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Hippolyte Coste. « L’abbé des âmes et des fleurs »

En ce jour du mois d’août 1899, deux hommes grimpent à travers l’amphithéâtre du cirque où se niche tout en contrebas le village de Saint-Paul-des-Fonts. Une chaleur lourde et poisseuse étouffe le paysage caussenard. Etrange duo, portant soutane et rabat, bâtons ferrés en mains, progressant malgré tout d’un pas décidé, en dépit de la pente raide et des pierres glissant régulièrement sous leurs chaussures cloutées. Un étranger s’étonnerait du matériel transporté, boîte de fer-blanc et presse à sangles. Pour les gens du pays, nulle crainte et interrogation. Leur abbé, Hippolyte Coste, flanqué de son collègue l’abbé Joseph Soulié, s’en va herboriser sur le plateau du Larzac, à la recherche d’une espèce rare.

Sans doute, à l’arrivée de leur nouveau curé (1894), les ouailles de Saint-Paul-des-Fonts se sont-ils un brin étonnées de cette manie qu’avait l’abbé à ramasser des fleurs, à les faire sécher puis à les ranger et à les étiqueter comme un véritable trésor. Quand on vit au quotidien de la nature, de telles richesses restent parfois imperceptibles. Bref, un abbé de trente-six ans bien différent du précédent dont l’âge avancé avait autorisé une retraite bien méritée.

Cinq années s’étaient écoulées au cours desquelles ses paroissiens n’avaient eu qu’à se louer de son esprit bienveillant, de son humanisme et de son érudition dans de vastes domaines au-delà de la botanique. Comme l’abbé se révélait aussi pointilleux dans l’exercice de son sacerdoce que dans la classification de ses planches, les habitants de Saint-Paul-des-Fonts l’avaient vite surnommé « le curé des fleurs ».

Dans une période où « Rouges » et « Culs-blancs » se chamaillent sur la question de l’enseignement laïque, l’abbé Coste fait aussi fi de ces querelles partisanes, voisinant en bonne intelligence avec l’instituteur. Bref, l’âme de ses paroissiens n’avait guère plus de secrets pour l’abbé que l’esprit de ses fleurs dont l’émerveillement le suivait depuis sa tendre enfance.

En 1958, au Mas d’Estoussiès, petit hameau de la commune de Balaguier-sur-Rance, dans la ferme de Jacques Coste, naît le premier rejeton de la famille, prénommé Hippolyte. Une voie toute tracé pour l’aîné. Quelques bribes d’étude pour apprendre à lire, à écrire et à compter avant de succéder au pater familias. Un ordre des choses quasi immuable dans le monde rural aveyronnais de ce temps. Sauf que le petit Hippolyte est un gamin curieux et doué, ce qui n’échappe pas à l’instituteur communal. Du coup, voilà le jeune garçon, âgé de douze ans, dirigé vers le Petit séminaire de Belmont-sur-Rance, avide d’apprendre et de savoir. Plus particulièrement les sciences. Une étape primordiale au contact de son professeur de sciences naturelles et pour la découverte de la botanique. Une passion qui ne le lâchera plus. A douze ans, n’a-t-il pas déjà collecté 800 espèces pour son premier herbier !

En attendant sa nomination à Saint-Paul-des-Fonts, le jeune Coste s’en va faire ses études au Grand séminaire de Rodez. Agé de vingt ans, si Hippolyte n’est pas rétif à la discipline ecclésiastique, il ne supporte guère le cadre trop rigide de l’institution religieuse, trop éloigné de son esprit rêveur. La théologie certes mais en harmonie avec la nature et les plantes. Le besoin d’herboriser plus fort que les réprimandes l’incite plus d’une fois à la fugue bocagère dans la campagne ruthénoise.

Ordonné prêtre en 1884, après un bref passage comme professeur de latin à Saint-Joseph de Villefranche-de-Rouergue, il retourne dans son pays de causse en 1886 comme vicaire de Montclar puis à Sainte-Eulalie-de-Cernon en 1890 après un rapide intermède de quatre mois à la faculté de théologie de Toulouse. Quatre années s’écoulent avant son arrivée à Saint-Paul-des-Fonts. Débute alors un sacerdoce de trente ans !

Toutefois, le territoire communal et ses alentours se révèlent bien trop petits pour qui désire toujours chercher et découvrir. Déjà, en 1885, il est entré à la Société botanique de France dont il deviendra vice-président en 1922. Un moyen pour lui de pouvoir correspondre avec les plus grands botanistes, d’échanger des espèces et ses connaissances. Ensuite, de 1888 à 1907, avec ses fidèles compagnons, l’abbé Soulié et le frère Sennen, quand sa cure lui en laisse le loisir, il parcourt l’Aude, l’Hérault, la Provence, la Corse et les Hautes-Pyrénées.

Ce patient travail d’herborisation, de collectage et de classification ne passe pas inaperçu. Quand l’éditeur parisien Paul Klincksieck lui propose de rédiger une « Flore descriptive et illustrée de la France, de la Corse et des contrées limitrophes », l’abbé Coste hésite devant l’énorme tâche avant d’accepter, ce long travail exhaustif s’étalant de 1900 à 1906. Quelques chiffres suffisent à situer l’œuvre monumentale : 1956 pages publiées en six fascicules dans lesquels sont répertoriées 4354 espèces, classées en 884 genres et 134 familles.

Avec cette ouvrage, l’abbé Coste s’inscrit parmi les sommités de la botanique française, recevant tout au long des années suivantes, de multiples récompenses dont le Mérite agricole, la Légion d’honneur et le prix Jérôme Ponti en 1924, couronnement d’une carrière scientifique extraordinaire. Quant à son herbier, composé de 542 paquets, comportant 60 000 exciccatas, légué à la Société des Lettres de l’Aveyron, il est conservé à l’Institut botanique de Montpellier.

Le 23 décembre 1924, Hippolyte Coste s’éteint à Saint-Paul-des-Fonts. Une statue, œuvre de Marc Robert, érigée en 1927, rappelle qu’Hippolyte Coste est bien à la botanique ce que Joseph-Henri Fabre est au monde des insectes.

A lire :

BERNARD, Christian, Le botaniste Hippolyte Coste (1858-1924) : une référence toujours d’actualité, Etudes aveyronnaises, Société des Lettres, Sciences et Arts de l’Aveyron, 2017

ROUCOULES, Léon et AYMONIN, Gérard G., Hippolyte Coste, prêtre et savant, Bulletin de la Société botanique de France, 1981

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