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Georges Rouquier. Les quatre saisons du cinéma

Deux temps : 1947 et 1984. Deux lieux : Farrebique et Biquefarre, deux corps de ferme voisins, près de Goutrens, entre Rodez et Rignac. Et surtout quatre saisons rythmées par les travaux des champs. Les deux œuvres majeures de Georges Rouquier, né à Lunel-Viel près de Montpellier, le 23 juin 1909, d’une mère héraultaise mais d’un père aveyronnais, que la guerre de 14-18 ne rendra pas à sa famille. Georges Rouquier est âgé de 7 ans quand il quitte le chef-lieu héraultais pour retrouver ses cousins aveyronnais à la ferme de Farrebique. Le choc des images pour le garçonnet, habitué à la vie urbaine, à la foule déambulant sur les avenues ou aux locomotives crachant leur haleine âcre. A Farrebique, le quotidien se nourrit du travail de la terre et des soins apportés aux bêtes. Ici, les paysages changent d’une saison sur l’autre en fonction des cultures et du temps. Georges Rouquier n’oubliera pas ces quelques mois passés en Aveyron.

En attendant, le voici de retour à Montpellier au foyer maternel. Une scolarité studieuse qui l’amène au certificat d’étude à l’âge de 13 ans avant une embauche comme linotypiste. Ses quelques temps libres, Georges Rouquier les passe dans les salles de cinéma ou à sortir en compagnie de sa cousine Renée, élève des Beaux-Arts et petite amie d’un dessinateur humoristique encore inconnue : Albert Dubout.

Pour ces deux-là, Paris représente la porte d’entrée pour une carrière artistique. Sans oublier le cousin qui finit par les rejoindre dans la capitale en novembre 1925. Georges Rouquier a 16 ans. Employé comme linotypiste à Paris-Soir, il enrichit ses connaissances en traquant les films-culte  qui fleurissent dans les salles du Quartier Latin. Dans les Ciné-Clubs, il rencontre des gens qui comptent dans ce milieu, dont Maurice Bessy (Directeur de la revue « Cinémonde ») qui s’attache à ce jeune passionné de l’image. Aussi finit-il par passer de l’autre côté de la caméra en s’achetant une « Sept Debrie ». Elle assurera son premier court-métrage, « Les Vendanges », tourné dans les vignes de son oncle. Le début d’une carrière cinématographique riche d’une quinzaine de films dont : LE TONNELIER. 1942. Court-métrage en hommage au métier artisanal. LE CHARRON. 1943. Documentaire. FARREBIQUE. 1946. Premier long métrage, quatre fois primés. PASTEUR. 1947. Documentaire (réalisé avec J. Painlevé). LE CHAUDRONNIER. 1949. LE SEL DE LA TERRE. 1950. Document sur la Camargue. SANG ET LUMIERE. 1954. Long métrage en couleurs, adapté du roman de J. Peyré, prix Goncourt. ARTHUR HONNEGER. 1955. Documentaire (Grand  Prix du film d’Art, à Venise en 1957). LOURDES ET SES MIRACLES. 1955. Long métrage. LA BETE NOIRE. 1956. Documentaire sur le sanglier. S.O.S. NORONHA. 1957. Long métrage avec Jean Marais et Jean Ivernel. LE MARECHEL-FERRANT. 1976. César du court-métrage en 1977. BIQUEFARRE. 1983. Long-métrage en couleurs.

Mais le succès, Georges Rouquier le connaît en 1947 avec la sortie de Farrebique. Dans l’immédiat après-guerre et au temps du rationnement, une équipe de tournage descend de Paris pour un long métrage sur le thème des quatre saisons. Quand le producteur Etienne Lallier          lui a soumis cette proposition, Rouquier a aussitôt pensé à la famille de son père dont chacun des membres sera les acteurs du film.

Douze mois sont nécessaires pour le réaliser. Dans ces années de rationnement d’après-guerre, Georges Rouquier n’a pas eu de mal à entraîner ses amis parisiens dans cette province perdue où l’on se nourrit sainement, loin des restrictions alimentaires. Mais bien des surprises attendent ces citadins habitués au confort urbain. Ils restent pantois devant les lampes à pétrole, les chambres sans chauffage et sans eau courante. Le pire, pour eux, étant de gagner – quand le besoin s’en fait sentir – les « tinettes » rustiques séparées de la chambrée par les appentis où somnolent les volailles. Ces va-et-vient déclenchent des caquetages peu appréciables en pleine nuit ! Au point que les Parisiens ne disent plus « aller aux chiottes » mais « aller aux oies » !

Faire jouer des amateurs,  trouver le bon moment pour filmer les bêtes tout en respectant le travail quotidien n’est pas chose aisée. On imagine les contraintes que Georges Rouquier impose à la vie familiale sans cesse perturbée par les exigences du tournage. Ainsi, un beau jour, le grand-père Rouquier admire une vache qui, chaque matin à l’étable vous salue, dès qu’on la fait lever, en dressant sa queue en l’air avant d’uriner généreusement. Un matin, le cadreur André Dantan se lève tôt pour saisir ce rituel peu banal. En présence de la caméra, la bête refuse de s’exécuter. Plusieurs jours durant, l’équipe technique doit se lever  plus vite que le soleil avant de réussir le plan tant espéré.

Enfin, le 11 février 1947, Farrebique sort sur les écrans. Le comité du festival de Cannes songe à intégrer le film dans sa sélection. Mais la voix du critique Henri Jeanson aura raison de leur volonté. Le film est quand même projeté à Cannes hors compétition. Et heureuse vengeance, Farrebique est couronné du Prix de la Critique Internationale.

A Paris, le film connaît une avant-première triomphale à l’Opéra de Paris où il est exceptionnellement présenté. Les réseaux de l’Amicale des Aveyronnais de Paris et le soutien du président du Conseil Paul Ramadier ont bien fonctionné.

Les années suivantes, Farrebique connaît un véritable succès dans les universités américaines où il est considéré comme un documentaire ethnographique sur le monde rural français.

Georges Rouquier revient poser sa caméra dans l’Aveyron, 37 ans plus tard, en 1983, pour tourner Biquefarre. Les plus âgés des acteurs de Farrebique ont disparu. Mais c’est surtout les changements intervenus dans l’agriculture qui sont mis en avant et plus encore son avenir. A la Mostra de Venise, l’année suivante, Biquefarre remporte le Grand Prix spécial du jury, scellant cette saga du monde rural.

Georges Rouquier disparaît cinq ans plus tard, le 19 décembre à Paris.

A Goutrens, un espace Georges-Rouquier voit le jour en 2000, rendant hommage à l’œuvre du « père du documentaire ».

A lire :

AUZEL, Dominique, Georges Rouquier : cinéaste poète & paysan, Editions du Rouergue, 1993

AUZEL, Dominique, de Farrebique à Biquefarre, Petite bibliothèque des Cahiers du Cinéma, 2002

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