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Camille Douls. Une trace dans le désert

6 février 1889. Au bord d’un point d’eau entouré de tamaris, un homme d’apparence jeune se laisse bercer par la fraîcheur de l’oasis et s’abandonne au sommeil. Ne sent-il pas qu’un danger menace ? Les hommes qui l’accompagnent, eux, n’ont pas le cœur serré. La cordelette de cuir glisse le long du cou de l’étranger. Ils n’ont plus qu’à serrer… serrer encore… le désert étouffe les râles et seuls les soubresauts sculptent le sable d’un corps encore chaud mais qui vient de perdre vie. L’aventure de l’homme s’arrête là… au puits d’Illighen… à la moitié de son parcours… mais si loin du Rouergue.

Le désert n’a pas enseveli son corps. De rumeur, son assassinat s’est transformé en nouvelle… incertaine puis fondée. Elle a transpiré d’abord à travers les dunes jusqu’aux postes militaires français… avant de franchir la Méditerranée et de se répandre dans les salons parisiens puis au sein des cercles savants aveyronnais. Depuis 1874, il est le vingtième Français assassiné dans cette région rebelle. En dépit de toutes les précautions pour éviter d’être reconnu… En dépit de la langue arabe qu’il maîtrise et des traditions et coutumes qu’il a parfaitement assimilées depuis son premier voyage dans ce Sahara hypnotique. El-Hadj-Abdel Malek, ce voyageur « assez jeune, vêtu du costume arabe, parlant la langue du pays mais d’une façon trop incorrecte pour déguiser son origine étrangère » n’est autre que Camille Douls.

Nous sommes en 1887. Le 20 janvier exactement. Camille Douls est âgé de 22 ans, né aux Bordes Basses, commune de Sévérac-L’Eglise, le 17 octobre 1864. Ce désir du désert s’ouvre ce jour-là à son regard, près du Cap Boudjour, solitaire dans ce Sahara occidental, terre inhospitalière s’il en est, dangereuse pour tout occidental qui tenterait d’en pénétrer les secrets. Camille Douls en connaît les risques mais l’appel a été trop fort malgré les conseils à renoncer. Ancien élève du pensionnat Saint-Joseph, à Rodez, peut-être a-t-il été influencé par les récits des frères missionnaires aussi bien que par l’extraordinaire contenu du musée du pensionnat ? Captif de ces étendues fascinantes, dans ce vide absolu qu’est le Sahara, rejoignant les campements de nomades comme autant de points de rencontres, il souffre de la soif, de l’amplitude des températures et du vent qui secoue le sable en vastes nuées. Sans compter le danger permanent  d’une mauvaise rencontre qui scellerait la fin de son expédition.

De tout ce qu’il voit, respire, note, il le confie à son retour en France, en août 1887, au Bulletin de la Société de Géographie et à la revue Le Tour du Monde, recevant les félicitations du président de la République Sadi Carnot et du roi des Belges. Il écrit : « La richesse de ce pays justifie en partie la jalousie du mouley El-Hassan qui craint, peut-être avec raison, la convoitise des Européens. Et, comme je l’ai dit au début de cette relation, les ordres donnés aux caïds sont si rigoureux que si ma présence avait été connue, j’aurais été infailliblement saisi et mis aux fers. Je ne pouvais me rassasier du spectacle magnifique que m’offraient les montagnes pittoresques du Sous, et je reposais avec une véritable jouissance mes yeux fatigués par cinq mois de désert sur des prairies émaillées de fleurs, sur des rivières intarissables et sur des collines ruisselantes de moissons. À chaque instant je rencontrais des villages, et la population, répandue dans les champs montrait le degré d’activité de ce peuple si bien doué par la nature.

Après avoir longé la côte depuis Aglou et Massa, et traversé la splendide vallée de l’ouad Sous, j’arrivai à Agadir, dont la position au pied de l’Atlas, au fond d’une baie, en fait un magnifique port naturel. Je contournai les montagnes de l’Atlas au cap Ghir et, après avoir croisé les provinces du Haha et des Oulad-bou-Sba, j’arrivai à Marrakech, une des capitales de l’Empire… »

Tant à Paris où il séjourne que lors de ses passages en Aveyron, Camille Douls n’a qu’une idée en tête : repartir et rallier Tombouctou, la ville mythique du désert. « Je vais tenter de traverser les parties inexplorées du Sahara central, écrit-il. La tâche est rude mais j’ai conscience d’être soutenu et accompagné par la sympathie publique. »

Le 24 juillet, il débarque à Tanger qu’il quitte à la fin août pour gagner Tombouctou. Il ne reviendra pas vivant. Il écrit, prémonitoire, en 1888 : « La richesse de ce pays justifie en partie la jalousie du mouley El-Hassan qui craint, peut-être avec raison, la convoitise des Européens. Et, comme je l’ai dit au début de cette relation, les ordres donnés aux caïds sont si rigoureux que si ma présence avait été connue, j’aurais été infailliblement saisi et mis aux fers.

Au pays, la mort de Camille Douls ne laisse personne indifférent. Son décès confirmé, il s’agit dès lors de retrouver sa dépouille et de la rapatrier en France pour lui rendre tous les honneurs.

Le temps prendra pourtant son temps. Dans sa séance du 5 septembre 1890, le maire de Rodez Louis Lacombe demande que « le Conseil donne le nom de Camille Douls à la rue dite de l’Hôtel-de-Ville, où il est né et qui d’ailleurs n’a plus rien de commun avec l’Hôtel de Ville. Cette proposition est adoptée. »

Dès la fin de 1889, un Comité se constitue à Paris pour l’érection d’un monument à la mémoire de Camille Douls. Projet repris par la municipalité dans sa séance du 5 septembre 1890 : « M. le Maire fait prévoir la possibilité de procurer à très peu de frais à la ville de Rodez un deuxième modèle du monument qui sera érigé à Paris. » Une souscription est alors lancée pour financer ce projet.

Au Sahara, mission a été confiée aux autorités françaises en Algérie de tout entreprendre pour retrouver les restes de Camille Douls, une somme de cinq cents francs accordée par la Société de Géographie permettant de subvenir aux frais. La tâche est ardue. Tant de semaines se sont écoulées alors que le secteur dans lequel Douls a trouvé la mort se situe hors du contrôle des autorités françaises. Une année supplémentaire sera nécessaire pour qu’enfin le cadavre de Douls soit rapatrié vers Ghardaïa avant d’être acheminé par le vapeur Ajaccio, de la Compagnie transatlantique, depuis Alger jusqu’au port de Marseille.

Enfin, le 25 août 1891, trente mois après son décès, les restes de l’explorateur aveyronnais parviennent à Rodez. Il faut d’abord participer à la reconnaissance de ses restes. Le monument n’étant pas prêt, le corps est déposé dans l’ancien cimetière, près de l’église du Sacré-Cœur.

Les difficultés qui ont précédé le rapatriement du corps sont pourtant loin d’être gommées. Quatre années sont encore nécessaires avant que le monument Camille Douls soit inauguré à Rodez. Sept ans plus tard, en août 1902, un second monument à la mémoire de Camille Douls  est inauguré au cœur du Sahara, là où l’explorateur a laissé sa vie. Dernier lien entre sa terre natale et sa terre de découverte.

La trace qu’a laissée Camille Douls dans le sable saharien ne s’est pas encore complètement estompée. Le souffle de son aventure résonne encore et chasse notre indifférence, linceul de l’oubli. Car nous sommes tous, à des degrés différents, des explorateurs : de nos propres vies ou de celles des autres. Camille Douls poursuivait ses rêves magnétiques de désert. Que ces rêves nous hantent encore longtemps. A moins que le temps, qui ressemble au vent du désert, efface les traces de vie comme celles des pas laissées sur le sable.

A lire :

ROUSSANNE, Albert, L’homme suiveur de nuages. Camille Douls, saharien, 1864-1889, Introduction de J.M.G. Le Clézio, Edition du Rouergue, 1991

L’explorateur aveyronnais Camille Douls (1864-1889) ou l’appel du désert, Collectif, Société des Lettres, Sciences et Arts de l’Aveyron, 2012

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