Guillaume Rolland. Le clairon de Sidi-Brahim
Son illustre clairon et ses décorations trônent toujours dans l’église de Lacalm pour perpétuer sa mémoire. Passé prestigieux mais humble que celui de Guillaume Rolland, né aux Buffières, petit hameau de la commune de Lacalm, sur les hauteurs de l’Aubrac, le 18 septembre 1821. En juillet 1842, devenu un robuste gaillard, il part accomplir son service militaire… direction Tlemcen, dans l’Oranais algérien, proche de la frontière marocaine, sous les ordres du père Bugeaud, le fameux maréchal à la casquette.
C’est au sein du 8ème qu’il acquiert le titre de clairon du régiment. Nous sommes en 1843. Durant des mois, il parcourt avec son régiment les monts de Tlemcen et les paysages désolés de Lalla-Maghrina à la recherche d’une smala insaisissable dirigé par un chef charismatique, Abd el-Kader. Au cours de l’été 1845, le régiment de Rolland cantonné au poste fortifié de Djemma-Ghazouat est placé sous les ordres du lieutenant-colonel De Montagnac.
Ce dernier apprend que l’émir se trouve, en personne, dans le secteur pour contraindre la tribu des Souhaléa (fidèles à la France) de rallier la rébellion. De Montagnac ne veut pas rater l’occasion de capturer l’émir. Mais pour être certain de ne pas partager un tel honneur, il décide d’agir sans consulter l’état-major.
Le 21 septembre, le lieutenant-colonel part à la tête d’un contingent solidement armé. L’officier veut agir par surprise en opérant le déplacement à la faveur de la nuit pour éviter la chaleur diurne et passer inaperçu. Il faut donc renoncer à l’artillerie dont les convois, trop bruyants, ne peuvent se mouvoir qu’au grand jour sur les pistes chaotiques du bled.
Deux nuits sont nécessaires pour atteindre le marabout de Sidi-Brahim, poste à partir duquel on pourra développer l’opération contre l’émir. Parvenu au but, De Montagnac organise le bivouac avant de partir en reconnaissance à la tête d’une colonne forte de trois cent cinquante chasseurs à pied et d’une soixantaine de hussards à cheval.
Soudain, l’escouade tombe dans une embuscade. Guillaume Rolland raconte : « À Sidi-Brahim, la cavalerie arabe parvint à nous cerner et à prendre les derniers survivants de notre colonne. Blessé, je vis les Arabes couper les têtes de mes camarades prisonniers. On nous conduisit devant Abd el-Kader qui était assis sous un olivier, les pieds posés sur un tapis épais (sic). Cependant, une poignée de survivants résistait dans le marabout de Sidi-Brahim. C’est alors que l’émir m’ordonna, à moi clairon, de sonner la retraite. Et au lieu de ça, j’ai sonné la charge ! »
Le clairon Rolland vient d’entrer dans la légende. Mais on imagine le sort qui peut lui être réservé : « Pendant trois jours et trois nuits après le massacre, la soif m’a tenaillé plus que la faim. Presque nu, j’étais enfermé dans un gourbi où l’on me traitait comme un bourricot. On se disputait ma tête. L’un voulait la couper, l’autre la rapporter à Abd el-Kader pour gagner six francs ! »
Finalement, Rolland réussit à s’échapper de son gourbi. Il marche durant trois nuits avant d’être emmené par un Marocain qui le vend pour 12 francs à un autre marchand qui finit par le remettre aux autorités françaises pour toucher la prime.
Libéré, Rolland retourne dans le djebel, continuant le combat contre les forces d’Abd el-Kader. En tant que clairon 1ère classe, il reçoit la Légion d’honneur sur l’insistance du général Bugeaud.
Alors que les rebelles d’Abd el-Kader finissent par mettre bas les armes face au général Lamoricière aux derniers jours de l’année 1847, Rolland est rapatrié en France, dans la région toulousaine. C’est dans la ville rose qu’il apprend qu’Abd el-Kader, fait prisonnier, est en résidence surveillée à Pau. Aussitôt, il demande à ses supérieurs de pouvoir le rencontrer. Rendez-vous imprévisible entre le modeste Aveyronnais et le chef emblématique de la lutte contre l’occupant français. Dont la conclusion de la bouche de Rolland tient en une phrase : « Au fond, Abd el-Kader n’était pas méchant ! »
Libéré de ses obligations militaires, le 31 décembre 1848, Guillaume Rolland regagne son Aubrac natal, quitté six ans plus tôt. Un poste de facteur en poche qui lui convient à merveille, arpentant les monts pour distribuer le courrier comme il courait le djebel à la recherche des rebelles. Plus tard, le facteur troquera sa casquette des Postes pour celle de garde-chasse. Les braconniers n’ont plus qu’à bien se tenir, lui qui raconte aux veillées qu’il a abattu vingt rebelles à l’occasion d’un seul combat.
Viendront le temps des honneurs et de la reconnaissance. Grâce à l’initiative du général de Castelnau, vingt-huit mille chasseurs à pied se cotisent dans toute la France pour couvrir les frais de la Croix d’officier de la Légion d’honneur ! Croix que De Castelnau lui remet le 31 août 1913 à la faveur d’une immense cérémonie à Lacalm dont il nous reste de nombreuses cartes postales. Sa popularité devient nationale en août 1914 quand, à l’initiative de l’Amicale des Rouergats de Paris, alors que l’orage gronde sur l’Europe, devenu en quelque sorte le symbole du patriotisme, le clairon Rolland monte à Paris, invité d’honneur au banquet annuel présidé par le Président de la République. Raymond Poincaré porte un vibrant toast à Rolland « qui mérite de figurer au premier rang de la liste des soldats de France et qui, sous le soleil d’Afrique, vivifia constamment par l’amour de sa Province, son amour pour la Patrie ».
Le héros de Sidi-Brahim meurt, en août 1915, dans sa maison natale de Buffières. Il repose au cimetière de Lacalm. En 1948, une stèle à sa mémoire, œuvre du sculpteur Arsal, est inaugurée dans un petit parc à la sortie du village, en présence de Paul Ramadier, alors président du Conseil.
A lire :
GINISTY, Jean, Le Clairon Rolland, dernier survivant de Sidi-Brahim, Imprimerie topographique L. Aubert, Grenoble, 1914


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