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Jacques Clément. La haine au bout du couteau

Solitaire ou bras armé de la Ligue, le moine Jacques Clément est le premier régicide de l’histoire de France, sur fond de guerre de Religion.

Les quatre chevaux de trait, rendus nerveux par la foule haineuse, raclaient de leurs sabots ferrés, le sol fangeux du dernier orage de cet été 1589. Au commandement du bourreau, les quatre cavaliers piquèrent leur bête. Les cordes se tendirent d’un coup sec, écartelant les membres du tronc dénudé reposant sur un billot de bois. Les muscles, préalablement entaillés par la tenaille du bourreau, finirent par céder, déclenchant les hurlements du peuple. Le bourreau termina son œuvre. Ramassant les membres et le tronc détaché du supplicié, il les porta sur le bûcher afin de les réduire en cendres. Exit le cadavre de Jacques Clément, premier régicide de l’histoire de France !

Henri III face à l’intransigeance religieuse

Le duc d’Anjou, quatrième fils de Catherine de Médicis et, de surcroît son préféré, monte sur le trône de France le 30 mai 1574 sous le nom d’Henri III. Pas vraiment un cadeau pour ce jeune souverain de 23 ans. La France est à feu et à sang dans les guerres de Religion que se livrent catholiques et protestants. L’intransigeance des uns et des autres n’autorise guère la concertation et la recherche d’une paix durable. Très vite, Henri III qui fait preuve de diplomatie, est pris entre le marteau et l’enclume. Les protestants le soupçonnent d’avoir fomenté la Saint Barthélémy tandis que les catholiques l’accusent de faiblesse vis-à-vis des partisans de la Réforme. D’autant plus que le roi, qui a épousé Louise de Lorraine, n’a pas d’héritier mâle. Une menace pour les catholiques : si le roi mourait, le trône reviendrait à son cousin, Henri de Navarre. Un protestant ! Intolérable pour la Ligue des catholiques menée par le duc de Guise.

Paris s’embrase et le roi doit s’enfuir !

Les prêches, dans les églises, et les pamphlets imprimés expriment toute la virulence des propos à l’égard du roi. Au point que le 12 mai 1588, Paris s’enflamme et dresse des barricades. Gardes suisses et français ne peuvent résister à une foule en furie, obligeant le roi à quitter précipitamment Paris pour Blois. Le duc de Guise exulte. Son triomphe est total au point d’exiger d’Henri III de signer l’édit d’Union qui garantit la foi catholique, le pardon accordé aux émeutiers et la convocation des Etats-Généraux.

Henri III n’est pas homme à subir pareille humiliation sans se venger. Le 23 décembre 1588, il attire de Guise dans son château de Blois. Le duc ne se méfie pas. A peine pénètre-t-il dans la salle royale que les sicaires d’Henri III fondent sur lui et le percent de multiples coups de dague. C’en est fait du « Balafré » qui expire aussitôt. Semblable sort est le lendemain réservé à son frère, le cardinal de Lorraine. La Ligue est touchée au cœur de son pouvoir. Henri III, humilié quelques mois plus tôt, peut désormais envisager de marcher sur Paris !

A l’annonce du double assassinat de leurs chefs, les catholiques s’embrasent, excités par les prêtres qui appellent à éliminer « le roi tyran », transperçant même, comme le font les sorciers, des poupées de cire à l’effigie du roi.

Pour reconquérir Paris, Henri III a besoin de renforts. Il les trouve auprès de son cousin Henri de Navarre qui lui offre l’aide de son armée. Un nouvel affront pour les Ligueurs.

Dès le début de l’année 1589, les troupes royales se rassemblent autour de Tours avant de remporter une victoire décisive à Senlis. Paris n’est plus très loin. Le 1er août, le roi s’installe à Saint-Cloud, étape ultime pour reconquérir la capitale.

Les raisons d’un passage à l’acte

Jacques Clément est le fils d’un paysan bourguignon, né à Serbonnes, en 1567. Des zones d’ombre rythment les années qui précèdent son entrée en religion. Peut-être rejoint-il la soldatesque avant de porter la tonsure et la bure des moines dominicains, au couvent des Jacobins de Sens d’abord puis à celui des Dominicains de Paris ? Dans ce couvent de la rue Saint-Jacques, le prieur Edme Bourgoing est un fervent partisan de la Ligue. Il n’hésite jamais lors de ses prêches à appeler au régicide, impressionnant les jeunes moines. De jour en jour, l’obsession de Jacques Clément grandit de devenir le bras vengeur des catholiques.

Le 31 juillet, le moine décide de passer à l’acte. A la porte de Paris, il présente un laisser-passer obtenu du comte de Brienne ainsi qu’une fausse lettre d’accréditation du premier président du Parlement de Paris, Achille de Harley. Les gardes royaux ne se méfient pas. Sur la route qui le mène à Saint-Cloud, Jacques Clément rencontre le procureur général Jacques de La Guesle qui se rend également auprès du roi. Une aubaine pour le dominicain qui accepte de monter en croupe. Chemin faisant, il lui révèle être porteur de lettres d’une grande importance pour le roi. La Guesle lui promet d’en parler au monarque et l’invite même à souper le soir même.

La main régicide

Le 1er août 1589, vers 8 heures du matin, les deux hommes se présentent donc à l’hôtel d’Aulnay, où réside Henri III. Le premier valet de chambre, Pierre du Halde, les invite à monter au premier étage. Une galerie franchie et ils se trouvent devant la porte de l’appartement royal. Des gentilshommes en armes, chargés de la garde du roi, se tiennent devant. Mais la présence de La Guesle et la lettre d’accréditation réduisent leur méfiance au point de négliger une fouille.

Le roi est assis « sur une chaise percée, ayant une robe de chambre sur ses épaules, sans être aucunement habillé ». A son côté se tient Roger de Bellegarde, premier gentilhomme de la Chambre. Jacques de La Guesle s’avance et remet au roi les documents qui autorisent la présence du moine.

« Approche, moine. Qu’as-tu donc d’importance à me révéler ? l’interroge Henri III.

-Quelque fait, lui répond Jacques Clément, qui ne peuve ni ne doive être communiqué à autre qu’à sa Majesté elle-même.

-Soit ! Qu’on nous laisse un instant seul, commande le roi, intimant de la main à La Guesle et De Bellegarde de sortir. »

Les deux hommes protestent. Le roi ne les entend pas. Le voici désormais en tête à tête avec le moine. Sans prendre garde, il lit les lettres qui viennent de lui être remises. Aussi ne voit-il pas le dominicain « tirer de sa manche un couteau duquel, avec violence, il donne un coup à côté du petit ventre de sa Majesté ».

Henri III, blessé, crie de douleur. Trouvant la force de porter ses mains à l’abdomen, «  il retire de la plaie le couteau que ce malheureux y avait laissé, en donne un coup au-dessus de l’oeil de ce maudit apostat, suscité du diable et finit par crier : “Ah ! Méchant, tu m’as tué !” »

Dans la pièce contiguë, au cri d’Henri III, les gardes se précipitent. A la vue du roi à terre, ils se ruent sur le moine et le transpercent de coups d’épée en dépit de l’ordre de Bellegarde de le prendre vivant. Et dans leur fureur, ils le précipitent par la fenêtre, entraînant sa mort.

Le Roi est mort !

Appelés au chevet du roi, les médecins ne diagnostiquent pas la gravité de la blessure, malgré les boyaux apparents. De fait, depuis son lit où il repose, le roi pansé dicte plusieurs lettres et rassure la reine en ces termes : « Ma mie, j’espère que je me porterai très bien. Priez Dieu pour moi. »

Dans l’après-midi, le roi se sentant faible, les médecins lui administrent un lavement. Erreur fatale ! L’état d’Henri III ne fait qu’empirer. « Il avait, raconte le chroniqueur de l’époque Pierre de l’Estoile, le mésentaire coupé, avec les veines mésoroïques, desquelles était sortie grande quantité de sang dès l’instant de sa blessure. Et depuis, étant couché au lit, le sang s’était répandu dans l’omenton et péritoine, et incontinent corrompu. »

Il est 3 heures du matin, ce 2 août, quand Henri III rend son dernier souffle après avoir reçu l’extrême-onction. Entretemps, lors d’une entrevue, il a confirmé son cousin Henri de Navarre comme son héritier, lui conseillant selon les dires du futur Henri IV de se convertir au catholicisme.

Un procès et des questions sans réponses

L’annonce de la mort du roi suscite aussitôt dans Paris et dans plusieurs villes de province acquises à la Ligue, des clameurs de joie. A Paris, le duc de Mayenne, Charles de Lorraine et frère cadet du feu duc de Guise, « fit faire par tout Paris des feux de joie, à quoi le peuple fut tout disposé. En lieu de lamentations tout retentissait de chants et de risées ». Des messes à la grâce de Jacques Clément sont célébrées. Même l’ambassadeur d’Espagne y va de son opinion : « C’est à la main seule du très-Haut qu’on est redevable de cet heureux événement. »

C’était pourtant se fourvoyer que de croire que la mort d’Henri III va résoudre les rivalités entre catholiques et protestants. Au contraire, après la Saint Barthélémy et l’assassinat du duc de Guise, celui du roi était un nouveau point d’orgue dans l’escalade des violences.

Plusieurs questions se posaient toutefois : Jacques Clément avait-il agi seul ? Ou bien avait-on armé son bras et, par là-même, qui se cachait derrière le moine dominicain ? Il est certain que l’élimination de Jacques Clément évitait qu’il ne puisse parler devant un tribunal. L’avait-on trucidé à cette fin ? Quel rôle jouait Jacques de La Guesle dans cette affaire ? Des questions que les juges se gardèrent bien de poser. Ce ne fut qu’un cadavre qui fut soumis après jugement à l’écartèlement. Seul le supérieur de Jacques Clément, Edme Bourgoing, fut condamné à l’écartèlement, accusé d’avoir publié peu après le régicide, un pamphlet « Discours véritable de l’étrange et subite mort d’Henri de Valois, advenue par permission divine ». Le malheureux, avant son supplice, déclara : « Nous avons bien fait ce que nous avons pu et non pas ce que nous avons voulu », laissant place à toutes les suppositions. Le roi de Navarre devait-il subir pareil sort ? Le mystère reste entier mais il est bien sûr qu’un tel acte aurait été approuvé par la Ligue.

Un roi catholique !

Légitimé par Henri III au crépuscule de sa vie, Henri de Navarre se voyait confier une tâche bien ardue. Une partie de l’armée du roi défunt voyait d’un mauvais œil cet huguenot prendre le pouvoir. Les chefs catholiques étaient divisés. Henri III avait conseillé à son cousin de se convertir. Un choix bien difficile qu’Henri de Navarre finit par assumer. « Me prendre à la gorge sur le premier pas de mon avènement et à une heure si dangereuse ! Auriez-vous donc plus agréable un roi sans Dieu ? J’appelle de vos jugements à vous-mêmes, messieurs ; et ceux qui ne pourront prendre une plus mûre délibération, je leur baille congé librement pour aller chercher leur salaire sous des maîtres insolents ; j‘aurais parmi les catholiques ceux qui aiment la France et l’honneur. » Le ton était donné. Usant de toute sa diplomatie et de toute son intelligence, il parvint à apaiser les esprits jusqu’à l’édit de Nantes. Avant de tomber sous les coups de Ravaillac !

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