II- Jour de veille

Il existe dans toute affaire un prélude. Une avant-scène. Des croisements d’hommes et de faits. En ce jour du 19 mars 1817, Rodez est en foire de la Mi-Carême. Cela signifie que, passé l’octroi de la cité, dès potron-minet, tout un peuple d’hommes tirant des chars à bras, de femmes portant de larges corbeilles d’osier, de camelots en tout genre venus vendre leurs parfums frelatés, leur lingerie démarquée, leurs canards des dernières nouvelles et leurs boniments de faussaires colonisent places et rues. Hèlent le chaland. Tiennent verres et assiettes dans les auberges puant le graillon et le vin aigre. Ca parle fort ! Ca boit sec ! Ca se castagne parfois. La ville vacille alors dans une effervescence loin de ses habitudes et de son ennui.

La foire, c’est aussi une affaire de rencontres, de règlements discrets, de petits trafics en tout genre. De ragots répandus devenus vérités. Tout un jeu dont les bourgeois de la ville tirent les ficelles. Mais pas que ! Des voleurs à la tire ; des faisans ; des escrocs à la petite semaine ; quelque écorcheur de basse besogne se mêlent à cette foule de bonne engeance. Petits profits ou bourses rondelettes ! Des benêts sont toujours là pour se faire relaver. Et tout est bon à prendre pourvu justement de ne pas l’être soi-même. Et, à ce titre, en ce soir du 19 mars 1817, point trop de risques. Etrangement, la patrouille de la compagnie départementale sous les ordres du préfet d’Estourmel et du commandant Jean-Joseph Puech est avancée d’une heure, laissant libre-cours aux malandrins d’accomplir leurs besognes. Quant au commissaire Marie Antoine Constans, sa soirée s’écoule au café des Suisses. L’homme aime parler musique mais c’est peut-être une autre sérénade qu’il envisage de jouer ce soir-là.  Nez grec – celui dont on dit qu’il est la perfection du visage – regard métallique, lèvres pleines, l’homme use de son autorité – en abuse-t-il ? – pour flatter quelques gotons. Etrangement, en cette soirée, il semble que l’ordre et l’autorité aient choisi de déserter la ville.

Et la nuit efface le jour. Etals fermés. Habitants claquemurés. La cité, vidée de son sang humain, s’abandonne à l’étrange, au mystère, à la peur. Royaume des chauves-souris qui tourmentent l’air de leurs battements d’ailes et de leurs petits cris aigus ; ombres menaçantes qui divaguent dans les rues chichement éclairées, écrasées par la masse tutélaire de la cathédrale. Et le son lancinant de deux vielles pour le frisson. Mais quel bourgeois, quel honnête homme songerait en cette nuit à arpenter les rues de la ville ? Rendez-vous d’affaire ? Rendez-vous galant ? Conclus par de mystérieux échanges ou dans le secret d’alcôves clandestines ? De cette atmosphère lugubre, Antoine-Bernardin Fualdès n’en a cure quand il sort vers 20 heures de sa maison du 2, rue de l’Ambergue droite, après une veillée avec ses amis Sasmayous et Bergounian. Coiffée de son chapeau haut-de-forme et de sa lévite, sa silhouette longe l’hôtel des Princes, passe devant la pharmacie Bruguière éclairée par des quinquets avant de se fondre dans la nuit. Où l’entraînent ses pas ? Celle qui n’est pas encore sa veuve se doute trop de cette virée nocturne, absence compensée par la présence des deux amis du couple qui s’attardent, Bergounian jusqu’à 21 heures 30, Sasmayous demi-heure plus tard. Pourquoi une telle attente ? Espère-t-il le retour de leur ami ? S’inquiète-t-il de son sort ? Imprudent ou trop sûr de son ancienne autorité d’homme de loi, Antoine-Bernardin Fualdès est sorti sans lanterne, portant seulement sa canne à pommeau et un paquet dissimulé sous sa redingote. Ce paquet qui provoquera tant d’interrogations, de on-dit et de fantasmes. Papiers compromettants ? Somme importante d’argent ? Mais pour qui ? Et pourquoi ? Quatre points d’interrogation qui, en quelques jours, tel un tsunami, submergera la ville et fera d’un crime, une Affaire !

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