« Faire comme l’oiseau ». Jean-Marie Le Bris
Foi et persévérance. Deux mots qui résument à eux seuls la vie et l’action d’un homme qui crut toute sa vie qu’il pourrait voler. Se remettant sans cesse à l’ouvrage ; dépassant les échecs et les sarcasmes et, têtu comme un Breton, ne renonçant jamais malgré de faibles moyens financiers. Un autodidacte qui apprend sur le tas. Et tout d’abord, à bâbord et à tribord, sur les grands voiliers, observant les vastes oiseaux des mers planant dans l’azur à l’occasion de ses nombreux périples sur toutes les mers du Monde : « L’homme, la nacelle, le vaisseau aérien doivent se modeler sur ce qu’il y a de plus grand dans la nature… écrit-il. Les grands volatiles ne font aucun effort ; ils se livrent à la brise qui les porte d’autant mieux qu’elle est plus fraîche. Ils s’assoient sur l’air agité, les ailes étendues, et puis, une fois soutenus, les moindres battements leur suffisent pour se diriger dans tous les sens. Voler, c’est glisser. Ils montent comme des cerfs-volants, par un glissement ; ils descendent aussi le plus souvent en glissant, mais à la faveur de leur poids. Veulent-ils être entraînés par le vent ? Ils mettent leurs ailes en éventail. Enfin, ils gouvernent par la combinaison de leurs trois moyens : le poids, les ailes et la queue. »
Retour sur la terre ferme. Le marin profite de ses escales dans son pays de Trefeuntec, près d’Anne-la-Palud, pour mettre en pratique ses observations. Dans un hangar loué par un fermier, il construit étape après étape, un oiseau artificiel, « une barque ailée », d’une quinzaine de mètres d’envergure dont Gaston Decoop, dans la revue Icare, nous fournit les détails techniques : « En marin averti, Le Bris avait apporté un soin particulier à la réalisation des commandes. Le fuselage, car c’en était un, avait la forme d’une barque profilée, d’où partaient deux longerons formant bord d’attaque, haubanés par des cordelettes ; les nervures raidissant la toile de revêtement des ailes étaient constituées par des baguettes souples. Les longerons étaient raccordés, dans le fuselage, à deux leviers horizontaux que le pilote manœuvrait, soit en tirant soit en poussant ; dans ces mouvements, les longerons travaillaient en torsion, donnant aux ailes une incidence variable, en même temps que les extrémités de celles-ci pouvaient avancer ou reculer, tendant la voile de revêtement, ou la détendant, prenant le vent pour monter, ou l’effaçant pour descendre. Des ressorts compensateurs facilitaient la manœuvre et réduisaient l’effort dans la main. Le pilote se tenait debout et actionnait ses leviers comme un rameur. »
Le temps est alors venu pour Le Bris d’expérimenter la fiabilité de son engin. Mais à la différence de ses illustres prédécesseurs, il décide de décoller depuis le sol et non d’une hauteur. C’est ainsi qu’un jour de décembre 1856, un étrange cortège se met en marche, formé d’une charrette conduite par le fermier et tirée par un cheval sur laquelle ont pris place Jean-Marie Le Bris et son oiseau artificiel, le tout encadré par deux hommes chargés de protéger la pointe des ailes d’éventuels contacts avec des buissons. Le cheval s’élance, prend le trot puis le galop. Comme prévu, l’engin et Le Bris décollent pour atteindre une altitude de cent mètres. Mais au sol, tout ne se passe pas aussi bien que dans les airs. En s’élevant, l’oiseau a entraîné le fermier, pendu à une ficelle, obligeant Le Bris à atterrir précipitamment. Mais le succès est quand même au rendez-vous. L’oiseau a décollé, reste désormais à le perfectionner. Il s’attelle à cette tâche avec la même assiduité que pour sa construction. Entre deux escales, car le marin n’abandonne pas la mer, il dépose le brevet de son invention le 8 mars 1857 avant de tenter une nouvelle expérience, en public cette fois, mais en partant d’une hauteur. Patatras ! L’oiseau s’élance avec son conducteur, semble planer quelques secondes puis part en piqué avant de s’écraser au sol. Par chance, Le Bris s’en tire avec quelques contusions et une jambe fracturée.
Pas de quoi mettre un drap de deuil sur quinze années de recherche et d’efforts. Et tant pis si l’inventeur passe pour un illuminé : « Il y a 10 ans, écrit-il, je quittais la marine et fis mes premières expériences qui m’ont complètement satisfait mais, comme mes idées étaient trop prématurées, j’ai dû les abandonner car j’avais contre moi toute ma famille et mon pays, et mes idées paraissaient extravagantes. »
A Paris, la Société d’Encouragement de l’Aviation vient de se créer. Le Bris, qui a autant les pieds sur terre que sur mer, prend son bâton de pèlerin et monte à la capitale pour présenter son invention et surtout obtenir des moyens financiers pour construire une seconde machine volante. Le Bris n’en revient pas les poches pleines mais l’Empereur lui apporte son soutien tandis que la marine impériale met à disposition ses ateliers de charpentage. De quoi lui assurer une certaine sérénité. D’ailleurs, la machine volante est déjà prête en février 1868 ! Mais, pour se produire en public, l’argent manque, l’obligeant à lancer une souscription. Le spectacle peut commencer ! Ce jour-là, les conditions atmosphériques sont instables et Le Bris hésite à décoller. Mais le public accouru en veut pour son argent et ne se contentera pas d’un vol au rabais. Le Bris ne peut plus reculer. Il s’élance, s’élève de quelques mètres et parcourt une trentaine de mètres avant de se poser. La foule gronde. Le Bris refuse de redécoller. Ce sera son dernier essai public. Désormais, il se consacre à l’amélioration de sa machine pour la faire voler sans pilote. Une première tentative, suivie d’une seconde tentative et l’oiseau s’écrase au sol, tel un albatros sur le pont d’un navire. Ce sera la dernière. La guerre de 1870 éclate. Le Bris, en patriote, s’engage avant de revenir à Brest comme officier de police. C’est dans cette fonction qu’il est un jour roué de coups par des malfrats. Il ne s’en remettra pas et décède le 17 février 1872.
L’Histoire ne sera pas tendre avec lui. Techniciens de l’aéronautique et historiens jetteront le doute sur ses tentatives de vol et donc sur le fait d’avoir été le premier homme à accomplir un vol plané en partant du sol. Pour les premiers, tel que décrit dans le brevet, « la barque ailée » ne pouvait pas voler. Quant aux seconds, l’absence de documents et de témoignages vient étayer leur doute. Le Bris n’est toutefois pas complètement ignoré. L’Aéro Club de France lui a rendu hommage en 1998 sur les Champs Elysées lors de son centenaire en présentant un modèle de l’Albatros tandis qu’un collège et lycée porte son nom à Douarnenez.


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