IX- Fascination
L’orée de la mort est une caresse qui incite aux remords de la conscience. Ce qu’il leur restait de mensonge et d’avenir, Bousquier, le meunier Théron, Clarisse Manzon et la veuve Bancal les couchent tour à tour sur la feuille blanche, s’affranchissant de la punition divine et offrant la vérité aux condamnés.
Vaines rétractations. Trop tardives pour ceux qui avaient perdu la tête. Oubliées dans les tiroirs de la justice pour Bach, Missonnier, Catherine Bancal et Anne Benoit, croupissant dans les maisons d’enfermement avant de sombrer dans les ténèbres.
L’avocat de Bastide et de Jausion, Maître Romiguière, tentera bien un baroud d’honneur en publiant ses Mémoires. Rejetant l’assassinat politique tout autant que le motif d’intérêt pécuniaire, il voit dans la mort du procureur son goût pour les plaisirs. Jetant un trouble supplémentaire sur l’affaire. Hors d’œuvre de la fascination.
A cette époque, Géricault scrute le fait divers comme un impressionniste scrute puis capte la lumière pour créer une œuvre. Fasciné par la morbidité, l’affaire Fualdès le jette, en même temps que « Le radeau de la Méduse », dans des dessins préparatoires. Le meurtre du procureur n’est pourtant qu’un prétexte. Géricault, en irriguant la feuille de traits comme des veines de vie, cherche dans les reliefs des corps le dernier spasme de l’existence et le sens de la mort. Celle déjà embrassée par la victime. Celle à venir des assassins, perceptible dans leurs regards. Car tuer est déjà mourir. L’œuvre pressentie restera lettre morte. Il fallait à Géricault d’autres corps. D’autres ténèbres. D’autres chairs pyramidales. Pour épreindre le secret de l’âme humaine. Et en conserver l’espoir. Au-delà de l’horreur.
La littérature du fait divers s’emparera à son tour de l’affaire, l’érigeant en merveilleux ou en hypothèse. Et tout y passe. L’affaire du Temple et la survivance de Louis XVII ; le complot maçonnique vu et revu par les royalistes. Et pour pimenter un peu plus cette histoire, une affaire de cœur qui aurait mal tourné, Rose Pierret dans le rôle de la séductrice, Antoine Bernardin Fualdès dans celui de Priape et le frère de Clarisse dans celui du cocu vengeur.
Plus sérieuse mais sans preuve véritable, la thèse de la vengeance ultra-royaliste vis-à-vis du procureur honni. Révolutionnaire en 1789 ; bonapartiste sous l’Empire. Pourfendeur du complot de la Goudalie. Une thèse qui fait son chemin, depuis l’historien Combes de Patris au début du XXe siècle et régulièrement reprise jusqu’à nos jours.
Avec l’affaire Fualdès, nous touchons à l’obsessionnel. Car ne pas savoir nous obsède. Nous incite à lever le voile obscur du mystère. Et pourtant, nous ne saurons jamais. Pourquoi et par qui fut assassiné Fualdès ? Quelle machination judiciaire conduisit Bastide, Jausion et Collard jusqu’à l’échafaud ?
L’autopsie de ce crime, deux siècles plus tard, après tant de rumeurs, de pleurs, de rétractations et d’hypothèses reste une tache rouge sur une page blanche.
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