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Charles de Pomairols. Poète du rêve et de la mélancolie

« Je voudrais habiter dans le pays des songes », écrit Charles de Pomairols. Un vers qui résume à lui seul sa vie et son esprit égaré dans un siècle dans lequel il se sent hors du temps. Ce « pays des songes » qui fut son état d’esprit avant de sombrer dans le pays de la souffrance, « enfermé dans son deuil comme dans un cloître ». « Ses pays », pourtant, portent une marque profonde, ancestrale, rivés à la nature qui est un état de l’âme et qu’il ne cesse de personnaliser : le Rouergue.

« O cher pays natal, abri de ma maison

Je voulais de tes champs montrer le doux mystère

Ton sol rude, le grain qui forme cette terre,

Et la part de tes bois, et ton ferme horizon ».

 Ce pays natal dont « il parle avec l’amour que l’on porte à un être » écrit l’académicien et ami Paul Bourget. Ce pays natal qui n’est autre que celui de ses ancêtres, façonné par eux et dont il hérite. « Il voit, écrit encore Bourget, dans la nature l’âme individuelle des ancêtres toujours présente par la trace du travail passé ; il y a vu l’âme de la famille comme incarnée dans l’héritage. »

« Un tendre souvenir vers vous tous me ramène,

Ancêtres disparus sous le sombre horizon.

Créateurs prévoyants du champêtre domaine

Qui s’arrondit au large autour de la maison. »

Ce domaine, c’est celui de La Pèze, commune de Savignac, dominant Villefranche-de-Rouergue. Francis Carco, qui l’a connu adolescent lors de son séjour aveyronnais, le décrit ainsi dans « A voix basse » : « Charles de Pomairols habitait le château de la Pèze dont la masse trapue, flanquée d’une mince tourelle à poivrière, dominait des châtaigneraies, des prairies. On ne pouvait souhaiter cadre plus romantique où, depuis la barrière qui fermait un petit chemin, tout semblait immuable, roidi, comme à l’écart du monde, en un exil farouche et volontaire. La bise qui traversait les bois déjà dépouillés leur arrachait des hululements. Un domestique prit ma bécane. Il faisait un jour terne : par les petits carreaux de la tour, la lumière paraissait figée : une lumière de cachot ou de rêve. Rien ne bougeait, rien n’avait l’air de vivre à l’intérieur des murs. Quelquefois, sous une porte, animée d’un brusque tremblement, le vent faisait entendre un gémissement aigre, puis le silence redevenait lourd, plus compact avant que j’en eusse pu saisir la mystérieuse raison… »

Les Pomairols arrivent à Villefranche-de-Rouergue à la fin du XIVème siècle, depuis le Dauphiné, avant de laisser une trace durable dans la Perle du Rouergue. L’un d’eux, notamment, se rend célèbre en 1628 quand, par sa conduite et son acharnement, il parvient à éviter que la peste emporte la majeure partie de la population. Descendant de présidents au Sénéchal, de conseillers et d’officiers, héritier d’un vaste domaine, Charles de Pomairols voit le jour à Villefranche-de-Rouergue, le 23 janvier 1843, dans l’hôtel familial, sur la place Notre-Dame. Son grand-père a émigré en 1791 en Allemagne, à Mannheim et s’y est marié. C’est dans cette ville que naît le père de Charles avant qu’il ne retourne en Aveyron au château de Toulonjac.

Une scolarité exemplaire amène le jeune Charles de l’école communale de Toulonjac au lycée impérial de Toulouse où il passe sa première année de droit avant d’entreprendre, à 19 ans, un long voyage qui, de l’Allemagne puis Vienne, l’entraîne jusqu’au Bosphore, la Grèce puis l’Italie. En 1863, Charles de Pomairols gagne la capitale pour y poursuivre ses études de droit qu’il finira à Toulouse l’année suivante.

A Paris, il fait la connaissance de Gabriel Monod, futur professeur au Collège de France avec lequel il entreprend un second voyage en Allemagne (1867), à la découverte des écrivains germaniques Goethe et Schiller. Il écrit alors : « Etre le plus possible une âme et le moins possible un corps. » De retour en Aveyron l’année suivante, il épouse le 28 octobre 1869 Marguerite Dissez. Le couple, qui aura trois enfants, s’installe au château de la Pèze.

Quand la IIIème République naît de la défaite du Second Empire, Gambetta propose à Charles de Pomairols le poste de sous-préfet de Villefranche-de-Rouergue, qu’il refuse. Son destin est ailleurs.

Gentilhomme terrien, « à la figure à la fois austère et sympathique », esprit charitable, il préfère se consacrer à l’écriture dans son bureau de la tour du château, entre le buste d’Homère et le portrait de Lamartine auquel il consacre un ouvrage de référence. De 1879 à 1895, il publie quatre recueil de poèmes : « La vie meilleure » ; « Rêves et Pensées » ; « La Nature et l’Ame » et « Regards intimes ».

Durant les mois d’hiver, il monte à Paris où il tient un salon littéraire, au 53, rue Saint-Dominique, que fréquentent Bourget, Hérédia, Coppée, Lecomte de Lisle, Barrès et Mauriac. Avec la Toulousaine Claire Virenque, il fonde un Comité de littérature spiritualiste. « Mon spiritualisme, écrit-il, c’est la persuasion que l’homme doit cultiver en lui les sentiments de l’âme et réduire autant que possible les sensations du corps. Un sentiment est bien supérieur en qualité, en essence, à une sensation. »

S’ouvre alors le pays de la douleur dans lequel le recours aux souvenirs succède à la stupeur et à l’accablement avant que l’être aimé ne revive en lui-même. Un jour de 1890, sa fille Léontine, âgé de 13 ans, s’effondre alors qu’elle joue dans le jardin d’un couvent, victime d’une rupture interne d’un vaisseau.

« L’enfant qui souriait en me tendant la main,

Je l’ai perdu, je l’ai perdu sur le chemin !… »

 Alors, accablé de chagrin, le gentilhomme-poète se retire dans son château de la Pèze pour y écrire « Pour l’enfant », un recueil de 300 pages et de 200 poèmes paru en 1904. Carco écrit : « J’ignorais en effet dans quelle espèce de double vie, quasi fantomatique, le maître du logis traînait le vide de ses nuits, de ses longues journées… Une photo de la morte, qu’il avait sans cesse devant les yeux, ornait sa table de travail… »

 « Tu n’auras sur le sol pesé qu’à peine une peu ;

Ta grâce aura touché d’une aile trop légère

Le monde où tu passais ainsi qu’une étrangère. »

 Après avoir échoué en 1908 et 1909 pour le siège de l’Académie Française, il est à nouveau battu en 1914 par Bergson. Charles de Pomairols s’éteint le 20 janvier 1916 dans la propriété de son épouse, aux Pesquiès. Paul Bourget écrira : « Il n’a jusqu’ici connu que la notoriété. Je serais très étonné que sa renommée ne grandît pas durant les années qui vont suivre jusqu’à devenir une gloire. »

En 1930, La Société des Amis de Villefranche-de-Rouergue honore son poète en faisant ériger son buste, oeuvre de Denys Puech. Et puis l’oubli fera son temps, laissant la gloire au passé.

A lire :

COMBES DE PATRIS, Bernard, En Rouergue, Société des Lettres, Sciences et Arts de l’Aveyron, 1969

DELACOUR, André, Trois Hommes. Un Pays, Imprimerie Carrère, 1947

SOULIE, Rémi, Le vieux Rouergue, Les éditions de Paris. Max Chaleil, 2005

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