Guillaume-Thomas Raynal. L’éclaireur des droits de l’homme
Voltaire, Montesquieu, Rousseau, Diderot. Ils sont quatre, comme dans les Trois Mousquetaires, pourfendeurs de l’absolutisme et de l’autoritarisme dont les esprits et les écrits ont éclairé le XVIIIème siècle. Mais l’Histoire, cette veilleuse du temps passé, si bienveillante de reconnaissances humaines, engendre pareillement l’oubli et estompe les renommées établies. Il en est ainsi de Guillaume-Thomas Raynal, longtemps effacé du cercle littéraire et philosophique du Siècle des Lumières avant d’être enfin reconnu en toute fin du siècle dernier par la persévérance de Gilles Bancarel et de François-Paul Rossi.
Car, nul auteur de son époque ne fut plus connu et reconnu que l’abbé Raynal. Cette aura, il la doit principalement à la rédaction d’un ouvrage majeur en 10 volumes, perçu comme le best-seller du XVIIIème siècle, objet de cinquante rééditions : « Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les Deux Indes », critique du colonialisme et de l’esclavage mais aussi de ce que nous appelons aujourd’hui la mondialisation qui n’est autre que la marche du Monde vu par un homme dont « la vie, selon Gilles Bancarel, est à l’image de son œuvre : un vaste tourbillon… » Guillaume-Thomas Raynal écrit : « Il n’y a point d’événement aussi intéressant pour l’espèce humaine en général et pour les peuples d’Europe en particulier que la découverte du Nouveau Monde et le passage aux Indes par le Cap de Bonne-Espérance. Alors a commencé une révolution dans le commerce, dans la puissance des nations, dans les mœurs, l’industrie et le gouvernement de tous les peuples. C’est à ce moment que les hommes des contrées les plus éloignées se sont devenus nécessaires : les productions des climats placés sous l’équateur se consomment dans les climats voisins du pôle ; l’industrie du nord est transportée au sud ; les étoffes de l’orient habillent l’occident, et partout les hommes se sont communiqué leurs opinions, leurs lois, leurs usages, leurs remèdes, leurs maladies, leurs vertus et leurs vices. Tout est changé et doit changer encore… »
Car il faut suivre ce natif de Lapanouse-de-Sévérac, venu au monde le 12 avril 1713, à travers sa multitude de déplacements et de publications, pour cerner ce « disciple de la liberté » et comprendre son œuvre, reflet de ses pérégrinations à travers l’espace et le temps.
Son enfance, à Saint-Geniez-d’Olt, auprès d’un père riche négociant en étoffes et d’une mère issue de la moyenne noblesse, lui ouvre les yeux sur les méthodes commerciales. Vient ensuite ce parcours, presque commun à l’éducation d’un adolescent désireux d’apprendre : collège des Jésuites à Rodez puis noviciat à Toulouse qui l’amène en 1743 à l’ordination. Enseignant dans les collèges des Jésuites de Clermont, Toulouse et Béziers, le voici à Paris en 1746, prêtre de la paroisse de Saint-Sulpice mais aussi précepteur de plusieurs grandes familles.
D’un caractère peu enclin à supporter la rigueur ecclésiastique tant dans le quotidien que dans les idées, il quitte la Compagnie en 1747. Dès lors, il recherche le contact des hommes de lettres et de sciences, fréquentant assidument les salons dont il devient un personnage incontournable. Au point d’être remarqué par le duc de Choiseul, secrétaire d’état à la Guerre et à la Marine puis aux Affaires étrangères de Louis XV, qui lui confie la rédaction du Mercure de France, l’un des rares périodiques à paraître à cette époque. Deux livres (Le « Stathoudérat » et le « Parlement d’Angleterre ») paraissent entre 1747 et 1748, lui permettant des émoluments assez conséquents. Ce qui n’empêche pas Guillaume-Thomas Raynal de s’essayer, grâce à ses relations, aux spéculations du commerce colonial dont il connaît les pratiques et qui lui permettront en 1770 de publier à Amsterdam son « Histoire des Deux Indes », livre collectif auquel collabore notamment Diderot qui écrit sur l’esclavage : « Nous avons vu d’immenses contrées envahies & dévastées ; leurs innocens & tranquilles habitans, ou massacrés, ou chargés de chaînes ; une affreuse solitude s’établir sur les ruines d’une population nombreuse ; des usurpateurs féroces s’entr’égorger & entasser leurs cadavres sur les cadavres de leurs victimes. Quelle sera la suite de tant de forfaits ? Les mêmes, les mêmes, suivis d’un autre moins sanglant peut-être, mais plus révoltant : le commerce de l’homme vendu & acheté par l’homme. »
L’ouvrage interdit en France en 1772 puis déclaré « impie et blasphématoire », brûlé en place publique en 1781, octroie une grande notoriété à G.-T. Raynal mais l’oblige à s’exiler en Belgique, en Allemagne puis en Suisse, l’abbé ayant fait publier dans la dernière édition son portrait. Autorisé à rentrer en France en 1784, il s’installe d’abord à Saint-Geniez-d’Olt qu’il quitte pour Toulon puis Marseille.
Entre-temps sont parus plusieurs ouvrages : « Ecole militaire » (1762), « Histoire du divorce d’Henri VIII » (1763), « Epices et produits coloniaux » (1770) » et « Révolution d’Amérique » (1781).
Quand éclate la Révolution, il est le seul philosophe des Lumières encore en vie. C’est dire l’importance du personnage et de ses écrits au sein des nouveaux dirigeants. Malgré tout, il se refuse de se présenter comme député de Marseille aux Etats-Généraux de 1789, arguant de son âge. Quand surviennent les débordements civils et religieux, conservant sa liberté de parole, il n’hésite pas à critiquer le pouvoir de la même manière qu’il a critiqué la monarchie absolue. Il écrit à l’Assemblée Nationale : « …j’ai parlé aux rois de leurs devoirs, souffrez qu’aujourd’hui je parle au peuple de ses erreurs ». Guillaume-Thomas Raynal aurait pu finir sous le couperet de la guillotine sans son immense popularité. Une ignoble campagne de dénigrement menée par Robespierre le fera passer pour sénile. Nommé ensuite par le Directoire membre de l’Institut des sciences morales et politiques, nomination qu’il refuse, il s’éteint à Chaillot le 6 mars 1796.
Le 18 mai 2018, une allée Guillaume-Thomas Raynal, située place d’Iéna, est inaugurée à Paris XVIe.
A lire :
BANCAREL, Gilles, ROSSI, François-Paul, Guillaume-Thomas Raynal philosophe des Lumières, préf. Philippe Joutard, CRDP Midi-Pyrénées, 1996
BANCAREL, Gilles, GOGGI, Gianluigi, Raynal, de la polémique à l’histoire, Oxford, SVEC, 2000
BANCAREL, Gilles, Raynal ou le devoir de vérité, Paris, Honoré Champion, 2004


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