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François Chabot. Ou la mauvaise réputation

Le 16 germinal an II, trois « diligences à trente-six portières » quittent, sous un ciel maussade, la prison de la Conciergerie. Il est 4 heures de l’après-midi. Sur toute la longueur du parcours, le peuple s’est agglutiné pour voir passer les condamnés. Danton, Camille Desmoulins et leurs amis, juchés sur les plates-formes, n’en croient pas leurs yeux. Depuis l’arrestation de Chabot à son domicile, une nuit de frimaire an II à leurs condamnations à mort par le Tribunal révolutionnaire, tout a été si vite. Trop vite !

Debout, Camille Desmoulins et Chabot pleurent. Danton est trop rempli de haine et de fierté pour s’apitoyer sur son sort. Il n’en veut qu’à Robespierre, ce fossoyeur de la Révolution qui les envoie à l’échafaud pour s’arroger le droit de gouverner seul. De l’amitié à la haine, le chemin est si court. Déjà, la guillotine se profile devant eux, avec sa grâce honteuse de monument funèbre. La foule est énorme, jaillissant par paquets des fenêtres et des toits pour voir tomber les têtes. Desmoulins et Chabot n’auront même pas le temps de sécher leurs larmes. Le bourreau les a déjà jetés sur la planche à bascule. Danton est le dernier à monter les marches de l’échafaud.

La pluie efface déjà les dernières traces de sang de la place de la Révolution quand les corps décapités des condamnés sont jetés dans le charnier anonyme des Errangis. Plus jamais, Fabre d’Eglantine ne chantera : « Il pleut, il pleut, bergère »…

François Chabot naît le 23 octobre 1756, fils d’un cuisinier et d’une mère que des langues bien pendues, trop peut-être, s’ingénient à présenter comme ayant mauvaise réputation. Pour un enfant du peuple doué pour les études, revêtir la soutane représente le meilleur moyen pour prétendre sortir de sa condition. A l’âge de dix ans, le jeune François entre donc naturellement au Collège royal de Rodez. La réputation de l’établissement n’est plus à faire. Une voie toute tracée dans les ordres attend notre « marmot ».

D’abord novice chez les Capucins de Toulouse, Chabot est ordonné prêtre à Béziers où il termine ses classes. Cette charge convient difficilement à son esprit provocateur. Dès son arrivée, il brave la fureur des prêtres et des moines de la cité biterroise en dispensant des cours de mathématiques aux enfants de la communauté protestante.

De Béziers, on l’envoie à Rodez puis, de nouveau, il rejoint Toulouse. Boudant les homélies, il préfère de loin fréquenter les salons bourgeois où il a tout loisir, malgré sa robe, de trousser les jupons qui le frôlent de trop près. Les frasques de Chabot ne tardent pas à venir aux oreilles de l’évêque de Rodez. L’attitude de son poulain est inqualifiable. En 1788, il l’oblige à quitter le froc.

Vient la Révolution. François Chabot est jeune, libre et rempli d’ambitions. Le meilleur moyen de parvenir au sommet est de se faire élire. Député du Loir-et-Cher sous la Législative, son talent d’orateur ne tarde pas à enflammer l’auditoire passionné du Club des Cordeliers.

« N’oubliez jamais, citoyens ! pérore-t-il un jour à la tribune, que Jésus-Christ fut le premier sans-culotte. »

Critiquant l’entourage de la Reine, il est arrêté mais ressort quelques jours plus tard, libre. Les Cordeliers lui font un triomphe. Dans ce contexte, Chabot n’oublie pas, le 17 janvier 1793, de voter la mort du roi à la tribune de la Convention.

A la fin du mois de mars 1793, avec Jean-François Bo, originaire de Mur-de-Barrez, il rejoint l’Aveyron pour mater la contre-révolution qui germe depuis plusieurs mois dans le département. Dès leurs prises de fonction, les deux hommes convoquent les autorités. Chabot les incite à faire preuve de la plus grande sévérité.

« Il faut nourrir le peuple, s’exclame Jean-François Bo. Un citoyen qui possède cinquante charretées de blé mérite la lanterne. »

Les deux commissaires ne font pas que parler. Ils agissent ! Une taxe révolutionnaire et des comités de surveillance par district sont créés. Alors que les riches propriétaires accumulent les stocks de blé, le peuple manque cruellement de pain. Bo et Chabot n’hésitent pas. L’armée fait ouvrir les greniers tandis que les spéculateurs sont jetés en prison. A Rodez, Chabot assiste à la première exécution à la guillotine, le 30 mars 1793, le front ceint d’un chapeau qu’ombrage un panache. Son sabre à la taille traîne à terre. Au peuple et aux autorités rassemblées, il déclare :

« La Patrie est sauvée, et par la force des armes et par la force de l’esprit public. »

Le 8 avril 1793, il signe l’acte qui oblige les mairies à faire descendre les cloches des églises des villages suspects. Les deux commissaires se chargent ensuite de recruter les volontaires pour l’armée, parcourant sans répit le département.

Le 27 mai 1793, Chabot est de retour dans la capitale. Marié en septembre 1793 avec une jeune fille de seize ans, il spécule avec Fabre d’Eglantine, Delacroix et quelques autres, sur les biens de la Compagnie de commerce, supprimée par décret de la Convention. Hébert évente l’affaire. Mal lui en prend ! Robespierre profite de la rivalité entre les Indulgents et les Hébertistes. Il envoie d’abord ces derniers à l’échafaud puis fait emprisonner Chabot, Danton et leurs acolytes pour malversation.

La fin est proche ! Chabot l’a compris. Le 21 ventôse, il tente de se suicider mais se rate lamentablement. Le procès qui s’ouvre le 2 avril est honteux, truqué. L’avocat de Chabot, désigné d’office, se fait même remarquer en applaudissant des deux mains à la condamnation de son client.

La nouvelle de l’exécution parvient en Aveyron les jours suivants. Elle ne déclenche aucun mouvement d’hostilité. Aujourd’hui, en Aveyron, Chabot conserve l’image d’un être corrompu et sans pitié, symbole de la Terreur. Dans la galerie des Illustres de la mairie de Saint-Geniez, nulle trace de son portrait. Dans sa ville natale, Chabot a toujours mauvaise réputation.

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