Ces animaux victimes de la guerre
Sur Park Lane, à Londres, s’élève depuis 2004, un mémorial dédié « à tous les animaux qui ont servi et sont morts aux côtés des forces britanniques et alliés dans les guerres et campagnes de tous les temps. Ils n’avaient pas le choix. » Un monument loin d’être unique mais éminemment symbolique qui met en avant le rôle des animaux dans les guerres en même temps que les pertes subies.
En France, des monuments leur sont également dédiés, comme le Mémorial aux animaux morts pendant les guerres de Couin, dans la Somme, inauguré le 10 juillet 2004. « Ne les oublions pas » est-il gravé sur deux plaques de marbre où sont dessinés chien, pigeon, ânes, cheval et mulet.
Animaux domestiques, leur histoire est intimement liée à celle des hommes. En période de paix comme en temps de guerre. Florilège d’histoires.
Chacun sait combien les chats sont sacrés dans l’antiquité égyptienne. Les Perses, aussi rusés que ces félins, ont-ils l’idée de s’en servir de boucliers pour se défendre des attaques égyptiennes tout autant que de balancer ces malheureux matous sur leurs ennemis.
L’histoire des éléphants d’Hannibal traversant les Alpes pour conquérir Rome fait partie du bestiaire militaire tout autant que les oies du Capitole cacardant à l’approche des assaillants gaulois.
Moins connus mais tout aussi efficaces, les porcs enflammés, que ces mêmes Romains, impressionnés par les éléphants de guerre, enduisent d’huile d’olive (évitant du reste toute surproduction du nectar), de goudron et autres substances inflammables avant de les envoyer, tout grognant et couinant, contre les mastodontes d’Hannibal lesquels, pris de panique, s’enfuient dare-dare sans demander leur reste, barrissant à qui mieux-mieux. Une vraie symphonie !
Mais revenons à 14-18 ! Stubby fait partie des héros de la Grande Guerre avec ses nombreuses médailles accrochées et son lot de photographies le représentant. Toutefois, Stubby n’est pas de ces soldats américains venus défendre les Alliés. Tout simplement un chien, de race croisée terrier et pitbull, arrivé clandestinement en France en 1917 dans les bagages du soldat Robert Carey. Son fait d’armes le plus célèbre, qui lui vaut le titre de sergent, se déroule alors que le cabot se terre dans une tranchée. Quelques mots d’allemand prononcés à proximité lui suffisent pour s’élancer sur l’homme et le mordre à la jambe. L’homme, l’interrogatoire terminé, se révèle être un espion allemand. Par la suite, Stubby qui n’a pas son pareil pour détecter la présence des gaz, continue de servir avant de repartir – clandestinement comme il était venu – vers les Etats-Unis où il est accueilli en héros.
Avant 1914, découlant d’une vieille tradition française, seuls les chevaux dans la cavalerie et les pigeons-voyageurs pour le renseignement sont utilisés par l’armée. Si, lors de la bataille de la Marne, les autorités font appel aux fameux taxis pour transporter les soldats au-devant de l’ennemi, les chevaux n’en perdent pas moins leur utilité quand le conflit s’enlise dans les tranchées. 11,8 millions de chevaux sont mobilisés dont 1,88 millions en France sur 3,22 millions de recensés. Apport nécessaire pour tirer les lourdes pièces d’artillerie dans la boue, les chevaux, ânes et mulets sont soumis comme les hommes aux dures réalités des combats : bombardements, attaques chimiques (des masques à gaz sont spécialement fabriqués à leur intention), maladies comme la morve, manque de nourriture et parfois de soins provoquent des hécatombes dans leur rang. 758 507 chevaux trouvent ainsi la mort sur le front français. « Avant-hier soir, écrit Maurice Drans dans une lettre à son épouse, étant de corvée de soupe avec Nicolas Leroux, je passais ma main sur l’échine pelée d’une des pauvres haridelles de notre “roulante”. Pauvre bête, disais-je, lamentable, qui cache une âme pacifique avec ton grand œil mélancolique fixé sur quelque rêve de prairie, tu ressembles à tes frères les hommes de la tranchée ! Tu peines et tu es condamnée. Je l’ai revue ce matin, ayant terminé son temps sur la terre, les quatre fers en l’air et baignant dans son sang… »
Joyaux de l’armée jusqu’au début du XXe siècle, les régiments de cavalerie sont concurrencés par l’arrivée et le développement des chars.
Les pigeons jouent un rôle important dans les communications. 200 à 250 000 sont utilisés pour transmettre des messages et même, côté allemand, pour photographier des positions ennemies à l’aide d’un appareil miniature, fixé sur l’animal, comprenant un déclencheur dépendant d’une minuterie. La photo aérienne vient de naître. Au point qu’il est interdit, dans les zones sensibles des combats, de procéder à des lâchers de pigeons sous peine d’espionnage.
Des mouettes comme radar. Telle est l’idée de l’amirauté anglaise. Fine observatrice, elle a remarqué que les mouettes suivaient les bateaux dans l’espoir de recueillir de la nourriture jetée par-dessus bord. Aussi ordonne-t-elle à ces sous-mariniers de jeter d’importantes quantités de pain quand ils font surface, habituant ces oiseaux voraces à converger vers ce type de navires dès lors plus facilement repérables. Il fallait y penser !
Près de 100 000 chiens se retrouvent sur les sentiers de la guerre, pour certains porteurs de messages ; pour d’autres tirant des munitions ou spécialisés dans la recherche des blessés après les combats. En 1915 est même créé le Service des chiens de guerre qui en recense 3000. Chiens de guerre mais aussi chiens-mascottes pour remonter le moral des troupes.
Reste ce que l’on appelle les animaux d’infortune, pas forcément désirés mais avec lesquels, le temps passant, les poilus s’habituent de vivre. Les rats d’abord, qui pullulent dans les tranchées, envahissant les gourbis et s’attaquant à la nourriture et aux hommes. Une guerre dans la guerre. Jacques Vandebeuque écrit : « Les rats, en quantité incalculable, sont les maîtres de la position. […] Impossible de faire un pas dans ce village sans entendre leurs cris et sans en voir entrer et sortir de toutes parts. Je passe là des nuits terribles ; recouvert totalement par mes couvre-pieds et ma capote, je sens pourtant ces bêtes immondes qui me labourent le corps. Ils sont parfois quinze à vingt sur chacun de nous et, après avoir tout mangé, pain, beurre, chocolat, ils s’en prennent à nos vêtements. Impossible de dormir dans de telles conditions ; cent fois, chaque nuit, je me débats sous les couvertures et la frayeur que je leur cause par le jet brusque de lumière d’une lampe électrique n’est que de courte durée ; instantanément, ils reviennent plus nombreux. »
Les poux et les puces également, les fameux « totos » du poilu, compagnons des soldats qui ne réussissent guère à s’en débarrasser avant de partir en permission. « Si je gratte, si je gratte tout le temps C’est pour la patrie, ah, c’est pour la France J’gratte, j’gratte, j’gratte Je gratte tout le temps Je suis le gratteur épatant/Le soir au clair de lune Nu comme un ver luisant Qui donc le poilu importune ? Ce sont ses poux charmants/Charron, Nourry, Langlais, Et Filoche en passaient A c’t’ami Pierre Besnier C’est l’cabot d’la chambrée/Un pou même s’envola Sur le p’tit Puypalat Et dans le coup Pragoust En fit un bon ragoût/Albert Ravé d’Oisseau S’en met dans le boyau Il est bon vot’ Fristi Ca vaut l’macaroni. » (Extrait d’une lettre d’Albert Filoche. 29 avril 1915.)


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