Georges-Jean Painvin, l’homme perceur de code
Nous sommes en 1968. Cinquante années se sont écoulées depuis l’armistice de la Grande Guerre. Un demi-siècle durant lequel le secret militaire a été tenu secret concernant les travaux effectués par le Service des Chiffres chargé de décoder les informations de l’ennemi. Pourtant, ce jour-là, une drôle de surprise attend le colonel Fritz Nebel. Devant lui, pour la première fois, l’ex-capitaine français Georges-Jean Painvin lui révèle une information bouleversante : « C’est bien moi, en 1918, qui est déchiffré votre code ADFGXV, permettant à l’armée française de stopper l’offensive allemande vers Paris. » L’officier n’en croit pas ses oreilles, lui qui est resté convaincu jusqu’à ce jour que son code était resté vierge.
Mais revenons en arrière ! En août 1914, les déclarations de guerre bouleversent le quotidien de millions d’Européens appelés à combattre sur les fronts. Georges-Jean Painvin est alors âgé de 28 ans. Une brillante carrière s’offre à lui que rien ne semble devoir freiner. Issu d’une famille de scientifiques nantais, il a brillé autant à l’Ecole Polytechnique d’où il est sorti au second rang de sa promotion qu’à l’Ecole des Mines de Paris. Il enseigne alors la paléontologie à l’Ecole des Mines de Saint-Etienne avant d’intégrer celle de Paris. La guerre déclarée, il rejoint le Quartier Général de la VIe Armée du général Maunoury, stationnée à Villers-Cotterêts, en qualité d’officier d’ordonnance. Bien plus tard, il avouera combien ces études ont forgé l’homme et l’esprit : « J’ai toujours pensé en effet, écrit-il, que si j’ai pu, pendant la guerre 1914-1918, rendre quelques services à notre pays en décryptant les télégrammes chiffrés allemands transmis par la voie des ondes, je le devais à la double formation que j’avais reçue… de notre grande école…, car c’est à la conjugaison des sciences exactes et des sciences d’observation que je dois d’avoir pu réaliser les découvertes dont cette cérémonie marque le couronnement… »
Le jeune homme est curieux de tout. Aussi, quand il rencontre le capitaine Paulier, chargé dans son régiment de déchiffrer les informations ennemies, il se passionne aussitôt pour cette science des chiffres. Au point que quelques mois plus tard, le 21 janvier 1915 exactement, il fait parvenir au Service des Chiffres, un mémoire qui permet de trouver la clé du chiffre au bout de seulement un message alors qu’il en fallait trois jusqu’alors. Un gain de temps important qui peut faire pencher la balance du côté de l’armée française.
Le Service des Chiffres, appelé cabinet noir, est spécialisé dans le déchiffrement des correspondances codées. A la déclaration de guerre, la France possède cinq bureaux centralisés dans cinq ministères différents : la Marine, les Affaires étrangères, l’Intérieur, les Postes et Télégraphes et la Guerre dans lequel est versé Georges-Jean Painvin.
Au Service des Chiffres donc, le colonel Cartier est impressionné par le mémoire du capitaine Painvin. Aussi n’hésite-t-il pas à lui proposer d’intégrer son service dans lequel son extraordinaire perspicacité trouverait un terrain favorable à l’épanouissement. Refus poli du général Maunoury trop enclin à profiter du travail de son collaborateur. D’autant plus que Georges-Jean Painvin apprécie son supérieur. Finalement, le ministère de la Guerre aura raison de l’entêtement du général. Voilà donc notre polytechnicien missionné pour résoudre les problèmes cryptographiques réalisés par les Allemands. Il y consacre la majorité de son temps. La nuit même, quand le jour n’éclaire pas suffisamment son esprit. Epuisement physique et moral qui s’efface, pour lui, devant le devoir à la Patrie. De 1914 à 1918, il parvient ainsi à décrypter quelques 240 messages allemands et autrichiens.
En mars 1918, la guerre entre dans un tournant. La Révolution russe a bouleversé les données sur le front Est, permettant aux forces de l’Axe de déplacer des troupes sur le front Ouest. D’autant plus que l’entrée en guerre des Etats-Unis et l’arrivée imminente des troupes américaines en Europe incitent l’Allemagne à abandonner la guerre de position pour une guerre de mouvement dont l’objectif final est la prise de Paris. De la fin mars au début mai, les obus tombent sur la capitale, semant la peur et la confusion d’une défaite dans les esprits.
Dans son bureau du Service des Chiffres, Georges-Jean Painvin n’a de cesse de travailler sur un nouveau code créé par les Allemands, baptisé ADFGX. Le déchiffrer permettrait au commandement français d’anticiper les mouvements des troupes ennemies et donc d’assurer une défense plus efficace. Après plusieurs semaines d’insomnie, gagné par la fatigue, le polytechnicien découvre le code. Mais il n’est pas au bout de ses peines quand, le 1er juin, il apprend que les Allemands ont complexifié le code en y ajoutant une sixième lettre : le V.
Tout est à refaire alors que l’ennemi est aux portes de Paris. Le colonel Cartier est abasourdi. « Mon pauvre Painvin, lui dit-il, je crois que cette fois vous n’en sortirez pas. » Le temps presse. A la première surprise répond la volonté d’un homme qui a foi en la victoire. Sans dormir, ne cédant jamais au découragement malgré l’épuisement qui le gagne, il parvient au bout de 48 heures à faire sauter le secret du code allemand. Désormais, les télégrammes allemands interceptés peuvent être déchiffrés. L’un d’eux, le 1er juin, se révèle essentiel dans la suite de la guerre. Un message destiné à une unité de Tilloloy, près de Remaugis, à l’est de Montdidier, envoyé depuis le Quartier Général ennemi : « Hâtez-vous l’approvisionnement en munitions, le faire même de jour tant que l’on n’est pas vu. »
Ce que l’Histoire retient sous le titre de « Radiogramme de la Victoire » permet à l’armée française, sous la direction du général Mangin, de se concentrer sur le secteur désigné et de stopper l’offensive allemande déclenchée le 9 juin, avant une contre-offensive qui oblige les Allemands à reculer. Le début de la victoire ! A ce titre, la découverte de Georges-Jean Painvin est capitale. Ce qui fait dire à l’écrivain H.O. Yardley que « le capitaine Georges Painvin, le plus grand expert en code qu’ait eu la France, génie analytique de premier ordre, avait une manière de résoudre les messages en code qui tenait de la sorcellerie »…
La guerre terminée, après quelques mois de repos bien mérités, sa santé chancelante, Georges-Jean Painvin reprend son activité de professeur de paléontologie à l’Ecole des Mines de Paris avant d’entamer une carrière comme dirigeant de grandes entreprises françaises (président de l’union des industries chimiques, de la bourse de commerce de Paris, du crédit commercial de France, président d’Ugine…) Ces différentes fonctions, durant la période vichyste, lui valent d’être inquiété à la Libération. Sous le coup de deux instructions, il passe devant la cour de justice de la Seine et le Comité national interprofessionnel d’épuration. Le 12 décembre, il démissionne de la présidence d’Ugine. Dégagé de la plupart de ses fonctions dirigeantes, il s’installe à Casablanca pour prendre la direction de l’Omnium nord-africain et de plusieurs autres sociétés. Il retourne en France en 1962, la même année, après plus de cinquante ans de secret militaire, durant laquelle est révélé au grand public l’exploit du décryptage du « Radiogramme de la Victoire », par un article paru dans la Revue de l’Armée de terre.
Le polytechnicien, qui a reçu la Légion d’honneur en juillet 1918, s’éteint à Paris en janvier 1980 à l’âge de 94 ans. Lui dont Clemenceau a dit qu’il valait un corps d’armée.


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