendre n’est plus qu’un mirage qui s’est estompé, ce jour du 24 octobre 1929. Un Jeudi noir qui éteint les lumières d’une prospérité qu’on croyait sans faille et plonge des millions d’hommes et de femmes, d’abord dans le désarroi, puis dans la colère et la révolte.
Accablante et dramatique, la crise intervient après une décennie d’euphorie économique. 12 millions de titres partent en fumée pour 16 millions de chômeurs américains en 1932. Ouvriers, agriculteurs, petite et moyenne bourgeoisie sont touchés. Une armée de miséreux se met en marche à travers le pays, sans espoir. Le laisser-faire du libéralisme économique vient de montrer ses limites.
Suivront des années de vendanges amères à subsister avant peut-être de renaître quand seront passés les Raisins de la colère et que seront bien achevés les chevaux.
Mais à quoi peuvent bien rêver un gars et une fille dans cette Grande Dépression qui s’abat comme un cyclone implacable ?
Bonnie avant Clyde
Elle, c’est Bonnie. Bonnie Parker. La gamine de Rowena (Texas), née le 1er octobre 1910, est une enfant sans histoire. Son parcours scolaire l’atteste, démontrant des aptitudes et un intérêt manifeste pour la littérature, notamment la poésie, à laquelle elle consacre deux ouvrages.
L’absence du père, décédé alors qu’elle est âgée de quatre ans, explique-t-elle qu’à seize ans, Bonnie décide de tout plaquer et de se marier avec un camarade de classe, Roy Thornton ? Un tournant dans sa vie assurément. Car, si l’homme est attirant, il est loin d’être recommandable. Sans travail, il verse dans la délinquance. Bonnie l’attend au foyer et rêve déjà à une vie plus aventureuse. Jusqu’à ce jour de janvier 1929 où Roy, cette fois, ne rentre pas. Le braquage d’une banque à main armée a mal tourné. Direction la prison.
Pour Bonnie, c’est le retour chez sa mère, près de Dallas. Pour vivre, elle s’embauche comme serveuse au Marco’s café. Avec ses boucles blondes aux reflets roux, ses traits fins et son regard déterminé, Bonnie, qui vient d’avoir dix-neuf ans, n’est pas du genre à avoir froid aux yeux. Des yeux d’hommes qui s’arrêtent souvent sur son joli minois. Ceux, bruns et profonds, de Clyde vont la subjuguer.
Lui, c’est Clyde Barrow. Une enfance tumultueuse, due à une situation familiale difficile. Ses parents sont des paysans déracinés, venus habiter Dallas pour trouver du travail au début des années 20. Le couple, avec ses six enfants, vit dans une roulotte, au cœur du bidonville de West Dallas. Les quelques bénéfices que le père Barrow retire de sa station-service, servent à la famille pour se reloger.
Cinquième de la fratrie, Clyde est souvent livré à lui-même. De petits délits en braquages avec son frère Marwin, il tâte de la prison dès seize ans, se taillant peu à peu une réputation de petit truand.
Clyde a vingt et un ans quand il croise le sourire de Bonnie. Leur histoire peut commencer.
Idylle et premiers délits
Elle rêve d’aventures, de sortir de l’ombre pour se mettre en lumière et basculer son propre destin.
Il se veut un héros, tête brûlée et cœur tendre, belle gueule de petit caïd.
Deux âmes qui vont se perdre quand Clyde est à nouveau coffré à Easthern Prison Farm. Une trop longue absence pour Clyde qui s’évade avant d’être rapidement repris.
Et puis cet épisode terrible, dans l’enfermement silencieux d’une prison où l’on ferme les yeux parfois quand, à son corps défendant si l’on peut dire, Clyde est agressé sexuellement par un détenu. Son sang ne fait qu’un tour. Il se rebiffe et bat à mort son agresseur. Premier meurtre qui en appelle d’autres. Clyde a compris : pour vivre, tuer n’est plus un interdit mais un moyen de défense.
Deux ans plus tard, les deux amants se retrouvent à la porte de la prison. Le duo reconstitué, secondé par Buck, le frère de Clyde, se lance dans une course folle dans laquelle la violence meurtrière répond à la violence économique de la crise. Une fuite en avant qui ne peut s’arrêter que leurs corps criblés de balles.
Vol de voiture, course-poursuite avec la police rythment désormais la vie du gang. Avant une nouvelle arrestation de Clyde.
1932-1934 : la fuite en avant
La folle cavale des amants terribles de la crise se poursuit à travers les Etats du sud, de la Louisiane au Nouveau-Mexique en passant par le Missouri, l’Oklahoma et le Texas. Et sur leur route, banques et commerces sont attaqués et vidés de leurs contenus. Le sang coule. Pourtant, la légende du couple de braqueurs amoureux, posant pour la postérité, colt en main, cigare aux lèvres, un pied sur le parechoc de la voiture, naît au sein d’une population qui voit en eux des justiciers.
Jusqu’au jour où Bonnie et Clyde vont dépasser la limite à ne pas franchir. Ce 1er avril 1934, ils n’hésitent pas à abattre deux jeunes policiers à Grapevine, dans le Texas. Cinq jours plus tard, dans l’Oklahoma, à Commerce, l’attaque de la banque dérape. Un policier reste sur le carreau. Trois morts de trop qui ne peuvent rester impunis. Le couple échappe à une embuscade tendue par la police et l’armée, avec mitrailleuse lourde et sacs de sable disposés sur la route. Chance incroyable, au moment où le couple est en ligne de mire, la mitrailleuse s’enraye, leur permettant de forcer le barrage et de s’enfuir. Neuf autres meurtres jalonnent la route du gang, mais tous ne peuvent être directement attribués à Clyde et à Bonnie. Dès lors, le couple est en sursis. Sans doute le savent-ils, ce qui explique qu’ils ne craignent plus de tirer, ni de mourir. Mais mourir ensemble, côte à côte, puis entrer dans l’histoire du crime.
La construction du mythe
En juillet 2012, deux revolvers retrouvés dans la voiture où gisent les deux corps sont vendus aux enchères à Nashua. Les documents qui s’y rattachent racontent que le colt de Bonnie était attaché à sa cuisse par du scotch tandis que Clyde portait le sien à la ceinture. Cinq autres objets (un bas de soie de femme, une balle non utilisée, un morceau d’une paire de lunette, un petit tournevis et un tube d’aspirine vide) complètent cette vente, deux lots acquis pour la somme de 500 000 dollars. Deux mois plus tard, la trousse à maquillage de Bonnie et une montre de poche en or de Clyde trouvent également preneur. C’est dire combien le mythe reste vivace !
Cet intérêt du public s’explique par plusieurs raisons : la crise de 29 qui les a propulsés dans le quotidien d’une Amérique déboussolée. Clyde est un enfant du peuple qui grandit avec la crise. La quête de l’argent qui se dérobe est perçue comme une juste revanche des damnés de la terre sur l’autorité policière et judiciaire. Se greffe l’idylle entre Bonnie et Clyde. Rien n’est plus beau que de s’aimer jusqu’à la mort. Bonnie et Clyde, c’est Tristan et Iseult, Roméo et Juliette. Une folle passion qui subjugue les esprits en ce temps de dépression. Esprit de famille et révolte : deux ingrédients dont l’Amérique est friande ! Enfin, le couple sait se mettre en scène, dans des photos à la fois romantiques et provocatrices, qu’ils n’hésitent pas à laisser sur les lieux de leurs braquages.
Le mythe s’est ainsi construit autour de leurs deux prénoms, comme un feuilleton quotidien que la presse relate en forçant parfois le trait. Comme une complicité de se mettre à leur côté. De communier avec eux. Le seul couple dans l’histoire criminelle à s’être fait un nom. Arthur Penn ne s’est pas trompé quand, en 1967, il réalise le film qui fait connaître leur histoire au monde entier, mêlant scènes de violence, idylle et sexe, inventant un nouveau style pour les films d’action.
En France, l’année suivante, Serge Gainsbourg et Brigitte Bardot interprètent Bonnie et Clyde dont les paroles sont en grande partie extraites d’un poème écrit par Bonnie Parker (The Story of Bonnie and Clyde). Le choix n’est pas innocent : en cette année 1968, de révolte et de contestations à l’ordre établi, BB et Gainsbourg vivent une passion amoureuse aussi courte que fusionnelle. La chanson tiendra le hit-parade pendant plusieurs semaines.
Un de ces quatr’ nous tomberons ensemble
Moi j’m’en fous c’est pour Bonnie que je tremble
Quelle importanc’ qu’ils me fassent la peau
Moi Bonnie je tremble pour Clyde Barrow
Bonnie and Clyde
Bonnie and Clyde
Même les grands criminels ne meurent jamais !


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