Catherine Théot, la nouvelle Eve, mère de Dieu et du Verbe

« J’ai eu l’occasion de voir à Petit-Bourg

 une vieille fille nommée C. qui m’intéressait par ses vertus

 et par la forte attraction qu’il y avait dans son esprit… »

L.-C. de Saint-Martin

31 août 1794. 7 h 15. Une formidable explosion déchire Paris, à peine réveillé. Le magasin de poudre du château de Grenelle, dirigé par le chimiste Jean-Antoine Chaptal, vient de sauter, provoquant des dégâts importants dans toute la capitale. On relèvera plus de mille morts, pour la plupart des ouvriers travaillant sur le site et habitants des maisons voisines, entièrement soufflées. Ce qui en fait l’accident technologique le plus meurtrier de l’histoire de France.

Le lendemain, 1er septembre, sans que le drame de la veille en soit la cause, la vieille Catherine Théot expire dans sa cellule de la Conciergerie. Pour ses derniers adeptes, la concomitance de ces deux événements révèlent le bien-fondé des prophéties de celle qu’ils ont surnommé « la Mère de Dieu ». Quant aux sceptiques, ils ne peuvent que prendre date d’une bien étrange coïncidence entre cette explosion qui vient de défigurer Paris et la mort annoncée en ces termes par la bouche même de la défunte, à laquelle leurs esprits cartésiens ne peuvent raisonnablement pas croire : « Je ne périrai pas sur l’échafaud. Un événement, qui jettera l’épouvante dans Paris, annoncera ma mort. »

Un jour indéfini de 1716, à Barenton, au cœur des collines normandes, naît la petite Catherine. Peu de renseignements nous sont parvenus sur ses premières décennies bien qu’il semble qu’une piètre éducation, au demeurant fort courante à cette époque, et des hallucinations épisodiques aient marqué son adolescence. Sans doute peut-on y voir les raisons de son départ vers le couvent des Miramionnes à Paris, fondée par madame de Miramion et placé sous la règle de sainte Geneviève. Non pour y prendre l’habit mais en tant que servante bien qu’elle affirme entendre des voix célestes et pratiquer des périodes de jeûne bien plus longues que les religieuses. Ainsi pénétrée de Dieu et conditionnée dans la plus stricte observance des principes religieux, Catherine Théot finit, vers 1779, par déclarer à qui veut bien l’entendre qu’elle est la Vierge ou l’Eve nouvelle. Le couvent devenant trop étroit pour faire connaître une telle prétention, elle bat le pavé de la capitale et se répand en prédications, bientôt suivie par quelques adeptes buvant ses paroles et ses présages. Au point que la police de l’Ancien régime, après divers dépôts de plaintes à son sujet, finit par les envoyer, elle et ses disciples, à la Bastille puis, pour Catherine, à l’hôpital de la Salpetrière. Elle en ressort au bout de trois années, encore plus auréolée de convictions mais dans un piteux état de santé.

Catherine Théot, qui a presque perdu la vue à soixante-six ans, est recueillie par une couturière du nom de Godefroid, qui la prend à son chevet et l’institue comme sa servante et sa secrétaire. Les deux femmes logent rue de la Contrescarpe Saint-Marcel (actuelle rue Blainville dans le Ve arr.). Celle qui se dit la Mère de Dieu y reçoit ses adeptes. Elle leur lit les tarots et laisse libre cours à ses présages. Dans cette assemblée d’illuminés se retrouvent mêlés un chartreux, Dom Gerle, futur député des Etats Généraux et à la Constituante, protecteur de l’autre prophétesse Suzette Labrousse ; la duchesse de Bourbon et quelques fanatiques, tant de la noblesse que du Tiers, déboussolés et prêts à suivre un nouveau messie.

La Révolution qui éclate en 1789 lui sert de tremplin pour élever ses idées dans le cœur des citoyens. Pêle-mêle, elle voit dans les événements qui bouleversent la société française, tant du point de vue politique que religieux, les signes précurseurs du commencement du millenium, l’avènement du règne divin à travers l’être Suprême, raillant de ce fait les idées religieuses rétrogrades. De fait, à plus de soixante-dix ans, elle s’affirme destinée à enfanter le nouveau Messie dont le trône s’élèvera face à l’église Sainte-Geneviève. Ne pouvant plus guère se déplacer, elle consulte dans sa chambre dans des cérémonies d’intronisation du plus grand ridicule ainsi que le révèle ce rapport de police daté du 7 mai 1794 :

« L’introductrice (une vieille servante) nous apprit que la Mère n’était pas encore levée, et nous fit attendre dans une espèce d’antichambre où, presque aussitôt, parut un homme vêtu d’une redingote blanche, qui avait l’air d’être chez lui. Après une longue attente, une femme s’adressa à Sénar :

– Venez, homme mortel, vers l’immortalité, la Mère de Dieu vous permet d’entrer.

Sénar fut introduit dans une chambre, où attendaient déjà quelques personnes dont une disciple : l’Eclaireuse. L’Eclaireuse agita sa sonnette. Les rideaux d’une alcôve s’écartèrent et Catherine Théot apparut, grande, sèche, diaphane. Sa tête et ses mains d’une maigreur extrême, étaient agitées d’un tremblement sénile. Elle avança, soutenue sous les bras par deux assistants. Deux jolies filles l’aidèrent à s’asseoir dans un fauteuil bleu et blanc, s’agenouillèrent devant elle, baisèrent sa pantoufle et se relevèrent, en disant : “Gloire à la Mère de Dieu”.

Après diverses simagrées, Sénar vit combler ses vœux. L’Eclaireuse s’approcha de lui.

– Voulez-vous la Lumière ?

Il répondit affirmativement.

– Savez-vous lire ?

– Un peu.

Elle lui prit la main et le conduisit à Catherine Théot devant laquelle elle s’agenouilla.

– Je vais, mon fils, vous admettre, dit la prophétesse. Joignez vos mains.

Il obéit, tandis que l’Eclaireuse lui soufflait à l’oreille :

– Vous allez recevoir les sept dons de Dieu.

Elle passa derrière lui et serra la tête fortement. Sénar sentit les lèvres de la Mère se poser sur son front, sur ses paupières, sur sa joue gauche, deux fois sur son menton et derrière son oreille droite. Puis elle traça une croix sur son front.

– À votre tour, ordonna l’Eclaireuse.

Sénar rendit ses baisers à Catherine.

– Fils et Mère, baisez-vous sur la bouche !

Sénar se soumit héroïquement à cette dernière épreuve. La Mère lui faisant signe de se lever, lui déclara qu’il était reçu. »

Un tel rapport ne sera pas sans incidence, tant pour Catherine Théot que pour celui qui, au sommet de l’Etat, commence à être ouvertement critiquée : Robespierre.

Dans un premier temps, le 17 mai 1794, la Mère du Verbe et quinze de ses disciples dont le chartreux Dom Gerle sont arrêtés. Un mois plus tard, éclate l’affaire Catherine Théot montée de toute pièce pour faire accuser Robespierre et le démettre de ses fonctions, sous fond de rivalité entre le comité de Salut public et le comité de Sûreté générale. Derrière cette conspiration pour mettre à bas l’Incorruptible, un conventionnel pur et dur, député de l’Ariège, Marc-Guillaume-Albert Vadier, membre du comité de Sûreté générale.

Le 15 juin 1794, à la tribune de la Convention, brandissant un rapport de police, il évoque les liens étroits et l’influence qu’exerce la secte de la Contrescarpe vis-à-vis de révolutionnaires haut placés, se gardant bien toutefois de nommer directement Robespierre. Le chef des Montagnards étouffera l’affaire mais il ne pourra rien faire, le 9 thermidor (20 juillet), quand Vadier l’accusera de collusion avec la vieille Théot pour rétablir le culte catholique, une correspondance de la main de la prophétesse faisant foi :

« J’ai l’honneur de vous écrire ceci, comme j’ai beaucoup de confiance en vous et que vous aimez à faire les œuvres de Dieu, c’est pourquoi que Dieu vous a choisi pour être l’ange de son conseil, et pour être le guide de sa police, et pour être le guide de sa milice pour les conduire dans la voie de Dieu… Je vous prie de prier l’assemblée de faire faire des processions, afin que le seigneur nous envoie de la pluie… et faire un petit mandement qui soit signé de l’assemblée. »

La veille, pourtant, dans son dernier discours, Robespierre s’est défendu de toute liaison en ses termes :

« La première tentative que firent les malveillants fut de chercher à avilir les grands principes que vous aviez proclamés, et à effacer le souvenir touchant de la fête nationale. Tel fut le but du caractère et de la solennité qu’on donna à ce qu’on appelait l’affaire de Catherine Théot. La malveillance a bien su tirer parti de la conspiration politique cachée sous le nom de quelques dévotes imbéciles, et on ne présenta à l’attention publique qu’une farce mystique et un sujet inépuisable de sarcasmes indécents ou puérils. Les véritables conjurés échappèrent, et on faisait retentir Paris et toute la France du nom de la mère de Dieu. Au même instant, on vit éclore une multitude de pamphlets dégoûtants, dignes du père Duchesne, dont le but était d’avilir la Convention nationale et le tribunal révolutionnaire, de renouveler les querelles religieuses, d’ouvrir une persécution aussi atroce qu’impolitique contre les esprits faibles ou crédules imbus de quelque ressouvenir superstitieux. »

On sait ce qu’il advint du 9 thermidor qui emporta Robespierre et ses amis sans que l’on puisse vraiment dire si l’affaire Théot fut déterminante dans son arrestation.

En attendant, Catherine et ses disciples croupissaient à la Conciergerie. Trente-trois jours après l’exécution de Robespierre, la Mère du Verbe décédait à son tour avec la satisfaction d’avoir vu sa dernière vision se réaliser. Puis le monde l’oublia en même temps que ses prophéties ».

0 réponses

Laisser un commentaire

Rejoindre la discussion?
N’hésitez pas à contribuer !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.