J.-F. Loiseleur Des Longchamps. L’idylle aveyronnaise du géographe du Roy
« Je suis mandaté par la Cour de Versailles pour compléter le relevé topographique de la région, initialement entrepris par mon maître, César-François Cassini. »
Nous sommes en 1769. L’homme qui se présente, ce jour-là, à l’auberge de Durenque, au cœur des monts du Lagast, porte beau, drapé dans une pèlerine, tricorne galonné et bottes de cuir. Un « Monsieur » qui fait forte impression aux paysans buvant une chopine. D’autant plus qu’il vient de Versailles.
L’inconnu se nomme Jacques-François Loiseleur Des Longchamps. Géographe du Roy, il est né à Dreux en 1747. A l’assemblée qui le fixe, il se plait d’ajouter à l’adresse de l’aubergiste :
« Pouvez-vous m’héberger pour un séjour assez long, le temps que je réalise mes relevés ? »
L’aubergiste, qui n’a pas l’habitude de recevoir un tel monde, lui rétorque :
« Je possède bien quelques chambres sous les toits mais elles sont bien inconvenantes pour un Monsieur de votre qualité.
-Peu importe les conditions. Je n’ai guère de grands besoins. Un lit, une table et une chaise suffiront.
-Venez donc chez moi, l’invite un consommateur qui n’a rien perdu de la conversation. J’ai déjà logé M. Cassini. Il n’a pas eu, je crois, à s’en plaindre. Il en sera de même pour vous. »
C’est ainsi que le géographe du Roy rejoint la maison des Boudou, au hameau du Vitarel, sur les hauteurs du Lagast, qui culmine à 927 mètres, là où Cassini a installé un « signal », modeste repère fait de quelques planches assemblées en forme pyramidale. De ce point, la vue est saisissante, portant sur les quatre points cardinaux. Au sud, une succession de puechs marquetés de champs et de pâturages qui plongent en direction des Raspes ; au nord, les monts d’Aubrac et du Cantal. A l’inverse, ceux du Lacaunais. Et par temps très clair, apparaît parfois la chaîne pyrénéenne traçant sa ligne de crêtes dans le lointain.
Jour après jour, durant tout l’été, aidé de quelques hommes recrutés pour porter le matériel, –
la pente est rude dans cette région – le géographe entreprend ses travaux de mesure. Fourbu, le soir venu, il apprécie la quiétude du logis des Boudou, la conversation avec ses hôtes et la présence des cinq enfants du couple, plus particulièrement Marie-Jeanne, auxquels il raconte la vie parisienne et la splendeur de Versailles. Certes, la fille aînée des Boudou n’a que 11 ans mais elle fait plus que son âge et montre une grande curiosité d’esprit. Et Loiseleur Des Longchamps ne manque pas de remarquer que les yeux de Marie-Jeanne pétillent à chacune de ses phrases :
« J’étais un assez bon élève au collège de Dreux. J’ai complété ma scolarité en étudiant la philosophie, deux ans durant au Petit Séminaire de cette ville. Mes parents me voyaient sur le chemin de la prêtrise moi qui ne rêvais que d’étudier les sciences ! Je parvins à convaincre mon père que ma vocation était là. Sans plus barguiner, il m’accorda assez de ressources pour loger à Paris et m’initier au dessin et à l’architecture et parfaire mes connaissances en mathématiques. Je portais gaiement mes vingt et un ans quand, nanti de mes diplômes, j’eus la chance d’être nommé ingénieur-géographe du Roy ! On me recommanda à César Cassini qui cherchait des collaborateurs pour parfaire l’immense tâche qu’il a entreprise sur l’ordre de notre souverain Louis XV. Et voilà comment le hasard m’a conduit dans cette province si lointaine de la mienne jusqu’à votre accueillante demeure. »
Vient le jour où, rappelé à Paris, le géographe boucle ses bagages non sans un pincement au cœur en quittant le Vitarel et Marie-Jeanne, effondrée depuis l’annonce de son départ. Les années passent. Des lettres arrivent régulièrement au Vitarel dans lesquelles J.-F. Loiseleur Des Longchamps, outre la famille Boudou, s’enquiert de la santé de Marie-Jeanne qui a sombré dans la mélancolie.
La gamine est devenue une femme de 16 ans quand, à la Noël 1773, le beau Monsieur de Paris débarque au Vitarel pour une nouvelle mission. Le regard subitement joyeux de Marie-Jeanne, c’est son cœur qu’elle offre au géographe qui n’y résiste pas. Et du reste, l’affaire ne traine pas puisque, au premier jour du printemps 1774, le couple s’unit dans l’église Saint-Amans de Rodez. Un vrai conte de fée pour la lingère et le géographe, bientôt interrompu par les absences répétées de l’époux, appelé à parcourir la France pour son travail. Les séparations devenant trop difficiles, le couple finit par s’installer en Bretagne où Jacques-François a trouvé un emploi dans une mine. Pour peu de temps car Marie-Jeanne tombe bientôt malade. Rien ne vaut l’air pur du Lagast pour se requinquer. En 1783, après trois années d’absence, le couple est de retour au Vitarel.
Loiseleur Des Longchamps écrit sur cette période : « Me voici réduit à travailler avec mes bras sur une route en construction… »
Arrive 1789 ! L’ex-géographe adhère aux idées nouvelles, partisan de Robespierre et du capucin aveyronnais Chabot. Ce dernier l’envoie même en mission dans le Millavois « pour recouvrer une taxe frappant tout individu suspect d’inimitié envers la Révolution ». Une mission qu’il accomplit avec zèle.
A l’heure où la Terreur envoie Girondins et dantonistes à la guillotine, Loiseleur Des Longchamps se cache. Et quelle meilleure cachette que le Lagast ?
Le couple continuera à y vivre durant un demi-siècle, dans leur nouvelle bâtisse de Puech-Cani, près de Broquiès entre « un arpent de vignes et 88 perches de bosquet ». Scientifique dans l’âme, Loiseleur Des Longchamps s’intéresse à la botanique et invente un baromètre portatif qu’il fait breveter.
A 96 ans, le géographe du Roi s’éteint le 1er août 1843. Marie-Jeanne le suivra de six semaines. Aujourd’hui, si leur tombe a disparu, une croix porte sur une stèle, près de la vieille église de Saint-Cyrice qui domine le Tarn, leurs noms, enlacés dans une union que seul un profond amour pouvait lier. Prouvant, quoiqu’on en dise, que les contes de fée existent bien !


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