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Guiscard de La Bourlie. Le chimérique complot d’un aventurier

Le 19 mars 1711, à Londres, des agents de la Reine arrêtent un homme dans le parc de Saint-James avant de le conduire chez le secrétaire d’Etat Saint-John pour y être interrogé sur sa prétendue correspondance criminelle avec la France. Ce que l’individu nie avec force. Indigné par de tels propos, « il perdit toute possession de lui-même, et saisissant un canif, il s’élança sur le sous-trésorier Harley, et lui en porta plusieurs coups. A la vue de cet acte insensé, les membres du conseil tirèrent leurs épées pour défendre leur collègue et pour se protéger eux-mêmes contre ce forcené que rien n’était plus capable d’arrêter. Mortellement blessé dans cette lutte désespérée, l’abbé, saisi par les laquais accourus au bruit, fut remis par eux entre les mains des archers, qui le traînèrent aux prisons de Newgate. Là il refusa de laisser panser ses blessures et succomba au bout de neuf jours de souffrance, le 28 mars. »

Ainsi s’achève la vie rocambolesque de Guiscard de La Bourlie, abbé, marquis, comploteur et aventurier, sous la plume de Jules Chavannes (1869). Mais qui est donc cet individu et pour quelles raisons bien sombres a-t-il fini ses jours, âgé de 53 ans, en Angleterre, loin de la France et de son Rouergue natal ?

Personne ne s’étonnera qu’en tant que troisième fils du comte Georges de Guiscard de La Bourlie, très introduit à la cour de Louis XIV qui l’avait nommé lieutenant général, le petit Antoine soit naturellement promis à la fonction ecclésiastique. Une voie royale, pécuniairement s’entend, productrice d’excellents bénéfices à l’image de ceux de l’abbaye de Bonnecombe. Mais prières et sacerdoce ne font guère bon ménage avec son caractère ambitieux et frondeur, ajouté à une liberté d’esprit et de mœurs peu en accord avec sa charge. Quelle dérive l’amène à devoir s’exiler ? Pour les uns, il s’approchait d’un peu trop près de madame de Maintenon, la favorite du roi ; pour Jules Chavannes, l’enlèvement d’une demoiselle de la même Maintenon aurait précipité sa perte. Quoi qu’il en soit, voilà notre abbé défroqué exilé en Hollande, terre d’asile de réfugiés de tous bords. Un « melting pot » dans lequel La Bourlie se sent vite comme un poisson dans l’eau, s’alimentant avec ardeur de tous les mécontentements qui finiront par trouver leur estuaire, un siècle plus tard. Son imagination aidant, de retour en France, dans son manoir de Vareilles, il se met en tête de réformer cette monarchie vieillissante et minée de troubles, tentant de réunir sous sa bannière toutes les oppositions : paysannerie lassée des impôts trop lourds ; peuple fatigué par les guerres incessantes ; protestants obligés de se convertir ou de s’exiler ; noblesse et bourgeoisie désireuses de réformes. L’irritation dans le pays ne manque pas. Antoine de La Bourlie se sent une âme de chef, beau parleur et conciliateur, prêt à soulever le sud de la France pour faire tomber le régime et entamer des réformes. C’est d’ailleurs ainsi que débutent ses « Mémoires » : « La misere est montée à son dernier periode : le Roiaume épuisé par des exactions infinies d’hommes et d’argent, n’est plus desormais qu’une vaste et triste solitude : les larmes, les plaintes, les remontrances des peuples sont interdites, & punies meme comme autant de crimes et d’attentats : les Grands, qui seuls pouvaient s’oposer aux vexations, partageant les depouilles de la Nation, & le profit de la tyrannie ne songent qu’à l’affermir : un regne long & toût egalement dur ne permet pas d’esperer aucun adoucissement à nos peines, ni aucun terme à nos maux… »

Aussi, pour sortir de cette situation, il imagine d’exciter des troubles sous couleur de « tirer ses compatriotes de leur vile et abjecte condition », résultat qu’il espère obtenir en détrônant Louis XIV. Le terreau existe, à portée de cheval. La misère de la paysannerie rouergate certes mais surtout la révolte protestante qui embrase les Cévennes depuis la révocation de l’Edit de Nantes par Louis XIV, avec le soutien des puissances étrangères. Aussi, faisant preuve de tolérance religieuse, prône-t-il l’unité des catholiques et des protestants dans un consensus propre à souder les populations du sud du royaume.

Il s’abouche alors avec le chef des Camisards, Jean Cavalier, et tente d’organiser la révolte en Rouergue. « Nous, marquis de Guiscard, chef des mecontents de cette province, et protecteur de leur liberte, écrit-il dans ses “Mémoires”, ordonnons aux consuls de se soulever contre le roi ; d’envoyer quatre hommes bien armes, chacun avec une livre de poudre, une quantite equivalente de balles et quatre jours de vivres ; d’obeir au protecteur ; de refuser la capitation, & d’implorer au pied des autels les benedictions divines sur les conjures… »

L’échec est à la mesure de sa folle entreprise. Une seconde fois, Guiscard de La Bourlie s’enfuit hors de France pour s’installer en Suisse, tentant de rallier à sa cause et à celle des Cévennes, la Hollande, l’Angleterre et le duché de Savoie.

Le 15 juin 1704, une flottille anglo-hollandaise, avec à sa tête La Bourlie, quitte le port de Nice dans le but de débarquer à Aigues-Mortes et de faire la jonction avec les Camisards. De combat, il n’en sera pas, une forte tempête ayant bouleversé les plans établis. La Bourlie réussit à s’enfuir. Nouvelle tentative de conspiration en avril 1705 puis l’année suivante. La dernière. Le marquis se réfugie en Angleterre qui l’accueille favorablement, lui octroyant même une pension royale. C’est au moment où il tente une nouvelle expédition qu’il est arrêté. On connaît la suite ! Lui qui voulait libérer la France « gémissante dans les fers d’un dur et honteux esclavage », réduire « le pouvoir illimité du prince dans ses anciennes et légitimes bornes » et offrir aux citoyens «  les douceurs d’un honnête et solide repos » se trouvait en avance d’un siècle.

A lire :

BOUDOU, Jean, La chimère, Editions du Rouergue, 1995

DESPRATS, Jean-Paul, Trois gouttes de vinaigre ou la vie tumultueuse de Guiscard La Bourlie, 1658-1711, Perrin, 1997

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